mercredi 11 août 2010

La «reine» de France a des cornes

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Le combat de reines de Villarlod, en avril, était une première sur sol fribourgeois. Mais les Hérens s'affrontent aussi en France: quasi disparue de Savoie dans les années 70, la petite race noire est de retour... jusqu'en Bretagne. Récit d'une renaissance - ou d'une dérive, c'est selon.

Premier août à Saint-Pierre de Chartreuse. Robe noire et cornes recourbées, des vaches d'Hérens s'affrontent. Inconnu il y a une quinzaine d'années, le combat de reines est aujourd'hui un rendez-vous attendu dans ce village à 25 km de Grenoble. Fin septembre, une autre «bataille de reines», comme disent les Français, aura lieu au pied du Mont-Blanc, à Servoz. Balayée par le productivisme de l'après-guerre, la petite race combattante fait son retour en France. Elle y a même été reconnue officiellement «race autochtone», en 2007. Histoire d'une renaissance. Des Hérens en France? Mais non, ce n'est pas une hérésie, assure Martial Aymon, président de la Fédération suisse d'élevage de la race d'Hérens. «Historiquement, la race est originaire de tout le pourtour du Mont-Blanc: on la trouvait en Valais, mais aussi dans la vallée de Chamonix et en Val d'Aoste.» N'empêche: c'est en Valais qu'on a retrouvé la plus ancienne trace de la race combattante: un fragment de crâne retrouvé près de Sion, datant de 3000 ans avant notre ère. Apparentées, les Hérens des trois pays ont pourtant connu des destins opposés. En Valais, la tradition reste vivace avec quelque 14 000 têtes (7000 adultes), et plusieurs combats au cours de l'année. En Italie l'élevage se porte encore mieux: le Val d'Aoste recense 30 000 têtes de Pezzatanera (robe tachetée, cousine de l'Evolénarde) et de Castana (robe unie, équivalent valdôtain de l'Hérens). Et les matches, dont les règles diffèrent légèrement des nôtres, restent une tradition vivace depuis un demi-siècle.

Revoilà la Chamoniarde

En Haute-Savoie en revanche, celle qu'on appelait la Chamoniarde - ou simplement la noire - a bien failli disparaître. Après la deuxième guerre mondiale, on lui préfère d'autres races plus productives. Si bien qu'au milieu des années 70, il en reste à peine une trentaine. Mais une poignée de passionnés s'accrochent à cette race «juste bonne pour la corne». Et, en 1978, ils organisent les premières «batailles de reines» officielles de Savoie.Depuis, chaque année, les éleveurs de Servoz, les Houches, Les Contamines-Montjoie et Argentières organisent ces matches par tournus. Avec le concours des offices du tourisme locaux, et l'expertise d'un jury suisse. Plus récemment, d'autres combats ont vu le jour à Vallorcine, mais aussi en Chartreuse. Ils suivent l'expansion de la petite race de montagne, qui a conquis des éleveurs jusqu'en Bretagne, dans le Charolais ou en Alsace. Les effectifs, pourtant, restent confidentiels: pas plus de 550 têtes pour toute la France. Mais qu'est-ce qui séduit les Français dans cette petite race oubliée? D'abord la curiosité. «Aux batailles, sur 3000 spectateurs, il y en a probablement 2900 qui n'ont jamais vu une vache d'Hérens», estime Joseph Deschamps. Agriculteur à Servoz, ce quinquagénaire élève une dizaine de lutteuses «pour le plaisir», et organise le combat annuel qui aura lieu fin septembre. «Dans mon entourage, j'ai toujours vu des Hérens», assure-t-il. «Mais ici, à une certaine époque, il n'y avait plus que quelques vieux qui connaissaient la race...»

«Pas des bêtes de cirque»

Difficile de recréer de toutes pièces - ou presque - une tradition sans tomber dans le folklore à touristes... «On doit faire très attention à ne pas les prendre pour des vaches de cirque», prévient Joseph Deschamps. «Si elles ne veulent pas combattre, elles ne le feront pas.» L'aura des reines - et de leurs éleveurs - elle, reste ici sans commune mesure avec le Valais. Plus difficile aussi de dénicher des sponsors pour boucler le financement des combats... Les Hérens ne rapportent pas? Joseph Deschamps n'en a cure. Au contraire: il le revendiquerait presque, au nom de l'authenticité. Ce pionnier, comme il se définit, n'a jamais rejoint Les Armaillis des Reines, l'association qui regroupe des éleveurs des quatre coins de la France. «Ici, on voudrait préserver le triangle de l'amitié entre Aoste, Martigny et Chamonix», explique-t-il. «L'Hérens, c'est une vache de montagne: il ne faut pas la galvauder. Des reines dans le nord de la France, ça
n'a pas tellement de sens...»

Prochains grands rendez-vous:
Le 26 septembre à Servoz (France)
Le 3 octobre au Comptoir de Martigny
Le 24 octobre à Aoste (Italie)
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Annick MONOD