Homosexualité, jeux érotiques : une exposition espagnole présentera la vie intime de nos aïeux du paléolithique, taboue jusqu'ici.
Il faut cibler juste, entre deux expéditions dans les grottes du Nord de l'Espagne, pour parvenir à joindre Marcos García Díez. Ce préhistorien œuvrant pour le gouvernement régional de Cantabrie est l'un des commissaires de l'exposition « Sexe en pierre » (« Sexo en piedra »), qui sera inaugurée fin septembre près du gisement archéologique d'Atapuerca, au Nord de l'Espagne, l'un des plus importants d'Europe.
Il décroche finalement son téléphone après une visite matinale, enthousiaste à l'idée de présenter bientôt au public son idée phare :
« La sexualité liée au plaisir, à la sensualité et non à la seule reproduction existait déjà il y a entre 35 000 ans et 10 000 ans [période du paléolithique supérieur, lorsque l'Homo sapiens est arrivé en Europe, ndlr]. Les bases de notre comportement sexuel actuel se trouvent à cette époque. »
C'est une quinzaine de gravures sur pierre et de sculptures représentant des humains dans le détail (relatif) de leur anatomie -chose rare selon le préhistorien- qui l'ont convaincu de monter cette exposition. On y (re)découvre, selon lui, les positions les plus variées, des scènes de masturbation, des godemichés, un cas potentiel de zoophilie et même un voyeur.
Le travail commun d'un préhistorien et d'un urologue
En discutant avec un ami urologue, passionné de préhistoire, Javier Angulo, naît l'idée d'un livre, co-écrit en 2005, puis de cette exposition, une première en Espagne. Marcos García Díez se souvient :
« Les rapports scientifiques évoquant ces dessins étaient toujours très aseptisés, éminemment descriptifs. »
Le puritanisme aurait en effet empêché pendant des décennies les paléontologues d'entrer dans le détail de ce qu'ils découvraient :
« Vous les imaginez décrire en 1930 ou 1960 les scènes apparaissant sur ces plaques ? Ils se sont cantonnés pendant longtemps à observer la société d'il y a 35 000 ans à travers un prisme prude. »
Les deux commissaires ont, eux, osé l'interprétation, en s'appuyant sur les clefs complémentaires fournies par leurs parcours de préhistorien passionné d'ethnologie et d'urologue calé en gynécologie et sexologie.
Des godemichés en os ou en pierre
Des Vénus paléolithiques, célèbres représentations aux attributs féminins hypertrophiés, seront présentées lors de l'exposition. Elles illustrent « le concept de femme liée à la reproduction », souligne le commissaire de l'exposition :
« Mais nous découvrons aussi un monde percevant le sexe comme un plaisir. Il existe ainsi une gravure sur une plaque de pierre montrant une femme à quatre pattes devant une personne. Et, chose très rare, une autre personne en retrait semble les observer.
Nous n'avons connaissance que d'une scène de ce type, nous ne pouvons donc pas affirmer que le voyeurisme était répandu, mais il semble bien qu'il ait existé. »
L'exposition évoquera également les vestiges sculptés en os ou en pierre, « très lisses » et de forme phallique, qui pourraient « avoir été utilisés comme des godemichés » :
« Nous avons observé cette pratique dans des sociétés dites primitives actuelles. Mais nous ne saurions pas dire qui, des femmes ou des hommes, les utilisaient. »
Une gravure explicite trouvée sur une plaque en pierre dans la grotte de La Marche, près de Poitiers, en France, ainsi que d'autre vestiges de l'époque découverts en Europe, indiquent d'autre part, sans l'ombre d'un doute selon Marcos García, que le sexe oral existait aussi à l'époque.
Certains observateurs voient deux femmes dans cette scène. Et s'appuient sur d'autres fameux vestiges, comme les femmes de Gönnersdorf, une gravure de deux femmes enlacées trouvée en Allemagne, pour affirmer que l'homosexualité existait déjà à l'époque.
Tabou scientifique autour de l'homosexualité pendant la préhistoire
Pas si vite, avertit Marcos García, qui nuance l'interprétation de la plaquette de La Marche :
« Est-ce une femme ou un homme ? Difficile à dire. Une série de gravures pourraient effectivement laisser entendre que l'homosexualité existait bien à l'époque, d'autant plus que ces personnes nous sont identiques, biologiquement. Mais il est scientifiquement difficile de le prouver à partir des dessins. »
Pour Jim Neill, auteur des « Origines et le rôle des relations homosexuelles dans les sociétés humaines », il est « inévitable que des pratiques homosexuelles aient été répandues chez les peuples paléolithique ». Depuis les Etats-Unis, il explique :
« Les comportements homosexuels couramment observés chez les primates […], et surtout les comportements sexuels plus élaborés des grands singes, plus proches des humains, montrent que que le fort potentiel de relations homosexuelles est une caractéristique générale parmi les grands primates, y compris les humains. »
Mais là aussi, comme autour des scènes hétérosexuelles les plus osées, un grand silence a pesé pendant longtemps. La faute, selon Jim Neill, au « tabou très fort autour de l'homosexualité qui a régné dans les communauté scientifique et académique jusqu'à récemment ».
Elodie Cuzin