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mardi 16 août 2016

L'ancien chef du renseignement suisse: «Le monde politique a négligé la sécurité»




Le 25 septembre, les Suisses votent sur la nouvelle loi sur le renseignement, combattue par un référendum de la gauche. L'ancien chef du Service de renseignement suisse, Peter Regli, la juge nécessaire dans le contexte actuel de menace terroriste et de cyberguerre. Il qualifie l'appel à la dénonciation lancé par le président Erdogan de «renseignement non autorisé»

Né à Airolo en 1944, Peter Regli a dirigé le Service de renseignement suisse de 1991 à 1999. Sa carrière fut marquée par deux affaires: les échanges controversés avec les services secrets sud-africains et l’affaire Bellasi, du nom d’un comptable rattaché au Renseignement qui avait constitué un arsenal clandestin privé. Peter Regli fut «mis en disponibilité» en 1999 puis en retraite anticipée en 2000 avant d’être réhabilité en 2007. Consultant en matière de sécurité nationale, il reste l’un des experts les plus réputés en matière de renseignement. Il défend la loi sur le renseignement (LRens), combattue par un référendum de la gauche et sur laquelle on vote le 25 septembre.

Le Temps: Pourquoi la LRens est-elle nécessaire?

Peter Regli: Depuis le 1er janvier 2010, nous avons un nouveau Service de renseignement fédéral, le SRC, qui réunit l’ancien Service de renseignement stratégique, que j’avais eu l’honneur de diriger, et le service de la Police fédérale, qui étaient respectivement chargés des renseignements extérieurs et intérieurs. Il faut doter le SRC d’une base légale. C’est le but de la LRens. Elle doit lui donner les moyens nécessaires pour faire face aux menaces d’aujourd’hui, des moyens que nos adversaires utilisent déjà et que notre Etat n’a pas encore à sa disposition. Nos adversaires sont armés de longues hallebardes alors que nous n’avons que des couteaux militaires pour nous défendre. Le patron du SRC, Markus Seiler, utilise l’image d’une course cycliste. Deux coureurs sont très loin devant: ce sont les Américains et les Britanniques. Il y a ensuite le peloton, qui regroupe tous les autres pays. Et, tout derrière, un cycliste attardé: le Suisse. Avec un oui le 25 septembre, il peut rattraper le peloton.

– Pourquoi les services secrets suisses ont-ils un tel retard?

– Parce que c’est la politique qui donne le ton. C’est elle qui définit le point de bascule entre la liberté et la sécurité. Depuis la chute du Mur de Berlin en 1989, elle a clairement accordé la priorité à la liberté et, par conséquent, négligé la sécurité. La menace terroriste, le crime organisé se développent depuis de nombreuses années. Mais la politique n’a pas voulu renforcer les services de renseignement jusqu’à leur fusion en 2010.

– L’affaire des fiches, l’affaire Bellasi n’ont-elles pas jeté le discrédit sur le renseignement suisse?

– Peut-être au sein de la population, qui ne sait pas toujours ce que fait un service de renseignement. Cette méfiance est aussi influencée par des affaires qui ont secoué des services secrets étrangers. Mais vingt-six ans se sont écoulés depuis l’affaire des fiches. Les leçons ont été tirées et le contexte a changé. La nécessité d’une nouvelle loi a finalement été reconnue. Même si la gauche continue de la combattre pour des raisons idéologiques, le parlement a fait un très bon travail.

– L’aboutissement du référendum ne montre-t-il pas que cette méfiance est toujours présente?

– Probablement. Ce sont les règles démocratiques. Et le référendum nous offre la possibilité d’expliquer à la population ce qu’est le renseignement. En fin de compte, c’est aux citoyens suisses de se prononcer. Je leur fais confiance.

– Qu’est-ce la LRens apporte?

– En premier lieu, elle permet au SRC de s’adapter aux nouvelles menaces. Les conflits militaires ont été remplacés par un cocktail de nouveaux défis: les migrations, le fondamentalisme religieux surtout islamiste, l’espionnage, la cyberguerre, le terrorisme. Le SRC pourra rechercher activement les informations nécessaires à l’identification d’une menace. La collaboration entre différents services de renseignement a permis d’éviter des attentats dans les pays qui nous entourent. L’acteur moderne utilise les réseaux numériques. Nous savons depuis les attentats de novembre à Paris qu’il utilise des données chiffrées. La LRens dit ce qu’on peut faire pour explorer les réseaux câblés et s’introduire dans des systèmes informatiques.

– L’exploration est censée se faire par la recherche de mots-clés. Or les opposants disent que c’est une technique des années 90 car les organisations criminelles travaillent aujourd’hui avec des algorithmes très complexes. La LRens n’est-elle pas déjà dépassée?

