mardi 8 janvier 2013

Les Postes suisse et française unissent leurs forces


La Poste Suisse doit se diversifier si elle veut rester compétitive sur un marché toujours plus global et affronter la baisse du courrier sur papier. Elle vient de fusionner son unité consacrée aux envois internationaux avec celle de La Poste française.

 En juillet 2012, Swiss Post International (SPI) a fusionné avec la division globale de La Poste française. Mais la transaction est loin d'être finalisée, indique Ulrich Hurni, le directeur de PostMail, l'unité de La Poste suisse responsable de la prise en charge, du tri et de la distribution de lettres et de journaux, et président du conseil d'administration d'Asendia, la nouvelle firme issue de ce regroupement.

Les bureaux à l'étranger doivent encore être réunis et les employés des filiales de Berne et de Paris doivent s'habituer à travailler ensemble. Une fois ces défis surmontés, Asendia pourra devenir un acteur global sur le marché du courrier. Le but est de dépasser le numéro un actuel, DHL, qui appartient à Deutsche Post, dans le domaine des envois transnationaux Entreprise à Consommateur.


Objectif ambitieux

DHL occupe actuellement une position solide sur le marché, reconnaît Ulrich Hurni. Mais «grâce à la vision que nous avons développée, nous pourrons les dépasser» un jour, ajoute-t-il. L'objectif paraît ambitieux, au vu des 30% de parts de marché détenus par DHL sur le segment des envois internationaux en Europe, mais la logique qui a présidé à la fusion de SPI et de La Poste Global Mail permettra de l'atteindre, juge Matthias Finger, qui dirige la chaire de gestion des industries de réseau de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), financée par La Poste suisse.

«Comme la plupart des grandes entreprises suisses, La Poste est trop grande pour son bassin de population national, mais trop petite pour devenir un acteur global, note-t-il. En s'associant à La Poste française, elle peut surmonter ce handicap.» Et tant Matthias Finger qu’Ulrich Hurni estiment que la firme helvétique est bien placée pour vendre ses services à l'étranger: de nombreux groupes suisses y ont des filiales et représentent à ce titre un marché naturel pour La Poste.

«La stratégie de base a toujours été de courtiser les multinationales suisses à l'étranger, puis de se servir de cette base pour poursuivre l'expansion internationale du groupe, explique Matthias Finger. La Poste dispose ainsi d'un avantage concurrentiel par rapport à d'autres pays de la même taille, comme la Finlande ou le Danemark, qui ont moins de grandes sociétés internationales.»

Stratégie de la dernière chance

 En dépit de ce climat propice aux affaires, La Poste n'a pas vraiment adopté une stratégie agressive envers l'étranger, poursuit l'universitaire. Elle s'est concentrée jusqu'ici sur une poignée de marchés très ciblés, comme la fourniture de solutions de back-office au moyen de sa division Swiss Post Solutions.
«La Poste s'est engagée sur la bonne voie, mais il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'une firme de petite taille dans un petit pays, relève Matthias Finger. Et même si le gouvernement ne s'en mêle pas, son statut d'entreprise publique l'empêche de prendre trop de risques.»
La Poste française n'a pas non plus fait preuve de témérité ces dernières années, fait remarquer James Campbell, un consultant spécialisé dans le marché postal. La fusion avec Swiss Post International est donc arrivée à point nommé: il s'agit d'une stratégie de la dernière chance pour devenir compétitif sur le plan international, selon lui.
«Les Français ont tardé à s'adapter aux évolutions du marché ces quinze dernières années, relève-t-il. La Poste française ne manque pas de cadres intelligents, mais ils n'ont pas saisi les changements qui ont marqué ce segment. Je ne sais pas s'ils parviendront un jour à rattraper le retard pris.»

Infrastructure obsolète

 Du côté de Swiss Post International, le partenariat avec la firme française semblait être le scénario le plus judicieux. «Ces groupes ont un offre postale très semblable, détaille Matthias Finger. Tous deux sont aux mains de l'Etat et proposent des services financiers. Je ne vois pas de meilleure option.»
Les fusions, comme celle entre SPI et La Poste française, permettent aux entreprises postales de rentabiliser la coûteuse infrastructure dont elles ont dû se doter à l'époque où le courrier postal était à son faîte, indique Kenneth McKeown, le directeur du développement des marchés à l'Union postale universelle.
«Ces installations, créées pour gérer de gros volumes, sont devenues une charge financière avec le déclin du courrier sur papier, précise-t-il. Il a fallu redéployer des employés engagés à l'origine pour accomplir certaines tâches spécifiques et moderniser les stations d'emballage.» Il cite la Suède et le Danemark, qui ont fusionné leurs postes il y a environ trois ans, comme des exemples extrêmes de ces développements.

