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jeudi 19 juillet 2018

Indemnités chômage: l’UE fâche la Suisse et les frontaliers




A l’avenir, le chômage des frontaliers européens devrait être pris en charge par le pays où ils travaillent, et non plus celui où ils résident. Alors que cette annonce de l’Union européenne a fait l’effet d’une bombe dans la classe politique suisse, les principaux concernés ne voient pas non plus d’un bon œil cette réforme.

Chaque jour, près de 320'000 frontaliers européens se rendent en Suisse pour travailler. Actuellement, s'ils perdent leur emploi, ils sont à la charge de leur pays de résidence.

Avec la nouvelle réglementation que prévoit l'UE en matière d'assurances sociales, le frontalier au chômage dépendrait à l'avenir des Offices régionaux de placement (ORP) et toucherait le chômage suisse.

La réforme pourrait coûter jusqu’à un milliard de francs par an à la Suisse. Mais elle pose également de nombreuses autres questions.

Quand les nouvelles règles s’appliqueront-elles?

Pour entrer en vigueur, l'accord des ministres des affaires sociales de l'UE doit encore franchir l'écueil du Parlement européen. Les eurodéputés devront ensuite trouver un compromis avec les Etats membres pour permettre l'adoption définitive du texte. Le processus pourrait prendre plusieurs années et la version de l’accord connaître encore des modifications substantielles.

La Suisse sera-t-elle vraiment contrainte de s’y plier?

Le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) fait valoir que la Suisse n’est pas tenue de reprendre ces règles, qui ne font pas directement partie de l’accord sur la libre circulation des personnes. Une marge de manœuvre existe également. Le Luxembourg, qui compte 45% de frontaliers, a ainsi réussi à obtenir un délai de sept ans pour mettre en place cette nouvelle directive.

Reste que la pression des Européens sera certainement très forte. Selon La Tribune de Genève, la reprise automatique des règles concernant la sécurité sociale fait partie des négociations qui se tiennent en ce moment pour la signature d’un futur accord-cadre institutionnel entre la Suisse et l’UE.

Dans le contexte actuel, il paraît toutefois peu probable que la Suisse adopte cette nouvelle réglementation en l’état, estime Jean-François Besson, secrétaire général du Groupement transfrontalier européen (GTE). «Il s’agit d’une véritable bombe politique, puisqu’on mélange trois sujets très impopulaires en Suisse, à savoir l’Union européenne, les frontaliers et les indemnités chômage. Si une votation devait avoir lieu sur cette question, on peut déjà aisément en imaginer l’issue», s’inquiète le représentant de la plus grande association de défense des travailleurs frontaliers français actifs en Suisse.

Les frontaliers au chômage seront-ils mieux lotis sur le plan financier?

A l’heure actuelle, le travailleur frontalier bénéficie des prestations chômage en vigueur dans son pays de résidence. Les indemnités sont calculées par rapport au salaire qu’il touchait en Suisse. Certains pays se montrent cependant plus généreux que d’autres, notamment en ce qui concerne le montant de l’indemnité maximale.

En France, le montant de l’allocation (57% pour un salaire supérieur à 2154 euros) est certes moins élevé qu’en Suisse (70 à 80%), mais le chômeur bénéficie d’une durée d’indemnisation plus importante (700 jours contre 400). L’indemnité maximale est fixée à 7237 euros par mois.

«A priori, le nouveau régime semble plus favorable puisque les chômeurs recevraient une indemnité plus élevée à la fin du mois», commente Guylaine Riondel-Besson, responsable du service juridique du GTE. «Mais attention aux conclusions hâtives, poursuit-elle: la situation personnelle des assurés joue un rôle important. Un chômeur âgé qui reste longtemps sans emploi est ainsi mieux loti dans le système actuel, alors qu’un chômeur plus jeune et capable de se réinsérer rapidement sur le marché du travail s’en sortirait mieux s’il était indemnisé par la Suisse.»

En Italie, le salarié au chômage perçoit 70% de son salaire sur une période maximale de 24 mois. En revanche, l’indemnité maximale est fixée à 1314 euros par mois. A titre de comparaison, le salaire médian dans le canton du Tessin avoisine les 4800 euros par mois. Le nouveau régime devrait donc fortement améliorer la situation des travailleurs frontaliers italiens puisque leurs indemnités seraient davantage alignées sur le salaire réellement perçu en Suisse. 

