mercredi 13 octobre 2010

La Gruyère, son château et ses légendes au Moyen Âge

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Grue d'argent sur champ de gueules



Le voyageur qui s'arrête à Gruyères, séduit par un site incomparable peut être décontenancé. On trouve en effet des foisons de "Gruyères" sur le chemin de migration de ces échassiers. Tôt l'oiseau est devenu symbole de vigilance, de longévité, voire d' éternité. On le découvre dans le blason de la Haye, puis dans les Ardennes, en Bourgogne, en Suisse romane, en Savoie et enfin en Provence. Le village voisin de Grandvillard porte 2 grues affrontées et le marquisat de Vignon en Provence une grue à deux têtes couronnées d'or. Le symbole porte aussi des mystères, en Haute Savoie existe un village nommé aussi Gruyères, qui comporte aussi comme une constellation les villages de Pringy, Epagny, La Tour, Grand Villard (Grandvillard en Suisse). Cette constellation se retrouve au pied du Moléson !





Histoire du château



Pour vous donner envie de découvrir plus à fond ce haut lieu du Moyen Âge qu'est la cité de Gruyères, en voici une description.

La croupe rocheuse qui, après avoir longé le bassin de Bulle (ville voisine), déborde vers l'est et resserre la vallée de la Sarine, était prédestinée à la construction d'une forteresse féodale. Un tel ouvrage devait permettre de contrôler le cours supérieur de la rivière qui, ici, quittait la montagne pour arroser une région mise en valeur à partir du XIe siècle, après maints défrichages. Du haut de cette éminence, il était facile de surveiller la vaste plaine s'étendant en bordure des Alpes.

Pour des raisons économiques, ceux qui devinrent propriétaires de cet ouvrage ne purent que souhaiter un tel contrôle, même si cela les fit entrer en conflit avec le centre ecclésiastique, et sans doute aussi séculier, de Bulle et ses maîtres, les évêques de Lausanne.

On ignore aujourd'hui encore à quelle date fut fondée la maison comtale de Gruyères (Entre les IXème et XIIème siècle). Il est toutefois permis de supposer que cette lignée dynastique ou des précurseurs ayant porté un autre nom s'étaient vu concéder la région en fief à l'époque du Royaume de Haute-Bourgogne. On croit savoir que cette famille de nobles fut également liée à un plus vieux comté, celui d'Ogoz, dont le nom survécut dans celui du château haut-moyenâgeux de Pont-en-Ogoz. L'origine du mot "Gruyère" demeure, elle aussi, obscure. Le "S" final de la localité ajouté au toponyme de la région semble être de caractère purement administratif. La grue, emblème des armoiries et du sceau de la maison de Gruyères, est apparue en 1221 déjà. Le choix de cet oiseau peut-il être attribué à l'adaptation d'un toponyme déjà existant ? Cela n'est pas impossible. Il existe d'autres interprétations étymologiques. D'autres historiens pensent que ce nom vient de la fonction qui équivalait à celle d'un intendant des eaux et forêts ("La Gruerie" ou l'intendance des chasses.)

C'est en 1073 que le château fort, la partie la plus ancienne de l'agglomération fortifiée qui occupait la colline, est signalée pour la première fois. Font partie des plus vieux éléments encore visibles une tour de plan carré et la solide enceinte intérieure, dont les murs de quatre mètres d'épaisseur délimitent la cour du château à l'ouest, au nord et à l'est.

Par la suite, d'autres bâtiments d'habitation furent adossés à ces murs. Ce secteur de l'ouvrage devait déjà être terminé au début du XIIIe siècle, peut-être même, dans sa majeure partie avant 1200. Il semble que la partie orientale de la bourgade date elle aussi du XIIe siècle, du moins pour ce qui est du haut de l'agglomération, jusqu'à l'actuelle porte de Saint-Germain.

Des documents de 1195/96 font en effet état d'un marché auquel les comtes durent, après des différends avec l'évêque de Lausanne, renoncer en faveur de celui de Bulle. Le marché de Gruyères renaîtra d'ailleurs plus tard.

La Savoie entra en scène au XIIIe siècle. Devenus ses vassaux en 1244, les comtes de Gruyères prirent part à plusieurs guerres menées par leurs maîtres. Ce qui ne les empêcha pas de veiller aussi à conserver, et même à élargir leur propre territoire. Le témoin le plus marquant de l'époque de Pierre II de Savoie, c'est le gros donjon circulaire qui se dresse à l'angle sud-est du château. Datant environ de 1250, il mesure 11,25 mètres de diamètre et se distingue par ses étages voûtés. Le mur d'enceinte extérieur aggrippé à la pente rocheuse abrupte a probablement été renforcé et surélevé à la même époque, ce qui permit l'aménagement de la large plate-forme saillant du côté de la cour intérieure et surmontée de tours rondes.

Son secteur nord-ouest sert aujourd'hui de point de vue, celui de l'est est agrémenté depuis l'époque baroque d'un ravissant jardinet à la française.

L'une des tours abrite la chapelle domestique citée pour la première fois en 1324 et dans laquelle fut creusé un puits.

