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lundi 17 juillet 2017

La huitième symphonie de Federer, légende éternelle




Là, tout là-haut, sur son art perché trône Roger Federer, étoile du tennis, légende du sport, les poches désormais garnies de dix-neuf titres du Grand Chelem et de huit couronnes de Wimbledon. L’histoire, savoureux conte de fées, est ahurissante, hallucinante. Elle met en exergue un funambule du jeu, qui a su refaire du Centre Court londonien son jardin d’Eden en martyrisant dimanche Marin Cilic (6-3, 6-1, 6-4), au bout d’une quinzaine exceptionnelle, durant laquelle il n’a pas cédé la moindre manche. Le tout en claquant son… 8e ace du match. Comme un symbole. Une performance aussi folle qu’admirable! Plus qu’un athlète d’exception, le Bâlois, 36 ans dans un mois, est un artiste, un virtuose, qui transforme tout ce qu’il touche en or. Les records fondent sous le poids de son incommensurable talent. La planète entière est à ses pieds, subjuguée. Béate d’admiration. «Les voitures ont cinq ou six vitesses, lui en a dix, il est incomparable», pose Boris Becker.

«Je n’avais jamais imaginé ça»

Incomparable, oui, car unique au monde. Capable non seulement de se réinviter au bal des champions quatorze ans après sa première quête sur le gazon de Church Road, de se réinventer aussi à longueur d’années, mais également de revenir de loin, de quasi nulle part pour tout dire, douze mois après avoir cru devoir abandonner une grande portion de ses rêves en ce même lieu, le genou meurtri. «Etre à nouveau ici, devant vous, avec le trophée entre les mains après tout ce qui s’est passé en une année, ça signifie tellement pour moi, souffla-t-il après avoir livré sa huitième symphonie. C’est un sentiment tellement fort, tellement bon, que je n’arrive pas tout à fait à croire que ce qui se passe est la réalité.» Sans doute parce que la plongée dans le grand huit donne le tournis. Mais c’est avant tout un vertige extraordinaire qui saisit le héros sur le toit du jeu. «Huit titres ici, dix-neuf ans dans les «majeurs»; je n’avais jamais imaginé ça. Dans ma vie, j’espérais juste peut-être avoir au moins une fois une chance de gagner Wimbledon…»

«J’étais tendu toute la journée»

Parce que la magie qui se dégage de son bras droit l’a aidé à écrire la légende, sa légende, l’émotion est palpable et rien ne peut la tempérer. Pas même le rappel que Cilic, en pleurs car victime d’ampoules aux orteils, a petit à petit rendu les armes au cours du deuxième set. Ce n’était évidemment pas le pied pour Marin, ni peut-être pour Federer qui aurait certainement rêvé d’une finale plus disputée, mais l’histoire ne s’est pas dessinée ici. C’est bien avant, d’entrée de jeu, que le No 5 mondial a placé son cadet sous l’éteignoir, en lui faisant visiter le court en long et en large, à grand renfort de délicieux amortis, d’accélérations fulgurantes et d’autres passings de feu. Comme si tout était trop simple. Et pourtant! «J’étais tendu toute la journée, mais j’ai heureusement su gérer mes nerfs le moment venu, remarquait le héros. Il faut dire aussi que nous avions parfaitement préparé cette finale avec Seve (ndlr: Lüthi) et Ivan (ndlr: Ljubicic). C’est un travail et une victoire d’équipe.»

Certes, mais ce huitième couronnement, qui ne consacre pas uniquement un «maestro» faisant merveilleusement jouer sa main sur un morceau de titane, est surtout celui d’un homme, d’un seul, qui défie le temps et repousse les limites. «Pour tous les autres joueurs du circuit, Roger est la preuve que l’âge n’est pas un frein à la progression, assène Marin Cilic. Son habileté et son désir de progresser encore à 35 ans et après tout ce qu’il a déjà gagné sont juste incroyables. On ne peut rêver plus bel ambassadeur pour notre sport.»

Et le tournoi britannique, comme Melbourne six mois avant lui, ne pouvait espérer plus beau champion pour son édition 2017 que le plus grand joueur de tous les temps. L’euphorie est telle sur Church Road – où l’on a prié tout au long de la quinzaine pour que le pari de la huitième quête soit réussi – que l’on n’est pas loin de changer le code postal des lieux (SW 19) en «RF 19». Simplement car avant lui, personne n’avait autant symbolisé Wimbledon que Roger Federer. Pas même Pete Sampras. «C’est ici, sur ce Centre Court, que tous mes rêves se sont réalisés, savoure le «Maître». Ce tournoi a toujours été mon favori. Alors marquer l’histoire en ces lieux est juste quelque chose d’énorme.»

