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jeudi 6 avril 2017

Ce que les sondeurs sont incapables de mesurer et qui pourrait créer la surprise à la présidentielle française



En ces temps incertains où la pratique des sondages d'opinion a montré ses limites à plusieurs reprises, on s'interroge sur la possibilité d'un "vote caché" en faveur de François Fillon. Le candidat à l'élection présidentielle et ses soutiens semblent même avoir fait de cette théorie un argument permettant d'entretenir, auprès de leurs sympathisants, l'espoir d'une qualification pour le second tour. Mais les conditions nécessaires à l'existence d'un vote caché en faveur de monsieur Fillon sont-elles vraiment réunies?

L'effet zone muette

Du point de vue de la psychologie sociale, le vote caché correspond à un phénomène qui dépasse largement le cadre des sondages électoraux et que l'on nomme l'effet "zone muette". Le phénomène se traduit par un masquage d'opinion. En d'autres termes, lorsque les individus sont interrogés à propos de certaines questions, il peut arriver qu'ils ne livrent pas leurs véritables opinions. Tout simplement parce qu'ils redoutent de s'exposer à la réprobation d'autrui, mais aussi parce qu'ils considèrent que l'affichage de ces opinions porte atteinte à l'image qu'ils souhaitent entretenir d'eux-mêmes. C'est cette dimension identitaire qui explique que l'effet zone muette peut se produire dans des conditions d'anonymat, par exemple à propos d'opinions racistes.

Mais pour ce qui concerne les sondages électoraux, il peut arriver également que les individus refusent de répondre aux sondeurs, évitant ainsi de devoir leur mentir et échappant du même coup à leurs radars. Il y a tout lieu de penser que c'est ce phénomène qui s'est produit à l'occasion du référendum relatif au Brexit au Royaume-Uni ou lors de la récente élection de Donald Trump aux États-Unis.

La pression normative

Cependant, l'effet zone muette ne se produit que dans des conditions bien précises dites de "pression normative", qui vont faire qu'une opinion sera jugée comme inavouable par ceux-là même qui y adhèrent. Cette pression provient de groupes sociaux parfaitement visibles et identifiés qui, disposant de diverses formes de pouvoir social (autorité morale, moyens financiers, espace médiatique, légitimité scientifique, etc.), sont en mesure d'imposer leurs propres normes et en font usage pour discréditer certaines opinions.

Il en résulte que les opinions discréditées finissent par apparaître soit immorales, soit iconoclastes, soit tout simplement absurdes et deviennent assez difficiles à assumer publiquement. Malheur à ceux qui osent émettre des doutes quant à la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique! Honte sur ceux qui estiment qu'il faudrait abaisser l'âge du départ à la retraite!

Le vote "caché" pour Fillon

Si l'on en revient au contexte de notre élection présidentielle, plusieurs éléments permettent de supposer que la pression normative s'exerçant aujourd'hui en défaveur du vote Fillon est relativement faible. Rappelons, d'abord, que le candidat bénéficie d'une nécessaire présomption d'innocence. Mais il bénéficie également du soutien public de plusieurs agents influents : médias dits "de droite", Medef, etc.

Par ailleurs, les électeurs s'apprêtant à voter pour lui disposent de nombreux arguments permettant de rationaliser leur choix (le complot du "cabinet noir", la qualité du programme, etc.). En bref, n'en déplaise à ses partisans, il est assez peu probable que la pression normative qui s'exerce en défaveur du vote Fillon soit suffisante pour engendrer un effet zone muette. Par conséquent, il est assez peu probable que l'hypothèse d'un vote caché favorable au candidat se vérifie dans les urnes.

Le vote "caché" pour Le Pen

Il reste toutefois dans cette élection un autre personnage à propos duquel on pourrait se poser la question de la zone muette et du vote caché. Il s'agit bien sûr de Marine Le Pen. Certes, les scrutins précédents (élections régionales) et l'audience médiatique de la candidate suggèrent qu'il n'y a plus, aujourd'hui, de pression normative sur le vote Front national. Accepterait-on en 2017 de voir un journaliste refuser d'adresser la parole à la dirigeante de ce parti, comme ce fut le cas au début des années 80 avec son père? Quoi qu'on en pense, les idées du Front national ont maintenant pignon sur rue et ceux qui y adhèrent ont de moins en moins de réticences à les exprimer publiquement.

Mais il se pourrait qu'à propos de ce parti, le phénomène de zone muette se soit déplacé, depuis les intentions de vote au premier tour vers les intentions de vote au second. En effet, qu'elles proviennent d'économistes, de syndicalistes, d'autorités religieuses ou d'intellectuels, les pressions normatives défavorables à la perspective de voir arriver Marine Le Pen à l'Élysée ne manquent pas.

En conséquence, il est peut-être aujourd'hui encore assez difficile d'assumer une intention de vote dont l'effet serait de contribuer à l'accession de la candidate du Front national à la magistrature suprême. En d'autres termes, il n'est pas impossible que les sondages qui donnent tous aujourd'hui Marine Le Pen perdante à l'issue du deuxième tour de l'élection présidentielle soient confrontés à une zone muette sous-jacente à un vote caché en faveur du Front national.

On peut même faire l'hypothèse que ce phénomène affecte certains des électeurs de François Fillon qui, en cas de défaite de leur candidat au premier tour, seraient tentés par un vote contre-normatif en faveur d'un parti dont les valeurs heurtent de plein fouet celles du camp auquel ils appartiennent.

Le dur métier des sondeurs

Les analyses qui viennent d'être exposées ici reposent sur ce que nous savons aujourd'hui de l'effet zone muette. Mais, comme il arrive que la réalité dépasse souvent la fiction, il arrive aussi qu'elle contourne les théories que nous échafaudons à son propos.

La campagne électorale à laquelle nous assistons nous a déjà réservé plusieurs surprises et dans ce contexte, les sondeurs sont contraints de faire leur métier dans une grande incertitude. Le vote caché n'est pas la seule difficulté qu'ils ont à affronter. On peut y ajouter l'incertitude des électeurs, la volatilité de leurs opinions ainsi que leurs velléités d'abstention. Pour toutes ces raisons, on aurait tort de croire qu'à moins de trois semaines du scrutin les jeux sont faits.