Les ventes de fromage suisse à l'étranger affichent une forme resplendissante. Outre le traditionnel trio Gruyère, Emmentaler, Appenzeller, les fromages de montagne occupent une place de choix. Jugez plutôt: durant les trois premiers mois de l'année, leurs exportations ont explosé de 169%. Mais avant de conquérir les rayons des crémeries françaises, allemandes, danoises voire hors Union européenne, la bataille a été rude. Sans compter que la chute de l'euro pourrait assombrir le tableau.
Les fromages suisses ont bel et bien trouvé leur place sur les rayons des crémeries et fromageries de l'Union européenne, voire au-delà. Parmi les produits les plus appréciés par les gourmets européens (Allemands, Danois, Français, Anglais et Autrichiens en tête), les fromages de montagne occupent une place de choix. Au premier trimestre de cette année (derniers chiffres disponibles), la catégorie affichait une augmentation de l'exportation de 169% à 691 tonnes. Un chiffre qui n'étonne pas le directeur de la coopérative de L'Etivaz, Christophe Magne, chez qui la demande étrangère dépasse largement l'offre. Sur les quelque 400 tonnes produites annuellement, plus de 40% partent hors des frontières helvétiques et en particulier vers la capitale de l'Hexagone. Et ce ne sont pas les 28 à 40 euros que coûte le kilo d'Etivaz chez le crémier parisien qui effraie la clientèle: «Ce qui compte, c'est la qualité», insiste le spécialiste. Et la recette de ce succès? «Rien de tel que de monter dans les chalets où l'on produit L'Etivaz avec les acheteurs. Ils apprécient tout particulièrement de voir les chaudrons desquels sortiront les formes qu'ils proposeront à leur tour à leur clientèle. Ils prennent d'ailleurs souvent des photos pour illustrer leur récit de retour en France, pour montrer d'où vient le fromage qu'ils vendent. C'est un peu comme un morceau de patrimoine à déguster», explique encore Christophe Magne.
Débuts difficiles
Une valeur ajoutée qui se traduit par «tradition, histoire et qualité», qui sont aussi les maîtres mots du succès chez Emmi, l'un des principaux exportateurs de fromage en Suisse, et qui vient d'ailleurs de rafler six médailles lors du récent International Cheese Show 2010 de Nantwich, en Grande-Bretagne, le plus important salon de la catégorie au monde. Plus largement, les chiffres livrés par les organisations de promotion du secteur et par les douanes, aux premier et second trimestres 2010, sont éloquents et prouvent la forme resplendissante qu'affichent les exportations de fromage «made in Switzerland», Gruyère, Appenzeller et Emmentaler en tête. Et pourtant, la bataille du fromage suisse sur le marché européen semblait loin d'être gagnée. Suite à la libéralisation du marché en 2007, les plus pessimistes prédisaient une véritable calamité pour la branche. Un alarmisme qui trouvait encore écho l'année dernière, lorsque le conseiller fédéral Ueli Maurer, invité à s'exprimer devant les délégués de l'union zurichoise des paysans, réunis pour leur assemblée annuelle, assurait que «le calcul ne peut fonctionner puisque, de la balance entre exportations et importations, il résulte quelque 30 000 vaches que nous ne pourrons plus traire».
Contrecoups de l'euro
De fait, dès l'entrée en vigueur de la libéralisation du secteur, l'importation de fromages industriels et produits de bas de gamme avait semblé inonder le marché helvétique et effrayé les producteurs suisses. Mais par la suite, les choses ont progressivement changé, au grand soulagement de Manfred Bötsch, directeur de l'Office fédéral de l'agriculture, qui admet aujourd'hui qu'«il a fallu un certain temps pour que les canaux de l'exportation se mettent en place et puissent fonctionner», avait-il récemment confié dans la presse alémanique. La chute du cours de l'euro pourrait néanmoins assombrir quelque peu le tableau à terme. «Il faudra attendre la fin du second semestre pour vérifier si, et dans quelle mesure l'état de l'euro aura ou non pesé sur les exportations», indique Esther Gerster, la porte-parole du groupe Emmi. Chez Switzerland Cheese Marketing on note d'ores et déjà un ralentissement dû à l'effondrement du cours du change aux mois d'avril et mai, qui a vu passer l'euro de 1,49 fr. à 1,33 fr. (en juin). Avant cette lame de fond, la croissance caracolait encore autour des + 13% (12,8%) en début d'année. Du coup, les volumes exportés vers l'UE ont été affectés par la faiblesse de la monnaie unique, avec un taux de volumes redescendu à + 1,5% (soit une augmentation de 354 tonnes), alors que les exportations vers des pays situés en dehors de la zone euro, ont crû de 13,2% (+ 582 tonnes), toutes catégories confondues. La plus forte croissance de la demande étrangère concerne la catégorie des fromages frais et fromages à pâte molle avec respectivement des bonds vers le haut de 73,8% pour les premiers et de 41,4% pour les seconds. Mais aléas monétaires ou non, les fromages suisses se sont déjà assurés une belle place dans les crémeries et les supermarchés étrangers.
Nicole DELLA PIETRA