D’énorme, oui, comme l’est la trace qu’a déjà laissée dans la légende l’auteur de cet extraordinaire conte de fées.

«Je m’en savais capable, mais peut-être pas à un tel niveau»

Si le Bâlois a toujours cru en lui et en ses chances de gagner à nouveau Wimbledon, il ne s’attendait pas à livrer un tel tennis

Tout au long de la quinzaine, son service a tourné à plein régime, mais c’est davantage son retour qui a subjugué l’assistance. Son retour à Wimbledon s’entend, un an après qu’il eut déserté le Centre Court le regard embué, avec un genou en compote et des doutes plein la tête. Douze mois plus tard, Roger Federer a signé un come-back sensationnel sur l’herbe de ses premiers exploits, de ses premiers émois. Et à analyser ses deux semaines passées pied au plancher, ses sept tours franchis sans égarer le moindre set, on pourrait croire qu’il lui suffisait de se présenter à Church Road pour embrasser le plus beau des trophées. Mais non, son retour au premier plan s’est dessiné dans la douleur. A force notamment de choix pertinents (break de six mois) et de programmation intelligente (impasse sur Roland-Garros), qui confirment que derrière le bras et les jambes se cache une tête bien faite. Très bien faite.

Et quand il parle, le Bâlois est comme sur le terrain; après le coup juste, il opte pour les bons mots. «Arriver ici pour coiffer une huitième couronne a été une longue et excitante route, dit-il. Elle a été dure aussi, mais c’est par-là qu’il faut passer pour gagner.» Oui, pour se donner le droit de goûter aux moments d’ivresse et de liesse, il faut savoir accepter de souffrir et de composer avec les désillusions. En dépit des émotions cueillies çà et là, Federer a su le faire durant les quatre années écoulées. En changeant de raquette d’abord à l’été 2013 («Les choses n’étaient alors pas drôles, ça n’allait plus dans mon jeu…»), puis en avalant sa dose de pain noir avec notamment ses revers en finales de Wimbledon 2014 et 2015.

Il y a pile deux ans, c’est d’ailleurs un parfum dramatique qui planait sur sa conférence de presse d’après-tournoi. Le «Maître» était apparu tout penaud, défait, détruit comme rarement car saisi par l’affreuse sensation que le train d’un huitième titre lui avait définitivement filé sous le nez. «Je ne sais pas si j’aurai encore cette chance un jour, lâcha-t-il. Wimbledon, c’est long. Il faut attendre un an avant de revenir, bien se préparer, gagner six matches pour arriver en finale… Cette défaite me fait mal.» Elle lui faisait d’autant plus mal qu’il aurait alors espéré pouvoir gagner avec Stefan Edberg dans son box.

Dimanche, le Suédois était malgré tout là, à Church Road, pour vivre ça. Non plus en qualité de consultant mais en tant que premier supporter. Comme Severin Lüthi (chapeau, Monsieur!) et Ivan Ljubicic, il a été de ceux qui ont poussé Federer vers l’excellence, qui l’ont incité à se renouveler, à se réinventer pour accéder à de nouveaux sommets. Devenu plus offensif et plus percutant, le Bâlois n’a pas attendu que le train repasse. Il a pris les choses en main pour aller le chercher. En changeant son revers pour ne plus en connaître. Puis en réalisant une première partie de saison d’exception et, enfin, en signant cet extraordinaire Wimbledon, orné par un tennis splendide. «Regagner ici, je savais que je pouvais le faire, mais peut-être pas avec un tel niveau de jeu», reconnut-il dimanche soir.

Sa grande force a été d’y croire et de mettre tous les atouts de son côté pour rendre possible ce que nombreux croyaient impossible en début de saison. De sa capacité à se réinventer est donc né un autre chapitre de la légende Federer. «Roger continue de s’améliorer tous les jours et c’est presque effrayant, quand on y réfléchit», lance Mario Ancic, son bourreau de Wimbledon 2002, devenu coach de Novak Djokovic. Boris Becker va encore plus loin dans le dithyrambe. «Federer pratique un tennis plus intelligent qu’il y a dix ans en arrière. Il n’a pas un plan A, mais il a tous les plans dans son jeu, de A à Z. Ses variations sont meilleures que jamais.»

L’homme, en réalité, est meilleur que jamais. Parce qu’il a un talent fou, mais pas que. «Avoir de la classe, cela ne t’amène nulle part, souligne-t-il. Il faut travailler tous les jours et avoir de l’amour pour ce que tu fais si tu entends aller loin.»