jeudi 30 septembre 2010

États-Unis : l’hyper-réalité d’une presse commerciale en pleine décadence

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Le genre médiatique dominant aux Etats-Unis est représenté par des commentateurs radio comme Rush Limbaugh ou télé comme Glen Beck. Ils ne cherchent pas à comprendre le monde et à le faire découvrir au public, mais à exciter des passions, et en premier lieu la haine. Ce journalisme de l’irrationnel convient aux médias commerciaux parce qu’il fidélise le public dans un état émotionnel qui le rend vulnérable à la publicité. Il sert aussi à défendre l’idéologie du système économique dont les grandes holding médiatiques sont le produit.



Glen Beck, présentateur vedette de Fox News


L’hyper-réalité n’est rien d’autre que l’incapacité à distinguer ce qui est réel de ce qui ne l’est pas. La presse commerciale [aux USA], Fox News Channel en particulier, publie des nouvelles tendant à créer une réalité parallèle des thèmes et problèmes agitant le monde. Les téléspectateurs des chaînes commerciales, et en particulier ceux dont la vision du monde s’est forgée quasi uniquement au contact de ce type de médias, sont plongés dans une sorte de délire exacerbé par l’ignorance.

Les médias commerciaux n’ont pas agi comme un pouvoir uni, protecteur, un « quatrième pouvoir » depuis décennies, ainsi que le démontrent les exemples les plus récents tels que la guerre d’Irak, la torture ou l’ampleur réelle des dégâts causés par l’ouragan Katrina.

Les informations des médias commerciaux se laissent examiner plus efficacement dans une perspective post-moderniste d’hyper-réalité : le traitement de l’information par les réseaux états-uniens est basé sur des présentations de sujets partiellement factuels, articulés sur une ligne socio-émotionnelle opposant le « mal » au patriotisme et à la foi chrétienne. On en trouve de multiples exemples, mais nous nous arrêterons à deux d’entre eux.

La tendance à l’hyper-réalité, inhérente aux médias actuels, est si répandue qu’il suffit aux consommateurs d’allumer leur téléviseur pour y être exposés.

Nous examinerons ici le traitement de deux personnalités notoires et controversées pour expliquer ce que nous entendons par l’hyper-réalité de la méconnaissance : le président vénézuélien Hugo Chavez et l’animateur radio [de tendance politique néoconservatrice de droite] Rush Limbaugh, des exemples révélateurs, de par leurs positions diamétralement opposées et de par leurs ressemblances qui ne sautent pas aux yeux.

Tous deux devraient n’avoir qu’un faible impact aux États-Unis, au moins sur la politique intérieure de ce pays, puisque l’un appartient à l’industrie du divertissement et l’autre est le dirigeant d’un Etat étranger. Mais il s’agit dans les deux cas de figures médiatiques : l’un parce qu’il dit toucher 20 millions d’auditeurs chaque semaine, et l’autre parce qu’il participe tous les dimanches à une émission de télévision qui lui permet de s’adresser à des millions de Vénézuéliens.

En outre, ils sont tous deux très idéologiques dans la défense de leurs points de vue qui sont diamétralement opposées.

Malheureusement, tous deux jouissent aujourd’hui d’une importance mal acquise, et due en partie – car telle est l’ironie du sort –, à l’énorme attention qu’attirent sur eux leurs adversaires de la presse. Ce qui nous amène à poser une autre question : quel est l’effet réel de cette focalisation médiatique, que sa charge soit positive ou négative ?

Hugo Chavez, le « méchant »

Les grandes multinationales auraient tort d’ignorer la menace qui plane sur leurs fournisseurs au Venezuela, quand l’influence croissante d’Hugo Chavez semble pouvoir atteindre des économies beaucoup plus puissantes. À supposer que la révolution populaire du Venezuela gagne du terrain ailleurs, il deviendra difficile de critiquer ces modèles économiques similaires depuis les États-Unis. Car, si un pays doté de ressources comme le Venezuela peut offrir des services publics de qualité, pourquoi les États-Unis, dont les ressources sont supérieures, ne peuvent-ils pas en faire autant ?

En réalité, les progrès sociaux acquis par le peuple vénézuélien sous la conduite de Chavez étant contraires aux objectifs des capitaines de l’industrie états-unienne, chacune de ses initiatives est la cible de toutes les attaques des médias commerciaux.

