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dimanche 24 juin 2018

La crise qui a conduit la Suisse au bord de la guerre civile


Le politicien Robert Grimm, alors qu'il s'adresse ici à la foule rassemblée devant le bâtiment du gouvernement et du Parlement suisse, a été la force motrice de la grève générale suisse de 1918.
(Keystone)


Une récente production de la Société suisse de radiodiffusion et télévision, réalisée à l’occasion du centième anniversaire de la grève générale nationale de 1918, reconstruit l’un des épisodes les plus dramatiques de l’histoire suisse du 20e siècle. Une occasion de réfléchir au rapport entre la société helvétique et la culture de la grève.

Nous sommes juste à la fin de la Première Guerre mondiale: le mouvement ouvrier suisse est à bout de forces à cause de la stagnation des salaires, de l’inflation galopante et de la pénurie des denrées alimentaires. Le mécontentement des classes populaires croît de jour en jour, exacerbé par la disparité toujours plus grande entre la classe ouvrière et la poignée d’industriels qui arrivent à tirer d’énormes bénéfices de la guerre.

Grèves, actions de protestation et lock-out se multiplient, interrompant la trêve politico-sociale qui s’était instaurée lorsque la guerre avait éclaté. Le Comité d’Olten, un organisme non officiel créé par le socialiste Robert Grimm pour réunir les plus hauts dirigeants des syndicats et des partis de la nouvelle génération, prend la tête du mouvement en avançant des revendications en faveur des travailleurs et en brandissant la menace d’une grève générale à l’intention du Conseil fédéral, le gouvernement suisse.

Entre reconstructions historique et spectacle

Voilà brièvement le cadre historique, reconstruit à travers des matériaux cinématographiques et photographiques d’archives et des interventions ponctuelles d’historiens, dans lequel évolue la narration de la nouvelle production de la Société suisse de radiodiffusion et de télévision (SSR, dont fait partie swissinfo.ch). Dans la fiction cinématographique écrite par Hansjürg Zumstein et réalisée par Daniel von Aarburg, les acteurs principaux du conflit et les questions soulevées subissent une inévitable réduction: outre Robert Grimm (interprété par Ralph Gassmann), leader charismatique de la grève générale, nous retrouvons également Felix-Louis Calonder (Peter Jecklin), alors président de la Confédération, et Emil Sonderegger (Fabian Krüger), le militaire à la tête de l’Armée suisse et responsable de l’ordre public durant la grève.

La partie dramaturgique se joue surtout entre ces trois personnages, dont le perdant sera Robert Grimm, tout au moins dans un premier temps; par peur de voir le mouvement de grève se terminer dans un bain de sang, il en décrétera la suspension sans avoir obtenu de concessions significatives.

Progrès social et paix du travail

En apparence, la suspension de la grève générale, qui avait duré du 12 au 14 novembre 1918, fut une victoire pour les défenseurs de la ligne dure au sein de la classe bourgeoise. Robert Grimm et quelques autres leaders furent condamnés par la justice militaire et de nombreux cheminots, qui avaient constitué l’épine dorsale de la grève, perdirent leur travail.

Néanmoins, certaines revendications du Comité d’Olten devinrent réalité au cours des années qui suivirent: la réduction massive des horaires de travail, les augmentations salariales, l’Assurance-vieillesse et survivants (AVS), l’impôt sur la fortune et le suffrage universel féminin. De manière générale, la grève de 1918 porta à une amélioration graduelle des rapports entre les travailleurs et le patronat, et à la conclusion d’accords importants comme les Contrats collectifs de travail.

A travers ces conventions, signées dès la fin des années trente dans l’industrie horlogère et métallurgique, on arriva à ce qu’on appelle en Suisse la paix du travail, une situation dans laquelle les conflits entre employeurs et salariés se résolvent en évitant des mesures de lutte comme les grèves ou les lock-out.

La paix du travail rencontra une large approbation, en particulier pendant la Seconde guerre mondiale, des années marquées par un climat de consensus général. Elle est ensuite devenue une caractéristique immuable de l’identité helvétique, ainsi que le secret du succès économique de la Confédération pendant la seconde moitié du 20ème siècle.

La Suisse, un pays sans grèves?

Le concept de la paix du travail est en effet très ancré dans la mentalité helvétique et dans la perception que les étrangers ont de la Suisse. Aujourd’hui, il n’est pas rare de rencontrer des personnes qui pensent qu’en Suisse, il est interdit de faire grève. Il n’en est pas ainsi.


La Suisse est sans aucun doute l’un des pays européens où il y a le moins de grèves, mais le droit à la grève n’a jamais été supprimé, si ce n’est pour certaines catégories de travailleurs, et il a toujours été garanti par des normes comme la liberté d’association. Le droit à la grève a par ailleurs été consacré par la révision de la Constitution fédérale de 1999.

Contrairement à ce qu’on pense, la culture de la grève était très présente en Suisse par le passé: le nombre de grèves dans la seconde moitié du 19ème siècle et au début du 20ème siècle était comparable à celui des autres pays européens caractérisés par un taux de conflits sociaux élevé. Même pendant la période de la paix du travail après la Seconde Guerre mondiale, il y eut des épisodes importants d’interruption du travail.

De nos jours, d’aucuns estiment que le partenariat social, soit la collaboration constructive entre travailleurs et employeurs, est toujours plus en crise, en tout cas dans certains secteurs économiques. En effet, au tournant du troisième millénaire, on a assisté à une hausse des actions de grève qui, comme dans le cas des ateliers CFF de Bellinzone, ont touché des centaines de travailleurs et ont vu la participation active d’une partie de la population.

Il est peut-être trop tôt pour parler de la fin de la paix du travail, mais il se pourrait qu’un nouveau changement soit en cours.

Mattia Lento