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mardi 16 octobre 2018

Les vaches sont-elles plus heureuses avec des cornes ?


Les vaches portant des cornes sont de plus en plus rares en Suisse.
(Keystone)


Le bien-être animal est au cœur de l’initiative populaire sur les vaches à cornes. Les auteurs du texte dénoncent des souffrances inutiles. Les opposants mettent en avant la plus grande liberté de mouvement des bêtes écornées.

Un symbole de la Suisse en votation populaire: le peuple se prononce le 25 novembre sur les vaches, plus précisément sur leurs cornes. Une initiative dénonce l’écornage quasi-systématique des bovins et des caprins: seules 10% des vaches suisses possèdent encore leurs cornes selon les initiants, 25% selon la Confédération.

Ce scrutin questionne le décalage entre l’image que renvoie la Suisse et la réalité: les affiches publicitaires, prospectus touristiques et plaques de chocolat exhibent des vaches à cornes alors qu’elles sont de plus en plus rares. Mais le débat porte avant tout sur le bien-être animal: de l’écornage des veaux aux conditions de détention des troupeaux.

Le peuple se prononce pour la troisième fois de suite sur une thématique touchant la production agricole: en septembre, il a largement refusé l’initiative pour des aliments équitables, visant une agriculture plus durable, ainsi que l’initiative pour la souveraineté alimentaire, renforçant la production locale. Cette fois-ci, la votation porte plutôt sur un détail de l’agriculture suisse, bien qu’autour des cornes des vaches s’affrontent diverses visions du monde.

Qui est derrière cette initiative ?

Tout est parti d’un paysan de montagne grison qui habite dans le Jura bernois. Armin Capaul a accompli un petit miracle de la démocratie directe, en parvenant à lancer presque seul une initiative populaire et à récolter les 100'000 signatures nécessaires. Il est parvenu à financier la démarche en utilisant une partie de sa caisse de pension et grâce à des dons de privés, de la protection zurichoise des animaux et de la Banque communautaire libre. Armin Capaul est notamment soutenu par Bio Suisse, Greenpeace, la Société protectrice des animaux, une partie des agriculteurs ainsi que de nombreuses personnes qui adhèrent aux thèses anthroposophes de l’intellectuel Rudolf Steiner, qui développa notamment l’agriculture biodynamique. Le Parlement des Alpes, organisation ésotérique controversée, a de sa propre initiative pris en charge l’authentification des signatures.

Qu’exige l’initiative ? 

Le texte ne demande pas d’interdire l’écornage, mais d’encourager les éleveurs à conserver les cornes de leurs bêtes. L’initiative «Pour la dignité des animaux de rente agricoles» propose un ajout à l’article 104 de la Constitution, afin que la Confédération apporte un soutien financier aux détenteurs «de vaches, de taureaux reproducteurs, de chèvres et de boucs reproducteurs» tant que les animaux adultes portent leurs cornes.

Armin Capaul a lancé cette initiative en réaction à l’industrialisation toujours plus poussée du domaine agricole, qui pousse l’écrasante majorité des éleveurs à couper les cornes des vaches pour pouvoir les détenir dans un espace plus restreint. Il dénonce la lourdeur de l’intervention d’écornage, qui nécessite une anesthésie de l’animal et la prescription d’analgésiques pour supporter la douleur. Les veaux et les cabris sont écornés avant l'âge de 3 semaines, le bourgeon de corne est brûlé au moyen d'un fer chauffé. Plus de 20% des veaux continuent de ressentir des douleurs sur le long terme, selon le comité d’initiative.

Les partisans des cornes rappellent qu’il s’agit d’un attribut vivant faisant partie intégrante de l’animal. Ils estiment que les cornes permettent aux vaches de se reconnaître et jouent un rôle en matière de communication, de digestion, de soins et de régulation de la température corporelle. Pour les initiants, il est tout à fait possible d’élever des bovins avec des cornes en stabulation libre, il faut simplement mettre à disposition suffisamment d’espace pour que les bêtes puissent se déplacer sans stress et sans risque de blessure.

Le libre choix de l’agriculteur est respecté, souligne le comité d’initiative, et le soutien financier de la Confédération peut être intégré dans l’enveloppe globale du budget agricole.

Pourquoi le Conseil fédéral recommande le rejet ?

Cette initiative pourrait avoir des effets pervers, et s’avérer «en fin de compte plus nuisible que bénéfique aux animaux», considère le Gouvernement. Les éleveurs, encouragés financièrement à laisser les cornes à leurs vaches, pourraient alors renoncer à la stabulation libre et entraver les bêtes afin de gagner de la place et éviter les blessures. Une limitation de la liberté de mouvement et des contacts sociaux qui porte davantage atteinte au bien-être de l’animal que l’écornage, estime le Conseil fédéral. Ce dernier rappelle que les cornes accroissent le risque de blessures à la fois pour le troupeau et l’agriculteur.

La Confédération encourage déjà les formes d’élevage particulièrement respectueuses du bien-être des animaux, en versant des contributions pour les stabulations libres et les sorties régulières en plein air.

Cette initiative restreint aussi la responsabilité entrepreneuriale des agriculteurs, regrette le Gouvernement. L’éleveur connaît ses animaux et l’espace à disposition, il est donc «le mieux placé pour décider s’il veut détenir des animaux avec ou sans cornes». D’autant que la politique agricole vise justement à renforcer l’autodétermination entrepreneuriale des agriculteurs.

Le coût de l’application de cette initiative est estimé par le Conseil fédéral entre 10 et 30 millions de francs par an. Il faudrait donc couper ailleurs dans le budget agricole. Le Gouvernement indique également que l’enregistrement des animaux à cornes entraînerait des charges supplémentaires pour les cantons et la Confédération.

Quelle est la position du Parlement ?

Les deux Chambres suivent les arguments du Conseil fédéral et recommandent à une large majorité de rejeter l’initiative. Mais les débats ont été riches et émotionnels: les Verts et les socialistes ont tenté en vain de défendre le texte en mettant en avant la souffrance animale, la rareté des accidents graves impliquant des vaches à cornes et la volonté de cohérence entre la carte postale de la Suisse et la réalité.

Le vote a tout de même révélé quelques surprises: les abstentions étaient particulièrement élevées au sein du Conseil national (Chambre basse) et provenaient de députés de tous bords, y compris de nombreux UDC (Union démocratique du centre, droite conservatrice).

Même si l’initiative et la ténacité d’Armin Capaul ont suscité de nombreuses sympathies au sein du Parlement, une majorité considère que la législation actuelle est suffisante pour promouvoir le bien-être des animaux. Le libre choix des paysans, le risque de blessures et l’absence de prise en compte des races de vaches génétiquement sans cornes ont aussi été évoqués pour justifier ce rejet.

Des agriculteurs divisés

Les organisations agricoles n’ont pas de position unanime sur cette initiative pour les vaches à cornes. L’Union suisse des paysans a décidé de laisser la liberté de vote. L’Association des groupements et organisations romands de l’agriculture AgorA appelle au rejet du texte, le considérant comme «une forme de dirigisme malvenu». Il en va de même pour l’Union suisse des paysannes et des femmes rurales. L’Association des petits paysans et Bio suisse recommandent en revanche de voter oui, afin de limiter au maximum les opérations zootechniques et de promouvoir des élevages d’animaux conformes aux besoins des espèces.

Marie Vuilleumier