Pas encore mort

 Mais, nuance-t-il, dans certaines régions du monde, les gens continuent d'envoyer des lettres et des paquets de petite taille. Le courrier au sens traditionnel du terme y représente même un marché en plein boom. «Les pays émergents contredisent les évolutions que nous voyons chez nous, note-t-il. Les envois postaux se portent plutôt bien au Brésil, en Inde, en Chine ou en Russie actuellement. Il est trop tôt pour annoncer la mort du courrier. Il a simplement changé de nature...et dans les pays en voie de développement, il n'a pas dit son dernier mot.»
Grâce aux fusions et à la diversification de leurs services, les entreprises postales sont parvenues à rester profitables et à faire face aux changements dans la demande des consommateurs, mais la plupart doivent en parallèle rester fidèles au mandat que leur gouvernement leur a confié et ne pas dévier du rôle qui leur a traditionnellement été imparti. Certains analystes estiment ainsi que Deutsche Post a outrepassé son mandat en lançant le service de livraison international DHL.

Mandat respecté

 Mais Asendia aura un catalogue des charges strictement défini: la firme fournira «des solutions pour les envois transnationaux sur le segment Entreprise à Consommateurs», selon Ulrich Hurni. Elle n'ira pas au-delà, sous peine de dépasser le mandat qui lui a été confié par le gouvernement.
«Nous n'aurions par exemple pas le droit d'investir dans l'infrastructure postale d'autres pays, et nous ne le ferons pas, dit-il. Nous n'allons pas non plus ouvrir de grands centres de tri à l'étranger. Asendia se concentrera sur les ventes, et non sur l'infrastructure. Si nous avons des produits de qualité, des systèmes informatiques et, bien sûr, de bons vendeurs, cela suffira.»

Les divisions de La Poste Suisse

Swiss Post Group comprend six divisions, dont une unité internationale.
PostFinance – Le bras financier de La Poste Suisse fournit certains services bancaires et une option de paiement pour les factures. Il a récemment obtenu une licence bancaire, ce qui lui permet de proposer une plus large gamme de services financiers, mais pas de consentir à des prêts hypothécaires ou commerciaux. PostFinance quittera le giron de la maison-mère en 2013, pour devenir une entité indépendante.
Asendia (ex-Swiss Post International) – Cette unité est spécialisée dans les envois internationaux. Elle vient de s'associer avec la division en charge du courrier global de La Poste française, afin de fournir des solutions de shipping Entreprise à Consommateur.
Swiss Post Solutions – Une division de La Poste Suisse qui propose des produits et des services de back-office et de gestion du courrier au niveau mondial.
PostMail – Cette unité est responsable de la prise en charge, du tri et de la distribution de lettres et de journaux.
PostLogistics – Le service logistique de La Poste opère trois centres de tri et 40 centres logistiques, répartis dans toute la Suisse.
PostBus – Cette division opère un réseau de bus à travers tout le pays.
Post Office & Sales – Le réseau des bureaux et des points de vente de La Poste en Suisse sont gérés par cette unité.

Quoi de neuf?

La Poste Suisse cherche constamment à se diversifier, en proposant des solutions de courrier électronique ou «hybride» et des plateformes de vote électronique, indique Ulrich Hurni, le directeur de PostMail et président d'Asendia. Swiss Post Solutions fournit déjà les premières à l'étranger (elles permettent de choisir si on veut recevoir son courrier sous forme électronique ou physique) et prévoit de les étendre à la Suisse. Les clients helvétiques de La Poste pourraient donc à l'avenir disposer d'une «boîte aux lettres électronique» qui leur permettra de recevoir des lettres par internet.
Un autre projet de La Poste a en revanche été abandonné, en raison d'une demande insuffisante: il s'agissait de permettre aux Suisses de recevoir un journal personnalisé, appelé «MyNewspaper». Les abonnés de ce service auraient pu sélectionner quelles rubriques ils souhaitent recevoir, à partir d'une sélection de publications nationales et internationales. Celles-ci auraient alors été assemblées, imprimés et leur auraient été livrées sous la forme d'un journal unique.

Veronica DeVore