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dimanche 16 mai 2010

Marée noire : « Le Tchernobyl de l'industrie pétrolière »

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Selon Steiner, biologiste marin, les dispersants utilisés par BP au large de la Louisiane se contentent de « couler » le pétrole.




Pendant sept ans, Rick Steiner a étudié les effets de l'Exxon Valdez (Alaska, 1989), la marée noire la plus chère et la plus catastrophique de l'Histoire.

C'est un scientifique de renommée internationale, grand spécialiste des catastrophes maritimes. De nombreux gouvernements (dont la Libye, le Pakistan ou la Russie) l'ont appelé au secours. Steiner est l'auteur du manuel des Nations unies sur les marées noires.

Samedi dernier, j'étais en Louisiane, à Venice, au bout de cette filandreuse langue de terre qui s'enfonce dans le golfe du Mexique entre marais, bayous, joncs foisonnants, carcasses d'arbres décimés par Katrina, bateaux défoncés, échoués sur les rives, et voitures à moitié immergées dans les eaux calmes. Les signes du terrible ouragan de 2005 sont encore bien visibles dans l'estuaire du Mississippi.

Au bout de la marina Cypress Cove, il y avait un pupitre et des caméras de télévision. Les journalistes attendaient le retour de Bobby Jindal, le gouverneur de la Louisiane, de Mitch Landrieu, le maire de la Nouvelle-Orléans et de Billy Nungesser, le président de Plaquemines Parish (littéralement « paroisse », ce qui, en Louisiane, signifie comté ou département).

Les trois hommes s'étaient envolés une heure plus tôt en hélicoptère Black Hawk pour effectuer une reconnaissance de la marée noire, à 50 kilomètres environ au large. Ils devaient ensuite se réunir avec des garde-côtes et des gardes nationaux dans le restaurant de la marina pour un briefing, puis donner une conférence de presse (la réunion a duré environ vingt minutes).

BP décide des autorisations de circulation

Parmi les journalistes, les pêcheurs et les écologistes présents, il y avait un homme de haute taille, mince, les cheveux blancs, la peau couverte de tâches de rousseur et de soleil, les yeux bleus très clair. Il s'agissait de Rick Steiner.

Il était venu comme bénévole, pour offrir son expertise. Mais bien que les huiles présentes aient eu connaissance de sa présence, il n'avait pas été convié à la réunion. Lui, l'expert, allait donc rester dehors pendant qu'un triumvirat ignorant des marées noires feindrait d'élaborer des solutions.

Permettez-moi d'ouvrir une parenthèse. Je dis « feindrait » parce qu'au bout de quatre jours de déambulations en Louisiane et sur la côte du Mississippi, un fait est devenu évident : c'est BP qui semble tirer les ficelles.

Exemple : arrêtés à un barrage installé sur une route départementale, vers Hopedale (rive Est du Mississippi), des gardes nationaux nous ont conseillé d'appeler le représentant de BP pour obtenir l'autorisation de passer. Idem le lendemain.

Deux jours plus tard, devant un centre où les pêcheurs étaient venus remplir les formulaires pour obtenir leurs compensations, deux journalistes américains tentant d'interviewer les pêcheurs sur le parking ont été virés sur le champ par les hommes de BP.

Mais revenons à Steiner, auquel j'ai posé quelques questions.


« On a entendu des dauphins tousser »

Armelle Vincent : quelle est l'ampleur réelle de cette marée noire ?

Rick Steiner : c'est une catastrophe sans précédent, un événement historique, beaucoup plus grave que ce que ne laissent entendre le gouvernement et BP. C'est la première explosion d'une plate-forme pétrolière en mer et la première fois aussi qu'une fuite de pétrole brut se produit à 1 500 mètres de profondeur.

Les conséquences de cette tragédie sont totalement différentes de celles provoquées par l'accident d'un pétrolier, car dans ce cas, le pétrole reste à la surface, où vous pouvez le suivre.

L'impact le plus important de cette marée noire se fera sentir au fond du golfe, dans ce que nous appelons l'écosystème pélagique. Nous semblons uniquement concernés par les marées noires qui envahissent les plages et le rivage, alors qu'au large, il y a des centaines d'espèces d'oiseaux, de dauphins, de baleines, de poissons, etc en danger.

Justement, quels sont ces dangers ?