– De nombreux spécialistes, notamment en chiffrage, se sont exprimés en marge des débats parlementaires. Ils n’ont rien dit de tel. La LRens devra être expérimentée. Si l’on s’aperçoit qu’elle doit être adaptée, alors on le fera. Malheureusement, l’acteur qui se tapit dans l’ombre a toujours un pas d’avance sur le service de renseignement.

– Un peu comme le dopage, qui est avance sur le dépistage?

– Oui, on peut faire cette comparaison. A mon époque, nous nous battions pour pouvoir faire des écoutes satellitaires. Les satellites existent toujours, mais les informations importantes concernant nos adversaires potentiels passent par les réseaux câblés, surtout les réseaux sociaux. Nous devons nous adapter. Dans le même ordre d’idées, je suis aussi favorable à l’introduction d’un article spécifique sur le terrorisme dans le Code pénal.

– La surveillance des réseaux câblés ne va-t-elle pas déboucher sur des abus?

– Si la loi est acceptée, le service de renseignement suisse sera le mieux contrôlé du monde. Plusieurs échelons de surveillance sont définis: le chef du Département de la défense, la Délégation de sécurité du Conseil fédéral, le Tribunal administratif fédéral, la Délégation des commissions de gestion, une autorité de surveillance indépendante ainsi qu’un organe de contrôle pour l’exploration des réseaux radio et câblé. Cela doit permettre d’instaurer un climat de confiance envers les tâches et le travail du SRC.

– Le manque de confiance ne vient-il pas des moutons noirs qui ont entaché la réputation du SRC, comme Claude Covassi?

– Cela a sans doute joué un rôle. Il y a aussi eu le cas de cet informaticien tessinois qui a imaginé qu’il pourrait vendre des données qu’il a volées. Le renseignement est un domaine délicat, le risque de comportement fautif n’est pas exclu. Dans toute organisation, l’élément le plus fragile est l’être humain. Mais la grande majorité des collaborateurs font un excellent travail, sont dignes de confiance et sont très surveillés, également par les médias. Le principe du double regard a été généralisé: toute opération sensible doit être avalisée par deux personnes.

– Le SRC sera-t-il en mesure de faire le tri parmi la masse d’informations qu’il pourra récolter?

– Techniquement, oui. Mais le SRC n’a pas le personnel nécessaire pour trier des millions d’informations. On part de l’idée qu’il devra s’occuper chaque année de dix à quinze cas très concrets représentant un danger majeur pour notre pays. Les nouvelles menaces me préoccupent considérablement. La Suisse n’a pas été la cible d’attentats jusqu’à maintenant, mais des Suisses ont perdu la vie à l’étranger parce qu’ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment. Tout peut cependant changer rapidement. Nous ne sommes pas à l’abri d’un jeune islamiste qui s’autoradicalise sur Internet. Le SRC doit avoir les moyens de le débusquer. Et nous devons pouvoir compter sur la collaboration des communautés musulmanes intégrées pour identifier les jeunes qui se laissent fanatiser.

– L’agression dans un train à Saint-Gall, le week-end dernier, n’était pas le fait d’un jeune fanatique radicalisé. Le SRC doit-il aussi surveiller des jeunes Suisses à risques?

– Le SRC doit se concentrer sur l’identification préventive de menaces majeures pour la sécurité nationale. La société civile et les institutions sociales ont la tâche noble et importante de s’occuper de personnes malades, aussi de celles qui risquent de commettre une attaque suicidaire à cause de problèmes personnels majeurs. Les «jeunes à risque», suisses et immigrés, font partie de cette catégorie.

– La LRens permettra-t-elle de mieux prévenir les actes d’espionnage?

– L’espionnage est une grande menace pour notre pays et nos PME, notamment les plus innovantes. Ce que font la Russie et la Chine doit nous inquiéter. Le DFAE, le Département des finances, Ruag ont été les cibles de piratage informatique. L’Etat doit avoir les moyens d’identifier les agresseurs et de lancer des opérations offensives sur la base des procédures de contrôle prévues dans la loi. Et il y a le cas de la Turquie. Le président Erdogan demande aux Turcs de signaler les personnes qui auraient des contacts avec Fethullah Gülen ou son mouvement. Cela concerne aussi la communauté turque de Suisse. C’est du renseignement non autorisé illégal. La nouvelle loi permettra au SRC de faire des actes de surveillance clandestine, avec, bien sûr, l’autorisation de la justice et de la délégation du Conseil fédéral.

Bernard Wuthrich