lundi 23 novembre 2009

Jungfrau : la victimisation mise en échec

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Le jugement des deux guides impliqués dans l'accident de la Jungfrau a souligné l'indépendance de la justice militaire et rappelé que les victimes avaient choisi de partir pour les sommets.

Ce vendredi 20 novembre, le tribunal militaire 7 de Coire a rendu son jugement dans l'affaire de l'accident de la Jungfrau, qui le 12 juillet 2007 avait tué 6 spécialistes de montagne de l'armée, en acquittant et en indemnisant les deux guides de montagnes accusés. Le procureur militaire avait réclamé neuf mois de prison avec sursis et une amende de 1500 francs contre les deux guides.

Au final, le tribunal n'a pas estimé que les deux prévenus, un guide militaire de 34 ans et un guide de montagne privé de 47 ans, aient commis une négligence en jugeant le danger d'avalanches "modéré". Mais le jugement a surtout permis de rappeler que tous les participants à l'instruction étaient volontaires pour l'escalade, et non les victimes impuissantes du système militaire.

Une justice indépendante

C'est donc toute la victimisation maternaliste, très en vogue suite à l'accident, que ce jugement bat en brèche : en respectant la présomption d'innocence des prévenus malgré la pression des médias, d'une partie de la classe politique et de quelques proches des victimes, la justice militaire s'est attachée à reconstituer les faits et les responsabilités ayant mené au drame. Elle a ainsi fait la preuve de son indépendance, mais aussi de sa nécessité, à une époque où les besoins du service militaire sont toujours plus étrangers aux réflexes d'une société individualiste et hédoniste. Le code pénal militaire (CPM), que tous les commandants de l'armée sont appelés à étudier puis à appliquer, reste une condition sine qua non pour le métier de soldat.

Ce dernier implique bien entendu des risques particuliers pour sa propre existence, que ce soit lors de l'instruction (risques techniques) ou à l'engagement (risques techniques et tactiques), ainsi qu'un effet potentiellement létal sur l'existence d'autrui. Le droit de tuer et le devoir de le faire, si nécessaire au prix de sa vie, pour défendre le pays et sa population, ne sauraient s'accorder avec la perception victimiste du militaire individuel, dont les chefs sont forcément responsables de tous les agissements, de tout événement les affectant. Et si les adversaires de la justice militaire hurlent au scandale suite au jugement de vendredi, c'est bien que la capacité de l'armée à remplir sa mission n'a aucune importance à leurs yeux.

Au demeurant, il est intéressant de voir que la manière de gérer les risques et dangers liés au service militaire reposent parfois entièrement sur la faculté de jugement des individus, et non sur celle de leur hiérarchie. C'est le cas dans les troupes faisant face à des risques particulièrement élevés, en raison de la difficulté à la fois de leur tâche et de milieu : équipages des forces aériennes, détachements de forces spéciales, et bien entendu spécialistes de montagne. L'analyse des risques fait partie intégrante de leur activité, tout comme les mesures permettant de les réduire, mais toute conclusion selon laquelle le risque est trop élevé aboutira à l'annulation de la mission. En équilibrant le risque et l'importance de celle-ci, naturellement.

Des volontaires hautement motivés peuvent ainsi décider eux-mêmes de leur activité, et c'est exactement ce qui s'est passé avant l'accident de la Jungfrau : les camarades des 6 militaires tués ont confirmé que tous étaient volontaires pour l'escalade du jour, alors même qu'une coulée de neige s'était déjà produite sous leurs yeux la veille. Une erreur d'appréciation, voire une faute en cours d'escalade comme cela semble avoir été le cas, sont à la base des accidents de montagne, et le fait de porter un uniforme ne constitue pas une exception. Si la tristesse exprimée par les proches est pleinement compréhensible, les tentatives visant à en faire porter la responsabilité à la hiérarchie militaire ou même à se porter « partie civile » vont donc à l'encontre du processus décisionnel mis en œuvre.

Ce jugement, qui a été salué par les guides de montagne, est également une contestation du « risque zéro » ou du « principe de précaution », des notions contemporaines qui ne peuvent s'appliquer aux forces armées, comme à toute organisation acceptant une part de danger pour le bien de la communauté. C'est donc l'intérêt général qui en sort renforcé, ce dont il convient de se féliciter, sans pour autant oublier ceux qui ont perdu leur vie précisément en remplissant leur devoir au service d'autrui.
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Lt col EMG Ludovic Monnerat