dimanche 14 janvier 2018

Initiative No Billag: quels buts et quelles répercussions possibles?


Le 4 mars, le peuple est appelé à se prononcer sur une initiative demandant la suppression de la redevance pour la radio et la télévision. Pour ses promoteurs, le marché des médias deviendrait ainsi plus libre et compétitif, ce qui profiterait au public. Le gouvernement et le Parlement préconisent le rejet de l'initiative: elle nuirait, entre autres, à la qualité et à la pluralité des médias, qui sont essentielles dans un pays de démocratie directe.

Promue par les sections de jeunes du Parti libéral-radical (PLR / droite) et de l'Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice), l'initiative «No Billag» propose de supprimer à court terme la redevance nationale de radio et de télévision perçue par la société Billag sur mandat de la Confédération. Ce qui est en jeu, ce n'est pas l'avenir de cette société, dont le mandat expire de toute façon à la fin 2018, mais l'existence et le rôle politique, social et culturel du service public de radio et de télévision, dont l'offre dépend dans une large mesure de la redevance.

Selon les promoteurs de l'initiative, le secteur de la radio-télévision devrait être laissé aux forces du marché et les utilisateurs ne devraient payer que pour les programmes qu'ils consomment effectivement, plutôt que de devoir payer une redevance fixe. Pour le gouvernement et le Parlement, la redevance est indispensable pour assurer la diffusion sur tout le territoire d’émissions de radio et de télévision de qualité, contribuant ainsi à la cohésion d’un pays divisé en quatre régions linguistiques et culturelles.

Que demande l'initiative?

Sur la base du texte soumis au vote - qui modifierait substantiellement l'article 93 de la Constitution fédérale -, la Confédération ne pourra plus, dès le 1er janvier 2019, percevoir une redevance pour la radio et la télévision, que ce soit directement ou par l'intermédiaire d’entreprises chargées de cette tâche. L'initiative interdit également à la Confédération de subventionner les émissions de radio ou de télévision et d'exploiter des sociétés de diffusion en temps de paix.

La législation dans le domaine des médias radio-télévisés restera de la compétence de la Confédération. Cette dernière sera en outre chargée de vendre aux enchères des concessions. Toutefois, le financement de ces sociétés de diffusion ne sera possible que sur une base commerciale, dans le cadre de l'économie de marché.

L'initiative demande également la suppression du paragraphe 2 de l’article 93 de la Constitution fédérale, où sont ancrés les principes du service public en matière de radio et de télévision. Aujourd'hui, la radio et la télévision doivent:

Contribuer à la formation et au développement culturel, à la libre formation de l'opinion et au divertissement.

Prendre en considération les particularités du pays et les besoins des cantons.

Présenter les événements de manière fidèle et refléter équitablement la diversité des opinions.

Quels diffuseurs profitent des recettes de la redevance?

Les recettes sont destinées aux diffuseurs de radio et de télévision remplissant le mandat constitutionnel de service public. A l’échelle nationale, un mandat de prestations a été confié depuis les années 1930 à la Société suisse de radiodiffusion et télévision (SSR), dont swissinfo.ch fait partie. La SSR, association à but non lucratif de droit privé, dispose de 7 chaînes de télévision et 17 stations de radio couvrant les quatre régions linguistiques et culturelles de la Suisse. Dans le cadre de son mandat, la SSR est appelée, entre autres, à promouvoir la compréhension, la cohésion et les échanges entre régions, communautés linguistiques, cultures, religions et groupes sociaux.

Depuis les années 1990, une partie des recettes de la redevance est également distribuée aux diffuseurs privés avec une concession de service public. Elle bénéficie actuellement à 13 chaînes de télévision régionales et 21 stations de radio locales. Pour s'acquitter de leur mandat, ces diffuseurs doivent fournir des bulletins d’informations régionales ou locales aux heures de grande écoute. Tant les diffuseurs privés que la SSR sont de plus tenus de diffuser des communications urgentes de la police, des avertissements officiels et des instructions sur la manière de se comporter en cas de crise.

Comment sont réparties les recettes de la redevance?

En 2016, ces recettes se sont élevées à environ 1,37 milliard de francs. Sur ce total, près de 1,24 milliard ont été alloués à la SSR, tandis que 67 millions l’ont été aux radiodiffuseurs locaux et régionaux (5% du total). En octobre dernier, le gouvernement a décidé qu'à partir de 2019, leur part atteindrait 81 millions de francs par an (6%) et que la part de la SSR serait limitée à 1,20 milliard.

Au sein de la SSR, l’argent de la redevance est réparti solidairement entre les différentes régions linguistiques, afin d'offrir des programmes de qualité équivalente à l'ensemble de la population. Plus d'un tiers des revenus perçus en Suisse alémanique, la région la plus peuplée du pays, est redistribué aux trois autres régions linguistiques.



Dans quelle mesure la redevance sert-elle à financer les programmes des diffuseurs avec une concession de service public?

Comparée aux grands pays voisins, la Suisse dispose d'un marché publicitaire relativement restreint, qui se divise, en plus, en quatre régions linguistiques. Les recettes de la redevance représentent donc la principale source de financement pour les diffuseurs ayant un mandat de service public: 75% des recettes de la SSR, 53% des chaînes de télévision régionales, 67% des stations de radio locales à but non lucratif et 35% des stations de radio locales dans les régions périphériques et de montagne. La suppression de la redevance réduirait donc considérablement leur offre de programmes et menacerait l’existence même de plusieurs diffuseurs.

Combien la redevance coûte-t-elle aux ménages et aux entreprises?

