vendredi 9 juillet 2010

Le lâche meurt plusieurs fois par jour

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« Le lâche meurt plusieurs fois par jour, l’homme courageux ne meurt qu’une fois. »
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Giovanni Falcone, juge antimafia, mort assassiné dans l’explosion de sa voiture, le 23 mai 1992.


Les super-héros n’existent pas. Ils « vivent » seulement dans les BD, les films et les séries TV.

Robin des Bois, Superman, V pour Vendetta, Néo, Han Solo, Yoda, Gandalf (magicien blanc dans le Seigneur des Anneaux) et Wolverine sont toujours du bon côté, celui des plus faibles, de ceux qui sont opprimés par des psychopathes cruels, menteurs et despotiques. Ils sont les fantasmes que nos imaginations aiment opposer à la tyrannie bien réelle, équivalents oniriques de ces vraies barricades, « les voix de ceux qu’on n’entend pas ».

Certains héros ont bel et bien existé, comme l’auteur de cette citation de 1968, Martin Luther King, mais aussi Gandhi, Jean Jaurès, Jean Moulin, le père Colombien Camilo Torres, Oscar Romero, Rachel Corrie, Giovanni Falcone… Tous assassinés.

Pas de super-pouvoirs pour eux, pas de « kryptonite », pas de « mithril », pas de griffes en « adamantium », ni de sabre-laser. « Juste » la foi, l’amour et le courage.

Dans notre monde, le prix du courage, de la défense de son idéal, est très souvent de donner sa vie en échange.

Ces hommes et femmes ont fait la leur cette phrase du pasteur noir écarté brutalement des écrans le 4 avril 1968 : « tant qu’un homme n’a pas découvert quelque chose pour lequel il serait prêt à mourir, il n’est pas à même de vivre ».

Certains héros existent encore, en chair et en os, modestes, peu médiatisés, mais vivants, comme Cynthia McKinney, le cardiologue Peter Langsjoen, David Ray Griffin, Marcia Angell, et des dizaines de milliers d’autres, moins connus, comme les passagers du Mavi Marmara, ou complètement anonymes, lanceurs d’alertes (whistleblowers), consciences dressées, des êtres refusant tout compromis avec leur idéal, tout arrangement avec l’oppresseur.

Tous ces modèles, dénués de supers pouvoirs, sans jamais se considérer eux-mêmes comme des héros, ont trouvé quelque chose pour lequel ils seraient prêts à mourir.

Ils ont tous renoncé au chemin facile offert par la tyrannie en échange de leur silence, ont tous sacrifié le confort du compromis avec le mal pour ne pas coopérer avec lui, mais ils ont tous gagné le droit de ne mourir qu’une fois.

Les psychopathes au pouvoir et tous leurs hommes de main dépensent une énergie considérable, tous les jours, pour nous détourner du héros qui vit en chacun de nous.

Ceux que nos sociétés « modernes » considèrent et présentent comme les « vrais » héros sont bien différents.

Ceux-là ont droit aux unes des journaux, aux louanges des petits soldats de Bouygues, Murdoch, Minc et Lagardère.

Ils sont l’exact reflet de nos sociétés « héroïques ».

Chanteurs, acteurs, joueurs, présentateurs, pilotes et top-modèles.

La Coupe du Monde de football 2010, c’est entre autres dépenses un milliard d’euros pour les neuf stades.

Cela en ferait des écoles et des crayons pour Gaza.

Pourtant, des écoles et des crayons seraient le meilleur antidote au terrorisme qui empêche Israël (et donc le monde) de dormir, et la meilleure chose qui soit pour décourager les vocations de bombe humaine.

Hormis quelques enclaves terroristes ou autres zones lointaines aussitôt effacées de nos courtes mémoires, étendues terrorisées, inondées ou bombardées (Gaza, Irak, Haïti, Honduras, Afghanistan, Pakistan…), toutes les nations « démocratiques » et pacifiques vont s’adonner au plaisir visuel de voir évoluer ces héros des temps modernes : les Dieux du Ballon Rond.

« Avec près de trente milliards de téléspectateurs prévus en audience cumulée et environ 73 000 heures de retransmission dans 214 pays, à raison de soixante-quatre matchs, le Mondial est l’événement le plus médiatisé de la planète. »

C’est sûr que l’Opération Plomb Durci en 2008-2009, une attaque punitive, impitoyable d’Israël, contre tout un peuple déjà miséreux, celui de la bande de Gaza, y compris contre les enfants, les vieillards et les blessés, aura beaucoup moins retenu l’attention des médias « démocratiques » et si critiques quand il s’agit d’Iran, ou de Chavez.

Que vaut Camilo Torres ou Rachel Corrie face à Cristiano Ronaldo ou Lionel Messi (13 millions et 10,5 millions d’euros annuels, hors publicités) ?

Les deux derniers sont respectivement n°1 et n°3 au classement des dix footballeurs les mieux payés au monde.

Nos « héros », aujourd’hui, s’appellent Tiger Woods (110 millions $ en 2009), Kimi Raikkonen et Michael Jordan (45 millions $ chacun en 2009), David Beckham (42 millions $ en 2009), Roger Federer (33 millions $ en 2009) …et Stanley McChrystal, général US (plusieurs centaines de milliers de morts).

Que vaut Cynthia McKinney, ancienne Congresswoman démocrate jetée dans les prisons israéliennes pour avoir osé vouloir briser le blocus de Gaza avec des crayons, face à Carrie Underwood, Jennifer Lopez, Beyonce, Christina Aguilera et toutes les icônes des MTV awards 2010 ? Et face à Joe Biden qui se balade en faisant mine d’être très préoccupé par la situation à Gaza, que vaut Cynthia avec ses valises remplies de crayons de couleur ?

