lundi 16 août 2010

LA PIERRE SUISSE PAVE LES ALLÉES DU MONDE DE LUXE

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Pas banale, la pierre suisse. L'air de rien, les blocs de gneiss ou de quartzite arrachés à nos carrières séduisent les amateurs de luxe et les architectes du monde entier. A Osaka, Singapour, Vienne ou Manhattan, des bâtiments prestigieux sont recouverts de pierres helvétiques. Au point que la filière rêve déjà d'un pôle de compétence national dédié à la pierre de taille. Car le champ d'application est vaste: les Suisses produisent par exemple des skis de pierre. Du très haut de gamme, à 5900 francs la paire.

Les dalles de gneiss produites par la carrière Abraham Conrad AG, à Andeer, manquaient de résistance à la flexion. Avec le concours d'un ingénieur allemand, la société grisonne les a revêtues de fibre de carbone. Et voilà que Zai, une PME de Disentis, a eu l'idée d'utiliser ce gneiss grison renforcé de carbone allemand pour fabriquer... des skis haut de gamme. Selon Benedikt Germanier, directeur, ils se vendent comme des petits pains à... 5900 francs la paire! On parle déjà d'applications dans l'industrie aéronautique, la densité de ce matériau étant semblable à l'aluminium...De la pierre suisse dans les skis et les avions? Habiles dans la lecture des veines des rochers qu'ils taillent, les carriers suisses restent réalistes. «La branche est difficile», confirme un des descendants d'Abraham Conrad. On ne saurait le contredire: chez le voisin tessinois, depuis 1990, 40 entreprises sur 80 ont disparu. En 2009, les exportations ont chuté de 30 000 tonnes sur un total de 100 000. C'est pourquoi l'association faîtière des carrières (Naturstein Verband Schweiz ou NVS) verrait d'un bon oeil que la Nouvelle politique régionale (NPR) de la Confédération aide à la création d'un pôle de compétence. «Des programmes comme ceux de la promotion du bois soutiendraient les entreprises orientées vers l'exportation comme c'est le cas au Brésil ou en Turquie», déclare Titus Toscano, président de la NVS. «En Suisse, il faut aussi promouvoir la pierre naturelle dans les Hautes écoles.»Il en va de la pierre comme du bois avant qu'on ne s'en occupe: les plans d'études des ingénieurs et architectes n'en disent mot. Un doctorant en architecture de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) planche actuellement sur les constructions en blocs massifs. «Je suis une exception», confie Stefano Zerbi. «On ne nous parle pas de la pierre naturelle comme d'un matériau d'avenir, alors qu'elle l'est, parce que c'est une matière première abondante en Suisse et peu gourmande en énergie grise si elle est extraite près du chantier.» Grâce à sa qualité, la pierre suisse a sa chance à l'étranger. Egalement patron de l'entreprise éponyme à Andeer (6000 tonnes par an), Titus Toscano a fourni 4000 m2 de granit vert pour les façades de la Millenium Tower de Vienne ou encore 14 000 m2 pour celles du Parlement de Basse-Autriche. Ses pierres ont aussi servi à Manhattan ou Yokohama...

Jusqu'à Singapour...

Président des carriers tessinois et patron d'entreprise à Ceveo (TI), Mauro Bettazza est critique face à la NPR. «Je pense qu'elle sert à financer des études», lâche-t-il. «Or des idées, nous en avons assez!» Selon lui, les freins sont la main-d'oeuvre chère et la gestion restrictive du territoire. Le Tessinois a aussi ses références: son gneiss du val Maggia habille le Japanese Center de Singapour ou, dans sa région, l'église de Mogno signée Mario Botta.

... et au Japon

La recette des carriers pour se faire connaître à l'étranger? Participer aux foires et entretenir les contacts avec les partenaires de la branche. Le bouche à oreille fonctionne aussi. 12 000 m2 de dalles de gneiss grison de la Calanca de l'entreprise Alfredo Polti ont servi au dallage du Golf-Club Toyota d'Osaka. C'est un artiste qui passait dans la vallée et qui l'a recommandé à un architecte... Esthétique, la pierre suisse c'est aussi du solide. Avec celui du val Maggia (TI), le gneiss de la Calanca est le seul à se laisser séparer au burin (cliver) en couches de 4,5 cm d'épaisseur alors que les autres ont déjà cassé depuis belle lurette. Son prix: 100 à 130 francs le m2.

Quartzite de Vals, la star

Mais la star du moment est sans conteste le quartzite de Vals que l'on peut fouler sur la place Fédérale à Berne. Son utilisation par l'architecte Peter Zumthor pour les termes de Vals lui a ouvert les marchés internationaux. Les formes complexes du bâtiment ont exigé des découpes au dixième de millimètre des quelque 60 000 dalles fournies par la société locale Truffer AG. Cette entreprise écoule 50% de sa production à l'étranger où elle a 300 clients (700 en Suisse).Collaborer avec un architecte de renom, voilà un bon filon. Le quartzite de Truffer a ainsi séduit le célébrissime Norman Foster qui en a recouvert les sols de la Capital City Academy de Londres. Du reste, au moment où «La Liberté» a tenté de contacter Pia Truffer, une des directrices de la société, elle se trouvait aux USA pour affaires. Comme quoi les carriers suisses n'attendent pas la NPR pour bouger.

Pierre-André SIEBER