La chaîne Fox News constitue le noyau dur de ce front. Fox News est un des grands médias des États-Unis. Fox News a pour animateurs des personnages aussi lumineux que Glen Beck, qui a un jour traité Cindy Sheehan [mère de famille, son fils, soldat, est mort en Irak] de « pute tragique » et qui a lancé l’idée de l’assassinat de Michael Moore en cours d’émission.
Les espaces conçus par Fox News pour attaquer Chavez sont si fréquents et pareils les uns aux autres qu’ils en deviennent monotones. Si l’on examine le vocabulaire que Fox News accole à Chavez, on retrouve constamment des termes descriptifs qui sont, émotionnellement parlant, négatifs : autoritaire, homme fort, socialiste, cruel, sinistre, radical, activiste et dictateur. Or, au fil des dix dernières années, Chavez a été élu à plusieurs reprises et démocratiquement par l’immense majorité du peuple du Venezuela, mais cela n’a pas empêché les médias commerciaux des États-Unis de livrer contre lui leur combat invariable et prévisible assaisonné de calomnies d’ordre émotionnel.

Lorsque Chavez a recouru à la loi sur les licences pour fermer RCTV à Caracas, probablement parce que la direction de RCTV s’était impliquée à fond dans le complot du coup d’État de 2002, Fox News a couvert l’incident comme si le seul et unique mobile de Chavez avait été la censure. Les premiers titres et premiers reportages de Fox News montraient constamment les balles de caoutchouc et les gaz lacrymogènes, les jours passaient et Fox News n’en finissait pas de lancer des estimations non vérifiées sur le nombre de manifestants et de brandir le spectre d’un autoritarisme virulent.

Pratiquement toutes les nouvelles publiées par les médias commerciaux sur Chavez revêtent cette caractéristique essentielle.

Bien malheureusement, Fox News ne se charge jamais d’examiner, par exemple, l’origine de la manifestation : qui y participe ? S’agit-il des mêmes personnes qui avaient opté pour l’opposition violente quelques années plus tôt ?

Une enquête menée au Venezuela après la fermeture de RCTV montrait que les avis étaient ambivalents ; près de 70 % des personnes interrogées s’opposaient à la fermeture, mais c’était, pour la plupart, parce que cette chaîne diffusait leurs feuilletons favoris, ainsi condamnés à disparaître.

Fox News et Glen Beck ne démordent pas de leur intention d’accuser le gouvernement d’Obama de socialisme. Si Chavez était l’homme idéal pour attaquer les tendances progressistes et socialistes, le président Obama s’y prête fort bien aussi. En février 2009, dans un espace télévisé intitulé « Voteriez-vous pour Hugo Chavez ? », Beck affirmait que la nation (les États-Unis) était engagée « sur l’autoroute du socialisme », suite aux mesures de « nationalisation des banques ».

En finançant une seule banque de plus, disait-il, les États-Unis seraient prêts à offrir la présidence à Chavez. Pour Fox News, Chavez était devenu le symbole du Mal dont on pouvait user pour miner la présidence d’Obama en jouant sur les touches de l’ignorance et de l’émotion. Fox News se garde bien de parler d’actions du même genre – le renflouement de banques – soutenues par l’ancienne administration George W. Bush, comme dans les cas de Bear Stearns et AIG. Par contre, Fox News plaque sur Obama les calomnies utilisées contre Chavez, sans la moindre logique mais pour susciter les mêmes émotions.

Dirigé par le président Hugo Chavez, le Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) remporte plus d’un million et demi de votes de majorité aux élections du 23 novembre 2008.

Avant l’élection de Chavez à la présidence, en 1998, l’éducation était principalement réservée aux riches. Aujourd’hui, plus de 1 800 000 Vénézuéliens vont à l’Université, soit trois fois plus qu’il y a dix ans.

Pour les deux tiers des Vénézuéliens dont les revenus sont bas, Hugo Chavez signifie soins médicaux, emploi, alimentation et sécurité dans les quartiers pauvres où bien souvent le dénuement était absolu dix ans plus tôt. Au Venezuela, où le taux de chômage est inférieur à celui des États-Unis, le partage équitable des richesses est quelque chose qui a un sens concret.
Malgré la hausse des prix des denrées alimentaires de 50 % enregistrée l’année dernière, les MERCAL (marchés alimentaires) offrent de l’huile, de la farine de maïs, de la viande et du lait en poudre à des prix subventionnés par le gouvernement : de 30 à 50 % moins cher qu’ailleurs. En outre, il existe actuellement 3 500 banques mutuelles dotées d’un budget global de 1,6 milliard de dollars, offrant des microcrédits pour améliorer les logements des quartiers pauvres, créer de petites entreprises et même pour répondre à des situations individuelles d’urgence.

