A moins d'un miracle, ce sera bientôt la fin d'une longue aventure industrielle pour la Brasserie du Cardinal. Hier, son propriétaire a confirmé sa décision de fermer le site de Fribourg en juin 2011. «Conserver cet appareil de production, c'est comme transporter un six pack dans un 40 tonnes», a justifié hier le directeur général de Feldschlösschen. Ce dernier a par ailleurs rejeté les propositions des syndicats, laissant un personnel fribourgeois très abattu. Trente employés se verront proposer un poste à Rheinfelden. La commune de Fribourg reçoit pour sa part un droit de préemption sur le terrain bientôt vacant de 53 000 m2.
Pour sauver la Brasserie du Cardinal, les syndicats voulaient centrer sa production sur des spécialités, y ajouter un centre de distribution romand, rassembler sur le site la gestion du matériel publicitaire, et louer des silos à malte. C'est raté sur à peu près toute la ligne. Son propriétaire, Feldschlösschen, a confirmé hier sa décision de fermer le site de Fribourg en juin 2011. La société membre du groupe Carlsberg ne leur accorde qu'un renforcement du site logistique de Givisiez, avec 8 à 10 emplois à la clé. Les autres travailleurs se verront proposer un poste hors canton. La ville se voit pour sa part offrir un droit de préemption sur le terrain de 53 000 m2. Explications de Thomas Metzger, directeur général de Feldschlösschen.
Pourquoi n'êtes-vous entré en matière que sur le renforcement du centre logistique de Givisiez?
Thomas Metzger: La proposition de sauvegarder une partie de la production est irréaliste. Nous avons maintenu la brasserie de Fribourg malgré sa sous-exploitation pendant 14 ans grâce aux volumes apportés par Carlsberg. Mais le marché est très compétitif et utiliser une partie encore plus faible de cet appareil de production, c'est comme transporter un six-pack dans un 40 tonnes: ça ne vaut pas la peine. Je rappelle que Feldschlösschen vient de perdre une commande de Carlsberg représentant 20% de son volume sur l'ensemble de la Suisse. C'est pour cela que nous regroupons la production à Rheinfelden (AG), afin de ne pas avoir deux usines sous-utilisées. Au niveau logistique en revanche, nous pouvions faire quelque chose.
Sans toutefois concentrer les activités à Fribourg, comme le demandaient les syndicats?
Nous avons un réseau en dix points, dont Givisiez, pour la Suisse romande et le Mitteland. Tout regrouper à Fribourg aurait entraîné la fermeture d'autres sites et une perte d'efficacité. Nous avons toutefois la possibilité de renforcer le site de Givisiez, où travaillent 40 personnes, en aménageant un accès au rail jusqu'à ce centre. Cela permettra de gérer des volumes supplémentaires.
18 des 75 employés du site partent en retraite anticipée. 8 à 10 iront à Givisiez. Qu'offrez-vous aux autres?
Nous proposerons entre 25 et 30 postes en Suisse romande. Les autres se verront offrir une solution en Suisse alémanique (ndlr: lire ci-dessous). Les possibilités varient selon les métiers: les brasseurs ne pourront par exemple aller qu'à Rheinfelden ou à Sion (ndlr: Brasserie Valaisanne). Nous sommes maintenant en discussion avec chacun des employés.
Pour ceux qui ne pourront ou ne voudront pas travailler ailleurs, quel plan social proposez-vous?
Ils percevront une indemnité de départ proportionnelle à l'âge et l'ancienneté. Nous les aiderons également dans leur recherche d'emploi. A noter que ceux qui acceptent d'être relocalisés bénéficieront aussi du plan social négocié avec UNIA: nous leur proposerons un soutien au déménagement ou un défraiement, dans un premier temps, pour les trajets.
La marque Cardinal est liée à Fribourg. C'est d'ailleurs ici et dans les cantons voisins que se concentrent ses consommateurs. Comment voyez-vous l'avenir de la marque, une fois déracinée?
Nous continuerons à la soutenir par le biais de sponsoring d'événements de la région (Paléo Festival, Rock Oz'Arènes...). La marque continuera à vivre, c'est ce qui compte. Quant à la production, il faut savoir que la bière Cardinal est déjà en partie fabriquée sur d'autres sites comme Rheinfelden ou Wädenswil...
Vous ne craignez pas le boycott?
Le boycott n'est bon pour personne. Les gens aiment la marque. Je ne vois donc pas pourquoi ils voudraient lui faire du mal.
A propos du site, pourquoi donner un droit de préemption à la ville et ne pas discuter directement avec d'autres groupes industriels?
C'est une question de responsabilité. Un investisseur privé pourrait y conduire un projet contraire aux intérêts de la ville. Par ailleurs, la commune a le pouvoir de changer la nature de ce terrain industriel. Elle pourrait le dézoner pour en faire une zone résidentielle.
Où en sont les discussions?
Nous attendons une réponse de la commune.
Lui avez-vous donné un délai de réflexion?
Oui, mais nous ne le communiquons pas. Nous comprenons toutefois que les autorités ont besoin de temps pour décider de ce qu'elles vont faire de ce terrain. Une opportunité pareille est unique et je suis convaincu que d'autres villes seraient contentes d'avoir une chance pareille. La reconversion du site de Hürlimann (ndlr: également propriété de Feldschlösschen), à Zurich, est incroyable. Il y a maintenant un quartier associant appartements, restaurants et bureaux. Le siège européen de Google s'y est même installé.
Avez-vous été approchés par des privés pour le terrain de Fribourg?
Oui, essentiellement des sociétés immobilières. Mais pour l'instant, nous donnons la priorité à la ville.
A combien estimez-vous le terrain?
Nous sommes en train de l'évaluer. Il y a deux paramètres: la valeur actuelle, relative au fait qu'il s'agit d'une zone industrielle et puis la valeur future, qui serait celle d'un terrain pour immeubles. Seule la ville a la baguette magique qui permet de faire ce changement avant de revendre le terrain. C'est donc elle qui peut faire un bénéfice dans l'opération.
Vous partez du principe que le terrain sera dézoné?
Il est clair que l'on s'interroge sur ce qu'il en sera fait. Pour notre part, nous ne pouvons bien sûr vendre qu'un terrain industriel.
Olivier WYSER
Linda BOURGET