lundi 25 décembre 2017

Désordre contemporain et ordre spirituel




Voici Noël ; la nouvelle année. Comme le temps passe vite… Chacun s’en rend compte dans une douce-amère nostalgie, en cette période où les jours raccourcissent comme s’ils allaient cesser (et s’ils ne renaissaient pas ?) ; où on découvre à quel point les enfants ont grandi, comme dans un rêve ; les tables familiales ont un an de plus, parfois un membre de moins. Noël n’est-il pas un de ces moments qui conduisent à s’interroger sur le sens de tout cela ? Qui peut espérer un monde ordonné et paisible si les hommes qui l’habitent ne s’astreignent pas à une réflexion sur le monde, pour faire en sorte qu’il soit ordonné et paisible ? Les injustices, les soucis, les menaces, les incohérences sont soudain plus apparents, et on a un peu plus de temps que d’habitude pour y penser. Avant d’oublier, recommencer à courir dans sa cage d’écureuil, ne plus rentrer dans un lieu de culte, éteindre la télé quand un politicien s’y exhibe, refuser d’aller voter… Puis prendre sa retraite ; puis mourir.

Le monde contemporain n’a jamais été aussi performant sur le plan technique. Et on nous promet qu’il va le devenir encore plus. Or, il n’a jamais été aussi incohérent sur le plan humain ; il devrait donc devenir encore plus incohérent : les écarts entre les plus riches et les plus pauvres sont béants ; la démocratie est confisquée par toutes sortes de constructions absconses que le citoyen ne peut plus lire clairement et dont il est exclu. Citoyens et nations sont assujettis à des structures dont on leur dit qu’elles sont les seules solutions. Le progrès technique est, lui, détourné par la recherche exclusive du profit. La fabrication de fausse monnaie en quantités immenses est une activité respectée. Le monde obéit à de « léviathanes » entreprises. Alors que cela devrait être l’inverse. Mais comment inverser le cours des choses ? Est-ce possible ?

Trois maux majeurs minent notre monde : bien sûr, d’abord, la disparition de la démocratie dans les couloirs kafkaïens d’organisations internationales, et ceux des rédactions de médias dépendants. Tout le monde le sait désormais, et les rentiers du système y défendent leur sinécure. Moins connu, le deuxième mal est l’abaissement constant des facultés intellectuelles. À l’école ordinaire, sémantique, logique, rhétorique, sens critique, heuristique, praxéologie sont des arts délaissés.

Enfin, le troisième mal est totalement ignoré : l’absence de spiritualité, sans même qu’elle soit nécessairement transcendante. La notion de spiritualité, en Occident, est habituellement rattachée à la religion. Plus précisément à une religion dominante, et d’ailleurs à tendance dominatrice. Pourtant, la spiritualité ne s’inscrit pas nécessairement dans un rapport au christianisme ou même à son Dieu. D’un point de vue philosophique, elle peut se contenter d’opposer l’esprit et la matière, la quête d’un sens élevé. Nation, altruisme, connaissance… Tous les grands guides spirituels ont apporté leur réponse à cette quête inquiète : Bouddha, Zoroastre, les socratiques (Platon, Aristote, Plotin) ; Jésus. Ces réponses ne sont d’ailleurs pas antinomiques et se sont souvent enrichies les unes des autres.

Mais quelle est la place que l’école accorde à la prémunition contre ces maux ? Sur le premier, l’école explique, au contraire, que les Léviathans sont notre seul destin. Contre le second mal, rien n’est fait car les maîtres ne sont pas formés à développer ces aptitudes essentielles : il faut fabriquer des exécutants spécialisés. Et le troisième mal est condamné à le rester pour cause de laïcité mal comprise. Qu’au moins les élèves sachent ce qu’est la prière et les différentes manières de prier : acte codifié ou non, collectif ou non, par lequel un message est adressé à un principe supérieur ; ou simple attitude intérieure, méditative, de recherche d’harmonie avec ce principe.

La contemplation, qui est une application de l’esprit à observer certaines réalités, peut aussi conduire à une proximité cosmique ou divine. La simple patience de l’observation peut conduire à la réflexion et à un élan vers un mode de compréhension intuitif : un état antérieur à la pensée (Plotin); une « Idée » préexistante (Platon). La contemplation mène au bonheur d’une autre forme de connaissance (Aristote) ; et qui niera que toute grande découverte est issue d’une intuition, ce mode de connaissance immédiat et exact, fruit de la méditation (Aristote, Spinoza, Bergson) ?

Alors, joyeux Noël et bonne année à tous les hommes et les femmes de bonne volonté. Que la fête soit aussi une occasion de réflexion et de sérénité : on va bientôt en avoir besoin.

Henri Temple