Au Venezuela, les médias commerciaux sont encore entre les mains des élites. Les cinq plus grandes chaînes de télévision et neuf quotidiens sur dix poursuivent leur travail de sape contre Chavez et la révolution socialiste.

Malgré la puissance des médias commerciaux ligués contre lui et le soutien financier fourni en permanence par le contribuable états-unien aux institutions antichavistes par le biais de l’USAID et de la National Endowment for Democracy (20 millions de dollars par an), les deux tiers de la population vénézuélienne continuent de soutenir le président Hugo Chavez et son Parti socialiste unifié du Venezuela.

L’obsession de Fox News n’a pas de limites : ce groupe a diffusé des sujets sur l’ex-épouse de Chavez, les difficultés du divorce, les litiges autour de la garde de l’enfant, des enregistrements de Chavez pour un album d’artistes « engagés pour la Révolution bolivarienne ». La manière dont Barack Obama a salué Chavez lors de la réunion de l’Organisation des États américains et ses éventuelles conséquences diplomatiques ont, à l’antenne, donné du grain à moudre non seulement à Karl Rove, mais aussi à John Bolton, ex-ambassadeur des États-Unis auprès de l’ONU, et à Beck.

Les dépêches de l’Aassociated Press constituent également une source abondante d’articles antichavistes, dont les contenus alimentent l’allégation de Fox News, selon laquelle le Venezuela est devenu un pétro-fief socialiste.

Chavez met en œuvre de nombreuses mesures politiquement sensibles et, comme tout leader élu démocratiquement, il lui faut parfois y mettre de la poigne. Mais aux États-Unis, on a tendance à ne raconter que la moitié de l’histoire. Le meilleur exemple de reportage partiel et partial est la couverture du refus de rénover la licence de transmission de RCTV en 2006, sur la base de la Loi de responsabilité sociale de la radio et de la télévision. Cette couverture fut d’une myopie phénoménale. Si les producteurs ou les cadres exécutifs d’un média états-unien avaient conspiré contre le gouvernement des États-Unis, il ne fait pas de doute que les mesures prises à leur encontre auraient été bien plus dures que celles qui ont été appliquées à RCTV, autorisé à émettre tout le temps que lui permettait encore sa licence.

Prenons un autre exemple, celui des réformes constitutionnelles de 2007, lorsque les médias commerciaux des États-Unis commencèrent à affirmer que Chavez avait amendé la constitution de manière à devenir potentiellement un « président à vie ». Une fois de plus, il s’agit là d’une simple manipulation. Les changements comportaient une réforme qui autorisait un éventuel troisième mandat de Chavez. En Allemagne, au Royaume uni et en Australie, le nombre de mandats n’est pas limité, mais les médias étasuniens ne qualifient pas pour autant les gouvernements de ces pays de dictatures. L’ironie du sort a voulu que la réforme de 2007 soit rejetée, mais un nouveau projet de loi, qui élimine toute limite au nombre de mandats, a été approuvé en février 2009.

Les médias commerciaux états-uniens ne semblent pas causer beaucoup de problèmes à Chavez ni à son programme démocratique : il gagne toutes les élections depuis 1998. Ce que fait Chavez au Venezuela a peu d’impact sur les politiques et la conjoncture des États-Unis. Toutefois, les efforts déployés pour le discréditer perpétuent une hyper-réalité affective profondément ancrée dans la conscience du public états-unien. Le Chavez hyper-réel est contrasté systématiquement avec d’autres thèmes d’actualité.

Rush Limbaugh, autre pseudo journaliste fanatique vedette de la presse américaine, spécialiste de l’hyper-réalité et véritable phénomène médiatique aux USA, capable de dominer et captiver des foules entières.

La gloire de Rush Limbaugh

Rush Limbaugh s’est vu dans une position si influente que personne, sauf lui, ne l’aurait jamais cru. Consacré « patron » aussi bien par les médias que par les législateurs de droite qui lui présentent leurs excuses quand ils le contredisent dans son idéologie, Limbaugh a érigé sa popularité croissante en sacerdoce et ne cesse de gonfler son agenda.

