.
Photo: BCU FRIBOURG FONDS MÜLHAUSER
L'imposant fonds d'archives de l'Etablissement cantonal d'assurance des bâtiments (ECAB) est une vraie mine d'or pour les historiens. Regroupant les comptes-rendus de quelques 10'000 incendies survenus dans la région depuis 1831, il permet d'en apprendre beaucoup sur la nature et les causes de ces sinistres. Mais pas seulement: ces milliers de récits en disent aussi long sur les us et coutumes d'une époque. Rencontre avec Cédric Margueron, un des chercheurs ayant compulsé cette masse de documents.
Quels rapports entretiennent les Fribourgeois avec l’incendie depuis le XIXe siècle? Qui ou quoi a pour habitude de bouter le feu? Les sinistres ont-ils causé beaucoup de décès dans le canton?
Grâce à un important fonds d’archives de l’Etablissement cantonal d’assurance des bâtiments (ECAB), les historiens sont désormais capables de répondre à ces questions, et à bien d’autres encore.
D’une grande richesse, ce fonds qui regroupe les comptes-rendus de 10000 incendies ayant éclaté depuis 1831, occupe 80 mètres de rayonnages. Sous la direction de l’archiviste cantonal Alexandre Dafflon, des spécialistes ont méthodiquement épluché ces archives, uniques en Suisse.
L’un d’entre eux, Cédric Margueron, lui-même pompier à Villars-sur-Glâne, livre en primeur à «La Liberté» les premiers résultats de ses recherches.
Cédric Margueron, avec Patrick Bondallaz et Annick Jermini, vous avez dépouillé 10000 dossiers décrivant en détail les incendies fribourgeois entre 1831 et 1969. Quelles sont les causes principales des sinistres?
Les imprudences à elles seules sont à l’origine de plus du quart des incendies. Suivent sur le podium les défectuosités et la foudre.
Parmi les imprudences, quelles sont celles les plus répandues?
Elles sont constantes au cours des siècles: un fermier qui fume sa pipe dans la grange, un fumeur qui s’endort avec sa cigarette, des braises déposées dans une poubelle ou encore des enfants qui jouent avec des allumettes. En 1964 par exemple, le préfet de la Gruyère s’inquiétait du nombre de sinistres provoqués par les bambins. Dans un cas précis, il avait écrit la recommandation suivante: «Cet enfant présente de forts symptômes de pyromanie, il ne serait pas indiqué de le laisser dormir une nuit de plus chez ses parents qui habitent une maison en bois.»
Le réchaud à fondue qui boute le feu à la maison, est-ce une légende urbaine ou une réalité?
Les cas liés à des imprudences avec des réchauds sont marginaux. En revanche, ceux liés à l’apparition de l’électroménager après la Seconde Guerre mondiale sont très répandus.
Vous évoquez à ce titre les risques de la frite?
En effet, les principaux accidents liés à l’électroménager le sont à cause du boom de la frite dans le canton de Fribourg. Les premières friteuses étaient très basiques et dangereuses. L’huile s’enflammait trop facilement. Je me rappelle d’un cas symptomatique pour l’époque. Dans les années 50, un homme a essayé de faire des frites. Il a bouté le feu à la cuisine et c’est sa femme, absente au moment des faits, qui a été accusée de négligence.
Est-ce à dire que les femmes provoquent plus d’incendies que les hommes?
Pour ce qui est des sinistres provoquées par l’électroménager, les femmes arrivent en tête, car c’étaient souvent les seules à savoir cuisiner. Mais je rassure les dames: de manière générale, ce sont les hommes qui ont causé le plus grand nombre de sinistres. Parfois de manière vraiment naïve. J’ai retrouvé le cas d’un vieillard qui tentait de transvaser de l’essence d’un récipient à l’autre dans une grange. Précision de taille: il fumait le cigare et était aveugle. Le malheureux est malheureusement décédé de ses brûlures.
Quel est le type de bâtiment qui est le plus souvent la proie des flammes?
Entre 1831 et 1900, les fermes et les bâtiments agricoles représentent près du 70% des édifices incendiés. Entre 1900 et 1969, leur proportion passe à 45%. Les maisons qui ne constituaient que le 6% des sinistres au XIXe siècle, représentent 20% des incendies au XXe siècle.
Et qu’en est-il des incendies de villages et de villes?
Ils étaient relativement fréquents et extrêmement craints au XIXe. Ils ont progressivement disparu dès le début du XXe grâce à l’amélioration des constructions et de la prévention. Parmi les plus grandes catastrophes, on peut citer celles de Bulle (1805), Albeuve (1876), Broc (1890), Neirivue (1904) et Planfayon (1906). D’autres incendies d’une ampleur plus modeste ont dévasté Romont (1843, 1853, 1863), Morlon (1854), La Tour-de-Trême (1852) ou encore Chiètres (1881).
Les incendies à Fribourg entre 1831 et 1969 ont-il été de grands dévoreurs d’hommes?
Nous n’avons dénombré qu’une grosse vingtaine d’habitants qui sont décédés dans les flammes de leurs maisons. La plupart du temps, les gens ont en effet le temps de quitter leur domicile. Les décès sont plus élevés – une trentaine – parmi les pompiers et les civils qui prêtent leurs bras dans le feu de l’action. En tout, cela fait une cinquantaine de décès. Ce qui est relativement modeste par rapport aux 10000 cas recensés.
SAMUEL JORDAN
La Liberté