En Allemagne, un frontalier au chômage touche une indemnité équivalente à 60% de son salaire (67% s’il a des enfants). La durée d’indemnisation varie fortement en fonction de l’âge et de la durée de cotisation: elle est au maximum de 24 mois pour un travailleur âgé de plus de 58 ans qui a cotisé durant au moins 4 ans. Le seuil maximal est fixé à 6500 euros pour les ex-Allemands de l'Ouest, respectivement 5800 euros pour ceux vivant à l'Est. Avec le nouveau système, les frontaliers allemands au chômage seraient un peu mieux lotis, avec toutefois là-aussi des différences substantielles selon l’âge et la durée de cotisation. 

Que pensent les frontaliers de cette nouvelle directive?

Sur les réseaux sociaux, de nombreux frontaliers voient une certaine logique dans le fait d’être indemnisés dans le pays où l’on travaille et où l’on a cotisé pour l’assurance-chômage. «La situation actuelle est anormale. La France n’a pas pour vocation de former des travailleurs pour qu’ensuite les richesses qu’ils créent se retournent contre l’Etat qui les a nourris durant des années», estime ainsi Nicolas sur la page Facebook de swissinfo.ch.

«La Suisse veut des avantages mais sans payer les risques. Il faut arrêter le cherry picking!», renchérit Ivan, en faisant allusion aux propos tenus par Emmanuel Macron à l’occasion du dernier Forum économique mondial de Davos.

Du côté des associations de défense des travailleurs frontaliers, le ton est en revanche beaucoup plus circonspect. «Que se passera-t-il lorsque un chômeur frontalier tombera malade? Ou lorsqu’il se retrouvera en fin de droit? Bénéficiera-t-il du même accompagnement que les chômeurs indigènes dans les ORP? Tant que ces questions essentielles ne seront pas clarifiées, il sera difficile de se prononcer sur le bienfait ou non de cette directive», affirme Jean-François Besson.

Président du Comité de défense des travailleurs frontaliers (CDTF), une association qui défend près de 20'000 frontaliers alsaciens actifs en Suisse, Jean-Luc Johaneck qualifie quant à lui cette réforme de «très mauvaise». «Les pays de résidence des frontaliers se focalisent uniquement sur l’aspect financier et non sur le reclassement des chômeurs. Ce n’est pas en agissant de la sorte que ces personnes seront mieux aidées et que le pays de résidence sera gagnant à moyen terme», affirme-t-il.

Tant Jean-Luc Johaneck que Jean-François Besson jugent qu’il serait préférable de revenir au système qui prévalait avant 2009 et l’entrée en vigueur des accords bilatéraux entre la Suisse et l’Union européenne. A l’époque, la Suisse rétrocédait à la France 80% des cotisations perçues sur l’assurance-chômage des frontaliers.

«Le système actuel n’est pas satisfaisant car la Suisse ne reverse qu’une faible part (de 3 à 5 mois) des cotisations perçues à ses voisins, ce qui leur est très préjudiciable», souligne Jean-François Besson. En 2015, la France a ainsi déboursé près de 610 millions de francs pour ses chômeurs frontaliers, alors que la Suisse ne lui a versé que 138 millions de francs de compensation.

Comment les partis politiques suisses réagissent-ils?

«Cette directive, c’est du pain bénit pour les populistes!», tonne Jean-François Besson. L’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) n’a pas tardé à monter aux barricades face à la décision des ministres des affaires sociales de l’UE. Fin juin, elle a invité ses groupes parlementaires cantonaux à lancer des initiatives exigeant que la Suisse ne verse pas d’indemnités chômage aux frontaliers. Il est fort probable que la Lega (Tessin) et le MCG (Genève), deux partis populistes qui ont forgé leurs succès électoraux en s’attaquant aux frontaliers, rejoignent également la fronde.

Au sein des autres partis, on estime que ce texte est une embûche de taille dans les relations déjà compliquées entre la Suisse et l’UE. «Ca donne des munitions à ceux qui veulent torpiller les négociations avec Bruxelles», a ainsi affirmé le député libéral-radical (PLR / droite) Laurent Wehrli dans la Tribune de Genève. «L’Union européenne n’aurait pas pu s’y prendre mieux pour ruiner les chances d’un accord-cadre», a pour sa part déclaré le président du Parti démocrate-chrétien (PDC / centre-droit) Gerhard Pfister.

Samuel Jaberg