Depuis les élections de 2008, Limbaugh a perfectionné ses attaques, comme on a pu le constater lors de son interview de Sean Hannity, le 4 juin 2009. Pour Hannity, Limbaugh est quelque chose comme une autorité à la fois morale et constitutionnelle, ce qui lui permet d’adopter une conduite quasiment doctorale, distribuant des sermons dogmatiques sur l’art d’être un bon Américain. Limbaugh maintient la position selon laquelle les efforts de Barack Obama pour restaurer l’économie malade de son pays équivalent au socialisme ou au fascisme. Evoquant la transformation de General Motors en « Government Motors », il lance, d’un air badin : « Fidel Castro et Moi (Hugo Chavez), nous devons faire attention si nous ne voulons pas nous retrouver à la droite d’Obama. » Et d’ajouter : « Vous pouvez faire des statistiques pour déterminer qui nationalise le plus, d’Obama ou de Chavez : à mon avis, ils se talonnent probablement. » Rush Limbaugh se trouvait au centre d’échanges agressifs entre la direction démocrate et la direction républicaine au printemps 2009.

Le directeur de cabinet de la Maison Blanche, Rahm Emanuel, affirma sans sourciller que l’animateur était « la voix, la force, l’énergie intellectuelle qui impulsait le Parti républicain ». Michael Steele, président du Comité national républicain, a indiqué qu’il avait appelé Rush Limbaugh pour lui dire qu’il n’avait pas voulu l’offenser lorsqu’il avait déclaré que l’émission du populaire et très conservateur « animateur » pouvait être « incendiaire ». « Je n’avais pas du tout l’intention d’attaquer Rush, je le respecte profondément », a confirmé Steele. « Sans doute me suis-je mal exprimé : je n’ai jamais eu la moindre intention de minimiser sa voix ni son autorité. »

Crooner Pat Boone (chanteur et acteur américain avec une posture politique reactionnaire) l’a couvert d’éloges dans un article : « Rush Limbaugh est un patriote. Un patriote, tout simplement. Je le situe dans l’illustre compagnie d’autres patriotes comme Paul Revere, Thomas Paine et Benjamin Franklin. Heureusement qu’on ne lui a pas demandé de faire une déclaration solennelle pour la postérité, comme l’a fait Nathan Hale : ‘‘ Je regrette de n’avoir qu’une seule vie à donner à mon pays ’’, mais je ne doute pas qu’il le ferait si l’occasion s’en présentait. »
Phyllis Schlafly, un militant conservateur, maintient que Rush est un citoyen modèle : « Un des secrets du succès de Limbaugh tient au fait qu’il n’a pas peur de faire face aux groupes de pression qui en intimident tant d’autres à coups de discours politico-moraux.

Il les interpelle tous : les féministes radicales, les environnementalistes zinzins, les défenseurs de l’ouverture des frontières, et même le président George W. Bush lorsqu’il s’écarte du conservatisme pur et dur. » Rush Limbaugh est un homme de valeurs chrétiennes – bien qu’on ignore à ce jour à quelle Eglise il appartient – et il croit dur comme fer que les États-Unis sont une nation fondée sur les principes chrétiens.

Né en 1951 d’une famille illustre du Missouri, le jeune Rush fut un boy-scout comme un autre, sans mérite particulier. Sans doute pour faire plaisir à ses parents, Limbaugh s’inscrivit pour deux semestres à un stage d’été à l’Université d’État du Sud du Missouri. Sa mère racontait au biographe Paul Colford qu’il avait raté tous ses examens [14], qu’il ne s’en sortait même pas au cours de danse de salon. Dans les années 70, il était DJ sur une radio musicale, et fit des petits boulots de ce genre avant de devenir directeur des promotions pour les Kansas City Royals, en 1979. Il revint à la radio en 1984, et il lui fallut attendre que le gouvernement de Reagan révoquât la doctrine de l’impartialité pour frapper un premier grand coup.

Mais comment et quand a-t-il acquis l’aisance dont il se flatte, et comment se manifeste-t-elle ?

Examinons le commentaire de Limbaugh du 14 mai 2008, dans son émission de radio sur la Crise économique de 1929, et les adversaires qu’il s’est choisis pour cibles.

Une des tactiques favorites de Rush consiste à s’emparer d’un bouc émissaire. Il cherche sur Google quelques termes, avec l’espoir de réunir quelques données déjà connues et expliquant la Crise de 29. C’était à prévoir : il tombe sur une étude intitulée Les principales causes de la Grande Dépression, publiée en 1996. Sur le ton docte du professeur indigné, il tire à boulets rouges sur ce travail, le ridiculise plutôt qu’il ne le critique, en conclut qu’il faut le réviser à fond parce que ce pourrait bien être un plagiat d’un livre de Karl Marx. Il insiste : « l’auteur, Paul Gusmorino, se trompe du tout au tout ». Et d’en conclure : « J’ai bien fait de ne pas terminer l’Université, j’en serais ressorti contaminé, victime du lavage de cerveaux opéré par ce groupe de professeurs marxistes ».