Se fondant sur un document de 1221 et sur la date presque analogue de construction de l'église paroissiale englobée dans les remparts, plusieurs historiens pensent pouvoir fixer à cette époque la fondation de la bourgade avancée et de son dispositif de défense. Ce qui correspondrait à la période où Bulle, rivale de Gruyères, perfectionna l'aménagement de sa cité et de ses fortifications. Aujourd'hui encore, l'attention des visiteurs est retenue par le quartier occidental où les ruelles légèrement en courbe en raison de la topographie du site vont en se rétrécissant, par le calvaire baroque dressé près de l'ancienne gabelle, là où les rues bifurquent, et par de remarquables demeures, dont plusieurs datent du Moyen Âge finissant.

Par la mort de François d'Oron cette dynastie s'éteignit en 1388. Celui-ci avait légué son héritage - Les Seigneuries d'Attalens et d'Oron - aux comtes de Gruyères, qui tout d'abord, ne parvinrent pas à le conserver. Ils durent l'aliénér, ce qui, pour Oron, entraîna plusieurs mutations de propriété successives. Ce n'est qu'en 1457 que François de Gruyères parvint à racheter Oron, en même temps que la Seigneurie voisine de Palézieux. Les comtes d'Oron avaient ainsi crée une étape fort utile entre leur Seigneurie d'Aubonne et leur domaine patrimonial. En acquérant, en 1518, Châtel-Saint-Denis, ils réalisèrent de plus un lien direct entre le comté de Gruyères et la Seigneurie d'Oron.

Comparées aux maisons de cette zone, celles à l'intérieur de la bourgade paraissent plus espacées. On sait cependant qu'autrefois deux rangées de maisons serrées occupaient cet endroit.

Les murs d'enceinte et le château furent encore remaniés au XVe et XVIe siècles. Pour ce qui est de son histoire, cette époque est caractérisée par l'aménagement du territoire gruyérien s'étendant de la source de la Sarine à la cuvette de Bulle et au col de Jaun, mais aussi par l'affermissement de la classe paysanne et de la bourgeoisie qui acquirent une certaine prospérite grâce à l'élevage, ainsi qu'à la production et au commerce du fromage. Les habitants de Gruyères en particulier surent, au XVe siècle, se faire octroyer des franchises. De leur côté, les comtes, aspirant à plus d'indépendance, conclurent un droit de combourgeoisie avec Fribourg et, aux côtés des Confédérés, participèrent aux guerres de Bourgogne. Ce qui, lors de la conquête du pays de Vaud (1536) leur permit d'échapper à une occupation par les troupes bernoises ou fribourgeoises.

Les énormes frais occasionnés par diverses constructions endettèrent à tel point la maison comtale qu'en 1555, elle fit faillite. Son territoire fut partagé entre Berne et Fribourg. Par la suite, les dispositifs de défense, en particulier les remparts dressés au nord de la ville, furent renforcés. C'est aussi à cette époque que fut construite la barbacane nommée "Le Belluard", un ouvrage mieux adapté que les autres défenses aux nouvelles techniques de l'artillerie.

Peu avant 1500, on entreprit le remaniement du corps de logis, l'imposante aile d'habitation délimitant le côté sud de la cour intérieure. Tous ces travaux tirent largement compte de plusieurs demandes des châtelains, qui aspiraient à plus de confort. La décoration domestique ne fut pas négligée non plus. Il est fort probable que les réalisateurs de ces diverses transformations prirent pour modèle le château d'Issogne, dans la Val d'Aoste, dont les maîtres étaient liés d'amitié avec les comtes de Gruyères. Et c'est sans doute aussi sous l'influence de la Renaissance italienne que virent le jour la tour d'escalier octogonale et les arcades qui de trois côtés longent la cour. Suite à des très lourdes dettes, le Jean Amédé fut contraint de vendre le château de Rolle au Comte Michel de Gruyères. Mais comme nous l'avons vu, tous ces investissements coûtèrent finalement aux comtes leur propriété. Le dernier des comtes de Gruyères, Michel, termina sa vie en France, où il était chef d'une troupe de mercenaires.

Au matin du 9 novembre 1554, Michel s'intitulait encore : Prince et Comte de Gruyères, chevalier de l'ordre du Roi, baron de Montsalvan, d'Oron, d'Aubonne, de Rolle, et Mont-Le-Vieux, de Coppet, de Divonne et de la Bâtie, Seigneur du Vanel et du Gessenay, de la Tour de Trème, de Corbière (y compris le Val de Charmey et le territoire de la Valsainte) de Palézieux, de Bourjod et de Corsier. Le Soir il était dépourvu de terres et droit. Un an plus tard les deux villes de Fribourg et de Bern donnèrent raison à la prédiction du bouffon (ou fou du Roi) Chalamala en 1349 : "L'Ours de Bern mangera la Grue dans le chauderon de Fribourg". Il aurait passé sa dernière nuit "En Suisse" dans le château d'Oron...

Les Fribourgeois et les Bernois se répartirent les différentes propriétés. Berne acquit les territoires actuellement vaudois. (Après avoir passé aux mains de Fribourg qui, jusqu'en 1798 fit administrer la Gruyère par un bailli, le château ne subit plus aucun remaniement d'importance. Il fut restauré au XIXe siècle, alors qu'il était propriété de la famille Bovy (Messieurs John et Daniel Bovy, horlogers à la Chaud-de-Fonds). A cette occasion, des peintres tels que J.-B. Corot et Barthelemy Menn enrichissent les boisements de quelques pièces de ravissants paysages, une attraction de plus pour les visiteurs. Le Château a été repris en 1938 par une fondation qui l'a aménagé en musée.

Egger Ph.