Elle vaut tout, justement.

Tout le monde connaît et adore Jack Bauer, le héros de la série 24h Chrono, le roi virtuel de l’antiterrorisme et de la lutte contre les arabes maléfiques, mais qui connaît l’histoire de John O’Neill [13], un expert du FBI bien réel, spécialiste d’Al Qaida, constamment entravé par sa propre hiérarchie et mort sans fanfare dans les tours du World Trade Center ? Ou bien celle de Danilo Anderson, procureur général courageux du Venezuela, assassiné à Caracas le 18 novembre 2004 alors qu’il enquêtait sur les responsabilités des Etats-Unis dans le putsch manqué d’avril 2002 ? Qui, de tous ceux qui connaissent et apprécient Jack, un héros de télévision, connaissent aussi John et Danilo, des héros de terrain ?

Le héros de nos héros modernes, le Président du Changement, le Prix Nobel de la paix 2009, Barack Obama, ment, vend son sourire à tous ceux qui sont encore assez fous pour se laisser séduire, et remplit son contrat.

Après la crise de 2008 et le renflouement des banques sans morale, il continue de laisser les corporations piller son propre pays et le monde alentour (le désastre BP).

Après la mise en route des procédures psychopathiques par Bush, Rumsfeld et Cheney : légalisation de la torture et des emprisonnements arbitraires, sans jugements, assassinats ciblés de n’importe quel citoyen du monde, espionnage total et intrusion dans les vies privées de tout un chacun, Barack Obama a tout maintenu, a renié sa promesse de rouvrir une enquête sur les attentats du 11 septembre 2001, et poursuivi la militarisation du pays à un point que ses prédécesseurs n’auraient jamais osé rêver atteindre.

C’est le héros des héros logique pour un monde dont les icônes ne sont pas ceux qui tentent de franchir des blocus inhumains au péril de leur vie, mais des virtuoses d’objets ronds de toute sorte, des présentateurs TV ignorants mais toujours prompts à se moquer et à critiquer, des « experts » et des hommes politiques qui manient l’hypocrisie aussi bien que Tiger Woods manie un club de golf.

Le héros logique d’un monde dont les gouvernants nous préconisent une longue cure d’austérité tout en dilapidant l’argent public, donnant à leurs dépenses toutes les justifications psychopathiques habituelles (Les frais de représentation de Mr Barroso , et des autres).

Ainsi, au début de l’année 2009, une très grosse cargaison d’armes, composée de 3000 tonnes de munitions, fut envoyée des États-Unis vers Israël :

« Suite à la demande de Tel-Aviv dans le cadre du programme étasunien d’aide militaire à Israël, le Congrès a approuvé en septembre 2008 le transfert de 1000 Guided Bomb Units 39 (GBU-39), des bombes perce-bunker de haute précision, de petit diamètre et guidées par GPS. Les bombes GBU-39 produites par Boeing ont été livrées à Israël en novembre. Elles ont été utilisées lors des premiers raids aériens sur Gaza. »

18 mois plus tard, grâce au Monde d’Alain Minc, nous apprenons et sommes priés de croire que « Barack Obama a dit, mercredi 9 juin, espérer des "progrès significatifs" cette année au Proche-Orient malgré le raid israélien contre la flottille humanitaire destinée à Gaza, dénonçant une situation "intenable" dans le territoire. »

N’est-elle pas intenable en raison, notamment, des bombes GBU-39, son cadeau d’investiture aux enfants « terroristes » de l’étroite bande de terre si dangereuse pour le monde entier ?

Bien sûr, dans notre monde malsain, une ancienne congressiste noire armée de crayons et un bateau turc équipé de vivres et de médicaments, eux, ce sont des terroristes, tandis qu’un Président au sourire étincelant, offrant des bombes perce-bunker de haute précision pour éclairer le ciel de Gaza, lui, c’est un homme bon incarnant la paix et le changement.

Les grands médias, instruments de propagande et du pouvoir, aimeraient nous faire vite oublier ce qu’ils considèrent comme des peccadilles embarrassantes : les actes de piraterie israéliens sur la Flottille de la liberté, les enquêtes sur les fraudes de Goldman Sachs, la contagion de plus en plus difficile à ignorer du mouvement mondial pour la vérité sur le 11 septembre 2001…

Ils peuvent compter, pour nous distraire opportunément, sur la Coupe du Monde de football en Afrique du Sud, le rendez-vous des vrais héros de nos temps modernes.

Pendant que le pacifique Obama et son gouvernement asservi à l’AIPAC (l’American Israeli Public Affairs Committee) et aux corporations préparent leurs mauvais coups et leurs prochains blocus, pour l’Iran, le Venezuela, l’Europe (les peuples), la Palestine, la Syrie, le monde entier…

Pendant que l’aigle US, plutôt un vautour ces temps-ci, à peine repu de ses festins en Haïti, en Irak, en Afghanistan, au Pakistan, tournoie encore un peu dans le ciel avant de se jeter sur une nouvelle proie correctement encerclée…

Pendant que sous la protection du vautour, les corporations pillent pour leur propre compte, impunément, des biens qui appartiennent à toute l’humanité…

Pendant tout ce temps, en attendant le remplaçant du figurant Oussama, les vrais héros vous attendent, tous les jours, dans les stades à plus de cent millions d’euros pièce d’Afrique du Sud.


Pascal Sacré