
Le gaz carbonique et les autres gaz «non condensables» représentent 25% de l’effet de serre, assurent des climatologues américains
«Ce n’est pas faire de la politique que de confirmer des vérités scientifiques.» De retour de l’Arctique, le climatologue américain Gavin Schmidt se défend avec insistance quand on le questionne sur les motivations des deux articles qu’il publie avec ses collègues du Goddard Institute de la NASA, l’un des hauts lieux de la recherche sur le climat. Ces deux travaux – l’un paru dans la revue Science, l’autre à paraître dans le Journal of Geophysical Research – confirment le rôle central du gaz carbonique dans l’effet de serre qui protège notre planète et la conduit désormais à la surchauffe. Un rôle si essentiel, expliquent les chercheurs, que le gaz carbonique serait le «bouton principal qui gouverne la température de la planète».
Sur le papier, le gaz carbonique est présent en infime quantité dans notre atmosphère. Il ne représente en effet que 0,039% des gaz dans l’air, et contribuerait pour seulement 2% à l’effet de serre qui, en absorbant l’énergie solaire, rend notre planète vivable. Un argument souvent invoqué par ceux qui nient toute influence humaine dans l’évolution du climat contemporain. Le principal acteur de l’effet de serre serait la vapeur d’eau, qui en représenterait près de 98%. Et donc, les émissions de gaz carbonique provoquées par la combustion du charbon, du pétrole et du gaz seraient quantités négligeables. Les travaux de Gavin Schmidt et ses collègues confirment, en la précisant, une tout autre vision des choses, qui fait déjà consensus chez les climatologues: en dépit de sa faible concentration, le gaz carbonique serait le chef d’orchestre du climat, l’eau n’étant qu’un instrument qui s’adapte. Et pour cause: si le CO2 reste plus d’un siècle dans l’atmosphère, l’eau peut rapidement se condenser en liquide, ou se vaporiser, au gré de la température.
Si l’idée n’est pas nouvelle, l’équipe de la NASA a choisi de la confronter à un modèle de simulation climatique de conception récente pour confirmer ce qui se passe quand la concentration de gaz carbonique varie. Les physiciens se sont livrés en quelque sorte à un jeu d’expériences numériques – pas question de modifier la composition de l’atmosphère d’un claquement de doigt –, modifiant à loisir la quantité de gaz carbonique dans la bulle qui maintient la douceur terrestre.
On le sait, privée de tout effet de serre, notre planète connaîtrait une température de –18° C, contre environ 15° C. Mais que se passerait-il si un mage ôtait d’un coup le gaz carbonique – et les autres gaz à effet de serre non condensables de l’atmosphère, comme le méthane, le protoxyde d’azote et quelques autres? «Le climat plongerait rapidement la Terre dans l’état d’une boule de neige», écrivent les chercheurs dans Science.
Calculs à l’appui, ils montrent en effet que, faute de CO2 et des autres gaz non condensables, le climat terrestre se refroidirait brutalement, jusqu’à trouver un nouvel équilibre en à peine plus de vingt ans. Etat inconfortable, puisque la température moyenne annuelle à l’équateur se stabiliserait autour de 0° C, quand elle ne dépasserait guère –20° C aux latitudes européennes. Une désescalade provoquée par un effet «boule de neige»: plus il fait froid, plus la vapeur d’eau se condense et retombe sur Terre, et moins elle piège l’énergie solaire. A l’inverse, quand la concentration en gaz carbonique grimpe, la température augmente, ce qui renvoie de la vapeur dans l’atmosphère et multiple le réchauffement, d’autant plus que la couverture nuageuse amplifie le phénomène.
«J’ai aussi conduit des expériences, en laissant le CO2, et en retirant la vapeur d’eau de l’atmosphère. En quelques jours à quelques mois, l’atmosphère retrouve sa composition initiale, et on n’observe pas de changement climatique», insiste Gavin Schmidt. Tout compte fait, le gaz carbonique et les autres gaz «non condensables» représentent donc 25% de l’effet de serre, et non 2%.
Pour réussir leurs simulations sur une longue durée – 150 ans –, Gavin Schmidt et ses collègues ont été contraints de faire des choix, et notamment de décrire les océans – comme c’est l’usage dans certains modèles – comme une flaque d’eau. Autrement dit, sans tenir compte des transferts de chaleur liés aux courants.
«C’est sans doute le principal reproche qu’on pourrait faire à ces travaux», souligne Valérie Masson-Delmotte, du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE) installé au sud de Paris. «Nous avons aussi conduit des simulations avec des modèles qui tiennent compte de la circulation océanique, répond Gavin Schmidt. Mais, hormis le fait que l’instauration d’un nouvel équilibre nécessite une durée plus longue, cela ne change pas vraiment le résultat. Nous allons refaire ces expériences numériques avec la dernière génération de modèle, mais nous n’attendons pas de grande différence.»
Un augure que partage la climatologue Susan Solomon, de l’Administration américaine de l’océan et de l’espace. «Cela ne changerait pas les équilibres, simplement la durée nécessaire à ce qu’ils s’établissent. Les océans ne réagissent pas en quelques décennies.» Car leurs constantes de temps se mesurent plutôt à l’échelle du millier d’années. Un avis partagé par Gilles Ramstein, du LSCE. «Sur ces échelles de temps, il y a peu de différence entre les modèles océaniques dynamiques et ceux qui considèrent les océans comme une flaque d’eau.»
Bien évidemment, les négateurs du réchauffement climatique se sont empressés de minimiser – sans convaincre – les résultats de Gavin Schmidt et de son équipe. Des travaux qui, pourtant, semblent renforcer la confiance des climatologues dans leurs outils de prédiction.
Denis Delbecq