mercredi 20 octobre 2010

Criminels étrangers: l’impossible compromis

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L’initiative UDC sur le renvoi des criminels étrangers écrase pour l’heure le contre-projet des modérés, copie à la fois trop proche et trop éloignée de l’original.

C’est la curieuse pantomime de la semaine: ils s’en lavent les mains tout en baissant les bras. Tant pis donc si l’initiative UDC prônant le renvoi des criminels étrangers caracole dans le sondages — 62% de oui — et explose au passage le gentil contre-projet, en réalité à peine plus modéré, des partis centristes et du Conseil fédéral.

Radicaux et PDC semblent se battre avec des sabres en bois et ne plus croire vraiment à leur bébé. Les socialistes, n’en parlons pas: une bonne partie d’entre eux militent pour le double non. Christian Levrat l’a déjà fait savoir: le PS n’entend pas gaspiller outre mesure son argent ni son énergie dans cette campagne où il n’y a que des mauvais coups à prendre, dans un sens comme dans l’autre. Pour le contre-projet, on vous reprochera de flirter avec la xénophobie agrarienne, contre de défendre braqueurs et violeurs. Aux abris, donc.

Pour justifier son peu d’engagement, et le fait que le contre-projet semble couler à pic, on invoque à droite un sérieux manque de sous. La radicale Isabelle Moret pleurniche ainsi dans «24 heures»: «Nous n’avons pas les moyens, notre affiche a été faite en interne, par le secrétariat, sans agence de communication.»

Et cela se voit, avec un sec et convenu «Ferme mais juste» en simples lettres bleu sale, qui ne fait évidemment pas le poids face à l’inquiétant et hirsute demi-visage de l’affiche UDC, ce désormais fameux «Ivan S, violeur et bientôt suisse». Auquel seuls les jeunes socialistes neuchâtelois ont fait l’effort de répondre, avec cet extravagant «Oskar F, fasciste et déjà suisse». Une pauvre réponse, mais une réponse tout de même.

D’autres, comme Eveline Widmer-Schlumpf, tentent déjà de refiler la patate chaude et la responsabilité de la future défaite au premier innocent passant par là. La grisonne reproche ainsi à economiesuisse de n’avoir pas lâché un seul centime en faveur du contre-projet. Pourquoi diable les milieux économiques se mêleraient-il de cette galère? Parce que la terrifiante Union européenne pourrait trouver l’initiative juridiquement non conforme? Du côté de la Bahnhofstrasse, on en rigole encore.

Au départ, il était beau pourtant ce contre-projet unissant radicaux, PDC et socialistes non sectaires sous la bannière de la raison, face à l’extrémisme arrogant et boursoufflé de l’UDC. «Ferme mais juste», que demander de mieux? Sauf que la sauce ne prend pas. Les électorats de base radical et démocrate-chrétien semblent préférer l’initiative. C’est peut-être ce «mais» qui passe mal. En ces matières, la sensibilité populaire serait plutôt tentée par une équivalence: la justice est dans la fermeté, point barre, nul besoin de finasser.

L’autre tort du contre-projet, à l’inverse, est d’être trop proche de l’initiative. Le principe en est le même — la double peine, prison puis expulsion, pour les auteurs étrangers de délits plus ou moins graves. Comme souvent l’orignal impressionne plus favorablement que la copie.

Du côté du PDC, certains essaient bien de montrer que ça n’a rien à voir. Avec des exemples censés prouver toute la sagesse et l’humanité du contre-projet. Prenez une femme kosovare de 50 ans, qui aurait touché quelques prestations sociales indues, et son fils de 20 ans auteur de plusieurs délits. L’initiative, nous dit-on, expulserait la mère, le contre-projet son fils. Cool. L’important est d’expulser, n’est-ce pas?

Sauf qu’il y a des sujets — et la criminalité étrangère en est probablement un — où le louvoiement, le compromis à la Suisse, le culte du juste milieu et la tiédeur érigée en vertu ne fonctionnent pas. Il aurait fallu du courage plutôt. Courage de dire que le droit ne tolère pas une distribution des peines en fonction de la nationalité, et que cette double peine-là sanctionne en réalité un insoutenable double délit: celui d’être criminel mais aussi celui d’être étranger.

Ou alors courage de s’aligner sur l’UDC, de soutenir tout haut ce qu’on pense tout bas: qu’il en irait de la sécurité du pays. Les initiants du contre-projet ont visiblement oublié ce qu’est, fondamentalement, un compromis politique. Oublié la pertinente définition qu’en donnait par exemple l’inimitable et pas encore regrettée Margaret Thatcher: «Une chose à laquelle personne ne croit et personne ne s’oppose.»

Nicolas Martin