mercredi 11 août 2010

Le ramadan tant qu'on a la santé...

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Le jeûne du ramadan débute aujourd'hui pour les musulmans de Suisse. Mal pratiqué, il peut nuire à la santé. Malgré les contre-indications religieuses et médicales, trop de diabétiques s'astreignent au jeûne. Paradoxalement, il peut aussi être l'occasion d'une prise de poids.

Alertés par des mauvaises pratiques du jeûne musulman du ramadan - il débute aujourd'hui en Suisse romande - les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) sensibilisent depuis trois ans les professionnels de la santé pour réduire les risques encourus par les fidèles. Malgré des contre-indications religieuses et médicales, beaucoup se montrent trop zélés. Les explications de Valérie Miserez, diététicienne au département de médecine communautaire des HUG.

Le ramadan est-il bénéfique pour la santé?

Valérie Miserez: Les pratiquants disent qu'il est l'occasion de se purifier, ce qui est peu clair sur le plan médical.

Le jeûne ferait éliminer certaines toxines et serait une façon de régénérer le corps, un peu comme un grand nettoyage de printemps?

Je ne crois pas que la médecine ait scientifiquement établi d'effets bénéfiques du ramadan. Tout dépend de comment on le pratique. Scientifiquement, il a été observé que les gens en bonne santé ont tendance à perdre du poids, mais que les diabétiques ou les gens en surpoids en prennent, ou restent stables. L'état d'esprit influence aussi le contrôle alimentaire, selon que l'événement est vécu comme festif et social ou plutôt spirituel. Les pratiquants disent prendre conscience de leur richesse intérieure et de leur capacité à se discipliner. La contrainte volontaire leur rappelle qu'ils ont de la chance de pouvoir manger à leur faim. Le ramadan les rapproche aussi de leur culture. L'effet psychologique est réel et, comme on dit: mieux dans la tête, mieux dans son corps.

Paradoxalement, beaucoup prennent du poids alors que le but est de ressentir la privation que vivent les nécessiteux!

L'apport calorique est souvent plus ou moins identique, mais peut être qualitativement moins sain à cause d'une abondance de sucres rapides et de graisses, ainsi que d'une diminution des sucres lents et des fibres (légumes et fruits). Pour les gens en surpoids, nous réfléchissons au choix des repas et à des alternatives aux biscuits, gâteaux et plats trop riches, consommés également trop rapidement. Mais je leur dis aussi de profiter: on ne fait pas un régime à Noël! Même si, pour le coup, la difficulté est de gérer les excès sur une période d'un mois!

Qu'est-ce qui vous a amenée à vous intéresser à cette problématique?

La médecine communautaire a notamment affaire à des musulmans - migrants, requérants d'asile ou clandestins venant d'Afrique (surtout de l'Est), du Maghreb ou des Balkans. Avec l'équipe infirmière, nous avons remarqué que parmi les patients diabétiques, beaucoup suivaient le jeûne malgré les contre-indications. Il y a trois ans, trois patients se sont ainsi retrouvés à l'hôpital en décompensation diabétique. Les gens souffrant d'hypertension, de problèmes de cholestérol ou d'obésité sont aussi concernés.Nous avons alors mis en place des colloques informatifs pour sensibiliser les médecins de la médecine communautaire. Cette sensibilisation démarre deux mois avant le ramadan, mais il faudrait probablement encore plus anticiper. Et, bien sûr, une prise en charge pluridisciplinaire a été mise sur pied. Pour 2011, la sensibilisation s'étendra aux infirmières des centres d'accueil pour requérants et les médecins de ville liés au réseau de soin pour requérants.

Jeûner malgré une maladie: quelle est l'ampleur de ce zèle?

Une étude, portant sur 12 000 fidèles de treize pays islamiques, a montré que 43% des diabétiques de type 1 (le plus grave, qui impose des injections d'insuline) et 80% des diabétiques de type 2 (prise d'insuline suivant les cas) font le ramadan.

Et chez nous?

Difficile à dire. Mais j'ai observé que les migrants, du fait qu'ils sont éloignés de leur pays et culture d'origine, attachent plus d'importance au ramadan ici que dans leur propre pays.

Comment accompagnez-vous les «zélés»?

On adapte le traitement, en termes d'horaire et de dosage, car leur pratique religieuse leur interdit la prise de médicaments par voie orale ou les injections.

Le Courrier