Les particules de la combustion de l'essence, du diesel et du kérosène ont un effet destructeur comparable sur les cellules pour une dose et une durée d'exposition similaires. (Photo: Keystone)
Les particules fines issues de la combustion du kérosène dans les réacteurs des avions affectent les poumons autant que celles des moteurs essence ou diesel. Des chercheurs bernois se sont penchés sur ce sujet encore largement inexploré.
Outre les sources de particules déjà étudiées comme les chauffages, l'industrie et la circulation routière, l'aviation pose un problème toujours plus important à mesure que s'intensifie le trafic aérien, a indiqué jeudi l'Université de Berne dans un communiqué. Une équipe dirigée par Marianne Geiser, chercheuse en pneumologie à l'Université de Berne, avec des collègues de l'Empa à Dübendorf (ZH) et de la Haute école spécialisée de la Suisse du Nord-Ouest (FHNW), a réalisé une simulation qui a mis en évidence la nocivité pour les cellules pulmonaires des particules de suie primaires issues de la combustion du kérosène dans les turboréacteurs.
Une inhalation directe de ces particules solides à proximité du réacteur peut notamment causer des réactions inflammatoires. Les chercheurs montrent dans la revue Nature Communications Biology que les effets néfastes dépendent aussi du régime des réacteurs, de la composition du combustible et de la structure des particules.
Ces dernières sont généralement ultrafines, inférieures à 100 nanomètres. À titre de comparaison, le diamètre d'un cheveu humain est d'environ 80'000 nanomètres. Une fois inhalées, elles se déposent dans les voies respiratoires. Chez les personnes en bonne santé, le système immunitaire neutralise rapidement ces dépôts et les élimine des poumons.
Mais si les particules parviennent à passer outre, elles risquent d'endommager le tissu pulmonaire de façon irréparable. Un processus identifié lors d'expériences antérieures sur les particules produites par des moteurs essence et diesel.
Un dispositif inédit
Les chercheurs ont utilisé pour leur étude un réacteur de type CFM56-7B, le plus courant au monde. Il a été testé sur un banc d'essai de SR Technics à l'aéroport de Zurich en régime de montée et au ralenti.
La composition du carburant a également été étudiée: le réacteur était alimenté en kérosène conventionnel ou en biocarburant. Ce dernier se compose de kérosène avec 32% de HEFA («hydrogenated esters and fatty acids») issus d'huile de friture, de graisses animales, d'algues et d'huiles végétales.
Une chambre spécialement développée et assemblée à la FHNW a permis de recueillir les particules sur des cultures de cellules épithéliales des bronches.
Régime du réacteur et type de carburant
Les cellules ont été exposées à l'aérosol pendant 60 minutes. Sur cette durée, la masse de particules déposée allait de 1,6 à 6,7 nanogrammes (milliardièmes de gramme) par centimètre carré avec le réacteur au ralenti, et de 310 à 430 nanogrammes en régime de montée. Ce qui correspond, pour les voies respiratoires, à une dose journalière d'une atmosphère rurale légèrement polluée jusqu'à la forte pollution atmosphérique d'une métropole.
Cela a permis de mettre en évidence une dégradation accrue de la membrane cellulaire ainsi qu'un stress oxydatif. Celui-ci accélère le vieillissement des cellules et peut déclencher des cancers ou des maladies du système immunitaire.
Il apparaît que la nocivité des particules varie en fonction de la poussée du réacteur et du type de carburant: les valeurs les plus élevées ont été mesurées au ralenti avec un kérosène ordinaire et en régime de montée avec un biocarburant. «Cela montre que non seulement la dose mais aussi les caractéristiques des particules ont une influence», a indiqué la Pre Geiser à Keystone-ATS.
Résultats surprenants
En effet, lors des essais avec du kérosène ordinaire et le réacteur tournant à plein régime, la réaction des cellules s'est révélée plus faible que prévu. «Ces résultats s'expliquent en partie par les très petites dimensions et la structure de ces particules», explique Anthi Liati, spécialiste en nanostructures des aérosols de combustion à l'Empa. Les cellules exposées au biocarburant ont réagi en libérant davantage de médiateurs inflammatoires, essentiels aux défenses immunitaires de l'organisme. «Ces réactions réduisent l'aptitude des cellules respiratoires à réagir correctement à une attaque virale ou bactérienne ultérieure», explique Marianne Geiser.
Les chercheurs en concluent que les particules de la combustion de l'essence, du diesel et du kérosène ont un effet destructeur comparable sur les cellules pour une dose et une durée d'exposition similaires. En outre, une tendance semblable a été observée quant à la libération de médiateurs inflammatoires après exposition à des particules issues de l'essence et du kérosène.
Valeurs-limites pour les nouveaux réacteurs dès 2023
Depuis l?adoption par la Suisse du «Plan d'action contre les poussières fines» en 2006, l'Office fédéral de l'aviation civile (OFAC) s'engage auprès de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) en faveur d'une certification poussière fine pour les réacteurs et des limites d'émission de particules. Ce sera le cas dès 2023.
L'OFAC a ainsi mis sur pied sa propre infrastructure de mesure et jeté les bases de travaux de recherche chez SR Technics. Depuis 2012, l'office soutient les recherches dans ce domaine dans le cadre du Financement spécial du trafic aérien.
Cela a considérablement amélioré la compréhension scientifique des émissions de l'aviation et des techniques de mesure de ces émissions. De ces travaux est née en 2016 la première norme mondiale sur les poussières fines pour la mesure de la masse et du nombre de particules.
En février 2019, le Comité de la protection de l'environnement en aviation de l'OACI, où sont représentés tous les principaux États qui possèdent une industrie aéronautique, a approuvé la proposition de valeurs-limites applicables aux nouveaux types de réacteurs à compter du 1er janvier 2023. Les résultats de la présente étude ont déjà contribué à fixer ces valeurs, souligne l'Université de Berne. L'aviation est le seul secteur à ce stade à imposer des valeurs-limites globales pour les émissions de particules ultrafines.
ATS