On a observé un banc de 70 ou 80 dauphins se déplaçant en rangs serrés au large de l'Ile du Gosier. C'est un signe de stress et d'effroi. On les a aussi entendus tousser. Ils ont dû ingérer ou aspirer du pétrole. On a également vu une grande quantité de plancton mort.

Sur Breton Island, il y a des milliers d'oiseaux. Ils sont en pleine saison de nidification. La moitié des oisillons sont déjà sortis de leurs coquilles. Ils vont être contaminés. En Alaska, 30 espèces ont été compromises. Les harengs du Pacifique ont été complètement décimés. 21 ans plus tard, les pêcheurs et la faune aquatique continuent de payer les conséquences d'Exxon Valdez.

A votre avis, les mesures prises par BP sont-elles efficaces ?

Malheureusement non. Il n'y a absolument aucun moyen de collecter le pétrole une fois qu'il est dans l'eau. Dans toute l'histoire des marées noires, on n'y est jamais parvenu. Les centaines de kilomètres de barrages flottants déployés ne peuvent être efficaces que si le brut flotte à la surface, et encore… Or, dans le cas présent, il est surtout dans le fond.

BP a annoncé qu'elle avait récupéré sept millions de litres d'une mixture eau/pétrole. Je parie que 90% de cette mixture était de l'eau. L'ironie est que les bateaux qui installent les barrages injectent plus de pétrole dans l'eau qu'ils n'en collectent. C'est absurde. Pendant ce temps, 800 000 litres de brut jaillissent chaque jour de la fuite pour se répandre dans le golfe.

Quel est l'impact écologique du dispersant utilisé par BP ?


La méthode a été utilisée en Alaska, sans succès. BP a injecté environ 1,6 million de litres (1 800 m3) de dispersant. C'est inquiétant. Le brut est toxique. Le dispersant est toxique et la combinaison des deux est encore plus toxique.

Le dispersant est un produit chimique composé d'un ingrédient actif appelé Corexist, que les biologistes marins ont rebaptisé « Hidesit » (le cache), et d'un autre appelé 2-Butoxyethanol. Sur l'étiquette de ce produit, on est avisé de consulter immédiatement un médecin en cas de contact avec la peau. Tirez-en vos propres conclusions.

Les compagnies pétrolières utilisent les dispersants parce qu'ils permettent de « couler » le pétrole loin des regards. Toute la faune aquatique va être exposée à leur toxicité. De plus, pour que le pétrole se disperse, il faut des vents de 10 à 25 nœuds. Moins de vent, c'est inefficace ; plus de vent, le dispersant devient inutile.

Quel est donc votre pronostic ?

Il est difficile de faire des prédictions. Tout dépendra des vents, de la température de l'air et de l'eau, du type de brut et de la densité de bactéries. Plus l'eau est chaude, plus il y a de bactéries. Elles contribuent à nettoyer les hydrocarbures toxiques de la marée noire.

Cette catastrophe est le Tchernobyl de l'industrie pétrolière. J'espère qu'elle nous apprendra au moins une leçon : il faut arrêter l'exploitation pétrolière en mer. Nous en connaissons maintenant les risques. Il faut à tous prix éviter le forage dans l'océan Arctique. Il serait absolument impossible de contrôler une explosion et une fuite de brut dans la banquise.

Armelle Vincent

Armelle Vincent


Je vis à Redondo Beach, comté de Los Angeles, depuis dix-huit ans maintenant, avec mes trois enfants franco-mexicano-américains. Je collabore à plusieurs publications françaises. Je signe (ou ai signé) dans Le Figaro, XXI et son blog, GEO, L'Amateur de cigare, Le Point, Marianne, Rolling Stone, ELLE…

J'ai passé beaucoup de temps au Mexique, en Basse Californie particulièrement. Un coup de volant et je suis au Far West, à Tijuana, où la guerre des cartels bat son plein et les fusillades sont quasi quotidiennes.

Ces séjours m'ont conduite à m'intéresser de très près au narcotrafic. Avec ses personnages fascinants, ses ramifications économiques, ses codes qui ont envahi le monde culturel mexicain, ses croisés courageux qui, chaque jour, risquent leur vie pour le dénoncer ou le combattre.

Le narcotrafic mexicain est un sujet multidimensionnel que j'aimerais aussi raconter.

Egger Ph.