A l'heure actuelle, les ménages sont tenus de payer une cotisation annuelle de 451 francs. Ce montant sera ramené à 365 francs dès 2019, date à laquelle le nouveau modèle de perception des taxes, approuvé par la population en 2015, sera introduit.

Pour les entreprises, un tarif progressif sera appliqué à partir de l'année prochaine, en tenant compte de leur chiffre d'affaires. Cela va de 365 francs pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à un demi-million de francs, à 35’590 francs pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur au milliard. Sont exemptées les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à un demi-million.

Comment se présente le marché suisse en matière de radio et de télévision?

Les sociétés de diffusion suisses, qu’elles soient publiques ou purement commerciales, sont soumises à une forte concurrence étrangère, en particulier de la part des pays voisins partageant la même langue.



Cette concurrence des pays voisins est particulièrement forte dans le secteur télévisuel, qui est plus lucratif en termes de publicité: plus de 42% du chiffre d'affaires publicitaire total est aujourd'hui déjà absorbé par les diffuseurs étrangers. Dans le secteur de la radio, la SSR et les réseaux privés suisses occupent en revanche une position incontestée.



Quels sont les arguments des promoteurs de l'initiative?

Selon les promoteurs, la redevance représente une taxe obligatoire qui restreint la liberté de chaque individu et réduit son pouvoir d'achat. Chacun devrait pouvoir décider par lui-même comment dépenser ce montant pour tirer parti de l'offre médiatique ou à d'autres fins. Cette taxe pèse particulièrement sur les ménages et les personnes à faible revenu. La redevance est également perçue sur le chiffre d'affaires des entreprises et sur l'économie. La suppression de cette interdiction permettrait d'utiliser 1,37 milliard de francs par an pour stimuler l'économie et créer de nouveaux emplois.

La suppression de la redevance rendrait également la SSR plus libre et indépendante. Actuellement, elle serait trop dépendante de l'Etat, qui fixe le montant de la redevance, délivre la concession et nomme directement certains des membres de son conseil d'administration. Cela renforcerait le quatrième pouvoir exercé par les médias.

La suppression de la redevance permettrait également de créer un marché plus compétitif, libre et équitable, ce qui bénéficierait au public. La concurrence génère une meilleure qualité, une plus grande diversité et des prix plus bas. En revanche, la position dominante actuelle de SSR fausse le marché des médias au détriment des acteurs privés, qui ne bénéficient que d'une faible part de la redevance.

Les promoteurs de l'initiative affirment ne pas vouloir la fin de la SSR, mais de la redevance, qui représente à leurs yeux une relique du passé. Avec cette redevance, le gouvernement ne tient pas compte des évolutions technologiques actuelles et de la nouvelle offre numérique, qui permet aux consommateurs de visionner à tout moment des émissions en différé, de sélectionner de nouveaux réseaux de télévision payante ou d'accéder à des contenus fournis par de nouveaux distributeurs comme Netflix.

Pourquoi le Conseil fédéral demande-t-il le rejet de cette initiative?

Selon le gouvernement, cette initiative nuit à la pluralité et à la qualité des médias en Suisse. Dans un petit pays avec quatre langues nationales, la publicité et le sponsoring ne suffisent pas à financer un large éventail d'émissions de radio et de télévision de qualité équivalente dans chaque région. La suppression de la redevance serait particulièrement préjudiciable aux minorités linguistiques et aux régions périphériques, qui ne disposent pas d'un marché publicitaire suffisamment important.

Aux yeux du Conseil fédéral, cette initiative affaiblit considérablement l'offre des diffuseurs de service public chargés de promouvoir la libre formation des opinions et le développement culturel dans chaque région linguistique, indépendamment des intérêts politiques et économiques. La suppression de la redevance favorise par contre l'expansion sur le marché des médias de financiers privés et de groupes étrangers, qui poursuivent des objectifs purement commerciaux et orientent leur offre vers les intérêts majoritaires. Cela appauvrirait la pluralité des médias, ce qui est essentiel dans un pays à démocratie directe comme la Suisse.

L'initiative aurait également un certain nombre de conséquences économiques négatives. Elle entraînerait la perte de plusieurs milliers d'emplois dans les sociétés de diffusion ayant un mandat de service public et plusieurs autres entreprises partenaires, par exemple dans le secteur audio-visuel. Les recettes publicitaires seraient davantage encore soustraites du marché intérieur pour être transférées à l'étranger. En outre, l'utilisation de l'offre médiatique serait plus coûteuse pour de nombreux ménages. Les prix des abonnements à la télévision payante, par exemple pour les événements sportifs, ont tendance à augmenter et leur offre n'est pas accessible dans toutes les régions du pays.

En outre, la SSR ne pourrait plus contribuer de manière importante à la promotion de la culture et du sport en Suisse sans les recettes de la redevance. Aujourd'hui, par exemple, elle joue un rôle important dans la production cinématographique et produit des événements sportifs difficiles à financer uniquement par la publicité et le sponsoring. Les services spéciaux fournis par la SSR aux personnes souffrant de handicaps sensoriels, tels que les sous-titres ou les descriptions sonores de contenus vidéo, risquent également d'être supprimés.

Quelle est la position du Parlement?

La majorité du Parlement a suivi les arguments du Conseil fédéral, considérant qu'un affaiblissement des médias de service public constitue une menace pour la cohésion nationale et la démocratie. Cette initiative a été rejetée par le Conseil national par 129 voix contre 33 et 32 abstentions, tandis que le Conseil des Etats l'a torpillée par 41 voix contre 2 et 1 abstention. Le texte a été soutenu presque exclusivement par des représentants de l'Union démocratique du centre. Les deux Chambres ont également rejeté une proposition de l'UDC visant à réduire de moitié la redevance de radiodiffusion.




Armando Mombelli