samedi 27 novembre 2010

POUR GRADER À L'ARMÉE, APPRENEZ L'ALLEMAND!

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Encore jeune recrue, vous aspirez à grader, mais votre allemand «de milice» se limite aux mots «Gamasche» et «Fassmannschaft»... Eh bien, c'est mal parti! Etudiante à l'Université de Fribourg, Gabriele Wittlin a lancé hier un petit missile. Selon son étude présentée lors d'un symposium d'officiers à Fribourg, les Latins ont intérêt à maîtriser l'allemand s'ils espèrent prendre du galon. Même si, officiellement, la langue n'est pas un critère de sélection. Au sein de l'état-major, la germanisation est aussi à l'oeuvre.

«Le mélange des langues, tel qu'il se pratique aujourd'hui, mène à la germanisation par le bas de l'armée suisse.» Etudiante en sciences et didactique du plurilinguisme à l'Université de Fribourg, Gabriele Wittlin a lancé un petit missile hier à l'occasion du Symposium des officiers de Suisse occidentale et du Tessin, qui se tenait à Fribourg. Selon l'étude qu'elle a présentée devant un parterre de gradés, la langue allemande est devenue un critère de sélection des candidats à l'avancement. Le problème étant que cette sélection, qui s'effectue aux dépens des Latins, s'opère de façon implicite. En tenue camouflage.Pour l'affirmer, Gabriele Wittlin s'appuie sur des entretiens menés dans trois écoles de recrues de formations plurilingues (Fribourg, Kloten, Bière). La chercheuse y a interrogé 136 sous-officiers des trois langues (allemand, français, italien), ainsi que 93 recrues romandes et 20 tessinoises, sur leur pratique des langues sous les drapeaux. Résultat: parmi les sous-officiers alémaniques, 44% jugent leurs connaissances du français insuffisantes. Seulement 33% des Tessinois et 22% des Romands ressentent une gêne identique en allemand.«Il serait hâtif d'en conclure que les Romands maîtrisent mieux l'allemand que les Alémaniques le français», nuance Gabriele Wittlin. «J'y vois plutôt le résultat d'une sélection opérée en amont. Ne sont proposées à l'avancement que les recrues qui possèdent un bagage linguistique correspondant aux attentes de celui qui les choisit.» Sous-entendu, en allemand.

L'art de la débrouille

Apparemment mieux armés, les sous-officiers latins se sentent moins souvent démunis à la tête d'un groupe plurilingue que leurs homologues germanophones. Signe de leur malaise, ceux-ci donnent d'ailleurs souvent l'instruction exclusivement en allemand (à 23%), voire en suisse-allemand (23%)! Leurs subordonnés se débrouillent alors comme ils peuvent, s'appuyant souvent sur leurs collègues. «La médiation fonctionne bien», se félicite Gabriele Wittlin. Autre agréable surprise pour elle: une écrasante majorité des recrues interrogées (88% des Romands!) apprécient d'effectuer leur service dans un environnement plurilingue.Les Latins ne s'en sentent pas moins «lâchés par l'institution militaire et discriminés», soutient la chercheuse. Discriminés, parce que faute de maîtriser l'allemand, ils peinent davantage à faire valoir leurs qualités, et parce qu'à cause de la langue, ils prennent du retard dans l'instruction, qu'ils doivent rattraper lors des soirées libres ou le samedi matin. Démotivées, des recrues renoncent alors à grader.A vrai dire, la langue a toujours servi de critère de sélection à l'armée. «Mais désormais, elle entre en ligne de compte plus tôt, précise le colonel Luc Monnier, organisateur du Symposium des officiers de Fribourg. Autrefois, l'armée était en effet construite sur une base territoriale, avec des troupes cantonales étoffées. Il fallait donc recruter des cadres latins en nombre. Aujourd'hui, avec la réduction des effectifs qui va se poursuivre, toujours plus de troupes deviendront mixtes et les places d'officiers deviendront plus chères. «Pour éviter tout dérapage, il ne faudrait pas que la langue devienne un critère de sélection. Ou alors, il faudrait qu'elle le devienne pour tout le monde», avertit le colonel Monnier.

Des pistes de solution

De son côté, Gabriele Wittlin souligne «un vide entre les exigences de l'armée et les connaissances scolaires honorables des sous-officiers». Pour le combler, la chercheuse fribourgeoise propose plusieurs pistes: dépistage des compétences linguistiques lors du recrutement; instruction de base dispensée exclusivement dans la langue des recrues; et pour les sous-officiers, des stages dans des troupes d'autres langues. Sera-t-elle entendue à Berne? Elle-même bilingue, l'auteure de l'étude serait bien inspirée d'en prévoir une version allemande...

Serge GUMY