mercredi 27 octobre 2010

La lente agonie des glaciers suisses

.
Les images saisissantes de «Glaciers: passé-présent du Rhône au Mont-Blanc» mettent en perspective le recul des géants des Alpes. La faute à l'homme? Pas seulement. Une étude révèle les effets des changements climatiques.

D'abord la statistique, froide comme un névé: depuis 1999, le volume de glace dans les Alpes suisses a fondu de 9 km3 pour atteindre 65 km3, une quantité inférieure à la contenance du lac Léman (89 km3). Un cinquième des glaciers aura fondu d'ici une dizaine d'années. Pour le glaciologue Martin Funk, le compte à rebours a commencé: «La grande partie des glaciers va disparaître d'ici une centaine d'années.»Mais, il y a plus parlant que les chiffres: les images, témoignages historiques du recul. Comme celles du livre «Glaciers: passé-présent du Rhône au Mont-Blanc» paru ce mois-ci et de l'exposition conçue à partir de l'ouvrage, ouverte à Martigny jusqu'en septembre 2011. Du noir et blanc à la couleur, les photos saisissantes mettent en perspective la lente agonie des glaciers dans le sud du pays et en France voisine. Les 26 géants de glace présentés ont tous battu en retraite depuis 1850.

Le cas presque clinique du glacier du Rhône est révélateur. Il y a 26 000 ans, il débordait jusqu'à Genève, recouvrant Martigny d'une belle couche de glace de 1500 à 2000 mètres d'épaisseur... Depuis 1850, il a reculé de 1,4 kilomètre et perdu 20% de sa surface. Entre les gravures (dès 1780) d'époque et les instantanés récents d'Hilaire Dumoulin, le front du glacier a eu le temps de laisser la place à une roche nue. Sur la route de la Furka ou du Grimsel, le repli est spectaculaire.La faute à l'homme et aux gaz à effet de serre? Pas seulement. La nature a aussi sa part de responsabilité. Ou plutôt, les changements climatiques. Comme l'a révélé une récente étude publiée par une équipe de l'ETHZ dirigée par le professeur en glaciologie Martin Funk. Elle a recensé et analysé les informations pour une trentaine des glaciers durant cent ans. «Une partie des variations du volume de la glace est due à des oscillations naturelles périodiques causées par les changements de la répartition des températures à la surface de l'océan Atlantique-Nord.» Autrement dit, si les eaux se réchauffent, la fonte de la glace s'accélère. «Ces variations de températures ont lieu durant une période de 60 ans environ et se répercutent sur le climat en Europe.» Et parmi les «victimes», les glaciers figurent en première ligne. Le réchauffement serait trois fois plus important dans les Alpes que la moyenne européenne. Mais la tendance devrait s'inverser ces trente prochaines années dans l'Atlantique. «On va entrer dans une phase négative de l'oscillation, ce qui pourrait atténuer l'accélération de la fonte.» De quoi donner un sursis aux glaciers. Dans les années 1910-1920 et 1970-1980, le recul des glaciers avait déjà été freiné.

Un km3 en moins par an

Reste que pour le scientifique, les années des 1400 glaciers suisses sont comptées. En 2010 encore, un km3 de glace aura fondu. Pessimiste Martin Funk? «Réaliste plutôt», corrige-t-il. Même si l'homme parvient à conserver la température actuelle du climat - ce qui tient de la gageure à voir la mauvaise volonté des principaux pays concernés comme les Etats-Unis ou la Chine - les deux tiers du glacier d'Aletsch vont fondre... Entre 1999 et 2009, les glaciers suisses ont perdu 12% de volume. Mais pas toujours au même rythme. Le glacier d'Hunteraar a «lâché» 32% de sa surface depuis 1850, le glacier de Fee 4%. Les glaciers n'ont pas fini de (re)tirer la langue... I«Glaciers: passé-présent du Rhône au Mont-Blanc», Ed. Slatkine. Exposition à la médiathèque Valais-Martigny «Glaciers alpins, chronique d'un déclin annoncé (1840-2010)», conçue à partir de cet ouvrage, jusqu'au 15 septembre 2011.

Thierry JACOLET