samedi 31 juillet 2010

Ultime espoir pour le jambon de la borne

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Coup dur pour le jambon de la borne valdo-fribourgeois et le boutefas: les spécificités de ces cochonnailles ne suffiront pas à leur assurer l'appellation d'origine contrôlée qui les distinguerait sur le marché international. Leur dernier espoir réside désormais dans une appellation décernée à leur matière première, le cochon suisse.

L'Interprofession de la charcuterie AOC change drastiquement de stratégie pour décrocher l'appellation d'origine contrôlée du jambon de la borne et du boutefas. Depuis qu'elle a déposé ses demandes d'AOC, en novembre 2006, l'association bute sur un os: trouver un porc valdo-fribourgeois fleurant assez le terroir pour que ces deux spécialités méritent la précieuse estampille. L'interprofession abandonne aujourd'hui cette piste régionale pour porter sa quête sur le plan national. Elle vient d'inviter Suisseporcs, la fédération suisse des éleveurs et producteurs de porcs, à demander une AOC supplémentaire. Pas pour une spécialité, mais pour la viande de porc suisse elle-même.

L'IMPASSE

Malgré de nombreux échanges avec l'Office fédéral de l'agriculture (OFAG), chargé d'administrer le registre des AOC, l'interprofession piétine depuis près de quatre ans. Le réquisit qu'elle doit satisfaire? Prouver que les caractéristiques - y compris gustatives - de ses deux spécialités ont un lien étroit et mesurable avec la race porcine, la méthode d'engraissement et l'affouragement utilisés dans l'aire de production (Vaud et Fribourg). Autrement dit: prouver qu'à recette égale, un porc élevé à Lucerne donnerait un jambon de la borne différent du jambon fribourgeois.Et c'est là que le bât blesse. Après quarante ans de sélection, un seul cochon, le grand porc blanc, domine le marché suisse. «Il n'y a pas de race valdo-fribourgeoise et nous ne pouvons pas en inventer une», explique le Romontois Christian Deillon, vice-président de l'Interprofession de la charcuterie AOC. «Nous avons donc envisagé d'engraisser ce porc différemment, mais c'est une impasse.»«Selon les experts, en nourrissant notre porc avec du petit-lait et des céréales de la zone valdo-fribourgeoise, nous n'obtiendrions pas de différence de goût significative par rapport à un porc venant du reste de la Suisse», explique Christian Deillon. Et Jean-Pierre Reichenbach, président de l'interprofession, de renchérir: «Un engraissement plus spécifique ne serait de toute façon pas rentable. Le jambon ne représente que 20% du porc. Aucun éleveur ne serait prêt à écouler les 80% restants au prix du porc standard.» «Et un engraissement plus pointu ne correspond à aucune tradition locale», souligne Christian Deillon. «Notre porc suisse a une qualité supérieure à tout ce qui se fait en Europe, on ne pourra pas faire mieux.»

TOUT EST BON

«Ça a été comme une lumière! On s'est dit: «Pourquoi ne pas obtenir une AOC du porc suisse?» retrace Jean-Pierre Reichenbach. «On pourrait partir sur la base du porc actuel produit dans toute la Suisse, peut-être en le spécifiant légèrement, en accord avec les producteurs.»Selon l'interprofession, ce porc servirait de matière première pour toutes les AOC charcutières. Pour le jambon de la borne. Pour le boutefas aussi - y compris pour le boyau, le point faible actuel du produit. «Le projet est ambitieux, on le sait. Mais sans cela, il n'y aura pas de charcuteries AOC pendant les prochaines décennies», estime le président.Une bonne idée? Pour Jacques Henchoz, qui gère les demandes liées au boutefas et au jambon de la borne à l'OFAG, elle ne va pas de soi: «Il faudra l'analyser. Mais a priori, on ne peut pas utiliser une viande AOC nationale pour élaborer des produits charcutiers AOC régionaux. C'est contraire aux fondamentaux de l'AOC, qui reposent sur le terroir», estime-t-il. Pas sûr, donc, que la cause de l'AOC porcine fasse avancer celle de ses dérivés...

L'AOC OU RIEN

La démarche est bien celle de la dernière chance pour le jambon de la borne et le boutefas. Car si l'AOC du porc devait échouer, l'interprofession ne semble pas prête à se rabattre sur une Indication géographique protégée (IGP), moins restrictive, comme le lui a suggéré l'OFAG.«Techniquement, nous le pourrions, car seule la matière première pose problème. Tout le cahier des charges concernant la transformation est en ordre. Il pourrait justifier une IGP», note Jean-Pierre Reichenbach. «Mais toutes les études le disent: une IGP n'a pas le même impact sur le consommateur. L'AOC est plus prisée. A l'exportation et pour le marketing aussi.»«Tous les membres du comité se battent depuis des années pour aboutir», poursuit le président. «Je ne pense pas que ce comité-là luttera pour l'IGP.» Christian Deillon appuie: «Il n'y a que l'AOC pour protéger le lien entre le jambon de la borne, la tradition, la bénichon et le canton. C'est cela qui me motive.»

Stéphane SANCHEZ