Malheureusement pour Rush, l’auteur du travail, Gusmorino, n’a pas non plus terminé l’université. Il est aujourd’hui administrateur de programmes pour Microsoft, et il était encore à l’école secondaire en 1996, lorsqu’il a écrit ce travail. Il n’était donc pas non plus professeur d’économie politique au service du marxisme !

Rush Limbaugh fait figure, dans la presse corporative, de caricature du patriotisme et des valeurs chrétiennes. Qu’il ne comprenne rien aux conjonctures sociopolitiques qu’il commente ne pose pas problème dans le cadre de l’hyper-réalité des médias. Le seul fait qu’il soit ouvertement discuté par les deux partis politiques ouvre la voie à une parodie basée sur l’affectif et met en marche un véritable délire associé à l’ignorance.

Et le score, il en est où ?

Un autre animateur radio conservateur, Michael Savage, s’est vu interdire l’accès au territoire du Royaume uni pour avoir « encouragé l’extrémisme et la haine » en affirmant que « Le Coran… est un livre de haine ». Pourtant, aux États-Unis, les orateurs qui agitent la haine dans les médias commerciaux, et Limbaugh fait figure de bon exemple, ne se heurtent pas à ce genre de problèmes.

Il est indiscutable que l’on assiste à une montée de l’extrémisme au sein de la société états-unienne depuis le changement de gouvernement. Des individus appartenant à la droite ou défenseurs traditionnels des causes réactionnaires, telles que la libre détention d’armes et l’interdiction de l’avortement, sombrent dans un délire exacerbé par la haine.

Durant la soirée d’investiture présidentielle d’Obama, Keith Luke, qui se déclare « suprématiste blanc », a été arrêté suite à un apparent crime multiple de viol et d’homicide, dont le triste bilan est de deux morts et d’une personne grièvement blessée et violée. Toutes ses victimes étaient noires de peau et il pensait terminer les réjouissances avec un massacre dans une soirée loto à la synagogue locale.

Trois policiers de Pittsburgh ont payé de leur vie la paranoïa de Richard Poplawski, qui craignait que l’administration Obama aille saisir ses armes.

Le Dr George Tiller, qui a survécu à de multiples attentats contre sa vie, a été tué par balles dans sa propre église avant la messe du dimanche 31 mai 2009.

Dix jours plus tard, James von Brunn, un membre de « Suprématie blanche » âgé de 88 ans, a tué un gardien et en a blessé un autre en ouvrant le feu au Musée de l’holocauste de Washington. Tous ces faits reflètent une tendance alarmante, et certains se posent déjà des questions sur le rôle que pourraient jouer les médias dans ces poussées de violence. Il serait sans doute injuste de rendre la presse commerciale responsable de tous ces extrémistes, mais il est certain que la désinformation croissante joue un rôle dans ces faits.

Sans la moindre preuve à l’appui, Glenn Beck est capable d’annoncer au journal télévisé de Fox News que la fusillade du Musée de l’holocauste aurait été soutenue ouvertement par les défenseurs de la vérité sur le 11-Septembre.

Beck a affirmé que ceux-ci voient dans James von Brunn un héros. La déclaration de Beck n’est basée sur rien de concret et représente un coup d’éclat de l’hyper-réalité émotionnelle dirigée contre un groupe conspué et classé par les médias commerciaux sous l’étiquette de théoriciens de la conspiration. Beck a poursuivi sa diatribe en mettant dans le même sac les défenseurs de la vérité sur le 11-Septembre, la Suprématie blanche et Al Qaeda, affirmant que tous voulaient « détruire le pays ».

Notre décadence culturelle progressera tant qu’il existera un mouvement qui l’y incite. Le consommateur décidera, le moment venu, que ces messages sont dépourvus de sens. La perte de confiance dans les médias commerciaux à laquelle on assiste actuellement montre que la pensée change. On s’en rend compte lorsque les journaux télévisés, comme les médias qui se consacrent au divertissement, suivent le même paradigme, cyclique et répétitif par nature : ils perdent leur attrait pour finalement péricliter.

En attendant, de nombreux États-uniens demeurent immergés dans un état d’excitation délirante dû à l’ignorance. Inverser cette tendance constitue une tâche vitale si l’on veut démocratiser les médias. Seuls des médias indépendants et actifs, se basant sur une information vérifiée et rationnelle, peuvent remédier à notre crise d’hyper-réalité.

Peter Phillips
Sociólogo estadounidense, es el Director de Project Censored, Universidad Sonoma State, California
Andrew Hobbs
Andrew Hobbs est spécialiste en philosophie à l’Université d’État de Sonoma (SSU)