mercredi 18 août 2010

DES MILLIONS DE SINISTRÉS TOUJOURS SANS AIDE

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Quinze millions de Pakistanais crient à l'aide et ne voient toujours rien venir. Trois semaines après le début des inondations, qui affectent un cinquième du territoire, ce qui représente presque la surface de la Grande-Bretagne, les secours arrivent au compte-goutte. Si l'aide internationale commence à monter en puissance, l'ampleur de la catastrophe dépasse autorités et humanitaires. Luc Chauvin, conseiller régional Urgences de l'Unicef, craint une seconde vague de mortalité à cause de l'eau souillée.

Trois semaines après le début des inondations historiques qui frappent le Pakistan, les secours continuent d'arriver au compte-gouttes. L'argent aussi. Les ONG peinent à recueillir des fonds (voir édition d'hier). La Chaîne du bonheur repart en campagne, en organisant aujourd'hui la journée nationale de collecte en faveur des sinistrés des inondations au Pakistan. Elle n'a récolté jusqu'ici «que» 3,1 millions de francs pour le Pakistan, bien loin des 65,4 millions pour Haïti.

Les ONG ont pourtant un besoin urgent de fonds pour assurer les premiers secours. Si l'aide internationale commençait à monter en puissance hier, à la suite de l'appel lancé dimanche par Ban Ki-moon, secrétaire général de l'ONU, elle reste insuffisante aux yeux de Luc Chauvin. «Il faut une mobilisation massive de la communauté internationale à la hauteur de la catastrophe», insiste le conseiller régional Urgences d'Unicef, dépêché au bureau de Peshawar il y a une semaine.

Quelles sont les conséquences sur le terrain de ce manque de moyens financiers?

Luc Chauvin:
Nous ne sommes pas en mesure de fournir l'eau potable à des millions de personnes. Si on n'accélère pas le mouvement des dons, on risque une deuxième vague de mortalité liée aux eaux contaminées. Après le séisme de 2005 au Pakistan ou le tsunami en 2004, les fonds arrivaient dès le lendemain. Je sors d'une réunion et on se rend compte qu'on n'a plus d'argent. Mais on ne peut courir le risque de ne plus intervenir...

La situation est pourtant dramatique...

Le Pakistan connaît sa plus grande catastrophe humanitaire. Pire que lors du tremblement de terre en 2005. J'étais déjà venu sur place à l'époque. Les inondations ont affecté un cinquième du territoire pakistanais. Ce qui représente presque la surface de la Grande-Bretagne. Près de 15,4 millions de personnes sont touchées. Il y a encore des inondations en cours dans le nord et le sud, même s'il ne pleut plus. Les eaux des crues mettent du temps à traverser ce long pays. On est donc loin d'être sorti d'affaire. Surtout qu'on n'est qu'à la moitié de la saison des pluies qui peut se prolonger jusqu'à début octobre. La crise ne fait que s'aggraver.

Que redoutez-vous le plus?

Essentiellement une propagation des maladies transmises par les eaux souillées: diarrhée aigüe, dysenterie, choléra, infection de la peau. Il y a des phénomènes d'eau stagnante sur de très vastes superficies. Ce qui veut dire que l'eau contamine les puits, le système d'adduction d'eau, les sanitaires, etc. Les enfants sont particulièrement touchés. Beaucoup souffrent de malnutrition et sont très affaiblis. C'est en assurant une eau potable que l'on évite les maladies. Mais 15 millions de personnes en ont besoin...

C'est l'affaire de l'Unicef...

Oui. On fournit de l'eau potable à environ 1,4 million de personnes. On affrète des camions-citernes qui distribuent l'eau dans les écoles, les centres de santé, là où sont regroupées des personnes déplacées. On est aussi très engagés dans la réhabilitation des systèmes d'adduction d'eau endommagés. Grâce à nos interventions, nous avons pu reconnecter 800 000 habitants au réseau en quinze jours. Mais on arrive à peine à répondre à 20% des besoins.

Quelle est la priorité?

Il faut assurer un toit, de la nourriture, de l'eau potable et la santé des plus vulnérables, les femmes et les enfants. Ils manquent de tout. Le Programme alimentaire mondial (PAM) ne couvre par exemple que 40% des besoins dans la province dont Peshawar est la capitale.

Les sinistrés se plaignent de la lenteur des secours. Qu'en est-il?

Du fait de l'énormité de la crise, tout le monde est dépassé: le gouvernement, comme les humanitaires déjà sur place. Des moyens logistiques exceptionnels doivent être mobilisés. L'armée pakistanaise fait un travail excellent mais elle ne peut pas tout faire. Tous ses hélicoptères sont réquisitionnés.

Il y a aussi les difficultés d'accès...

La crise se développe sur plusieurs fronts et sur un territoire énorme et varié (montagne, plaine...). D'où les difficultés d'accès. La distribution des secours est compliquée quand vous voyez l'étendue des inondations. Dans la province où je me trouve, il y a des zones totalement inaccessibles. Les flots ont emporté des pans entiers de routes, 200 ponts ont été arrachés. L'accès aux populations des régions montagneuses ne peut se faire que par hélicoptère et à dos de mules.

Qu'en est-il de la sécurité dans une région en proie à une insurrection talibane?

Pour le moment, la situation est calme sur la zone. Il n'y a pas eu d'affrontements récemment. Les talibans actifs dans les zones avoisinantes de Peshawar sont eux-mêmes victimes des inondations. Et ils ont d'autres urgences que de prendre les armes... Mais c'est le calme avant un nouveau coup de force. Une faible réponse de la communauté internationale dans l'aide aux sinistrés ne peut que renforcer cette instabilité.

Thierry Jacolet