samedi 6 août 2011

L'"immersion" de Calmy-Rey en question

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Lors de sa visite en Somalie, Micheline Calmy-Rey aurait rencontré «directement» des milliers de réfugiés à Dadaab. Or, sur les images diffusées par les médias, on n’en voit aucun. Selon les journalistes qui ont couvert l’événement, la conseillère fédérale n’est pas sortie de sa voiture.

Photo: Keystone



Mais où sont-ils passés, ces milliers de réfugiés du camp kényan de Dadaab? Ces pauvres hères chassés par la famine et la guerre civile somalienne que Micheline Calmy-Rey a rencontrés «directement» mercredi, comme l’a bien souligné Lars Knuchel, chef de l’information du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) à «24 heures»? On a beau scruter les images diffusées par les agences de presse après le passage de la conseillère fédérale dans cette région de la Corne de l’Afrique, on n’en voit aucun. Même constat dans le reportage diffusé par les chaînes publiques de la SSR. La Genevoise déambule seule ou pose, casquette rouge à croix blanche sur la tête, devant des tentes désespérément blanches et vides.

«Au chevet de l’Afrique»

Et pourtant, la presse helvétique et notamment romande nous a dépeint une Micheline Calmy-Rey sans peur et sans reproche, bravant le danger et allant tenir la main des mourants. Une vraie Henry Dunant du XXIe siècle. «Le Matin» nous expliquait par exemple qu’elle s’était rendue «au chevet de l’Afrique» pour «constater de visu le drame humain qui s’y joue». «24 heures» et la «Tribune de Genève» nous racontaient que la conseillère fédérale a visité le plus grand camp de réfugiés du monde avec plus de 380000 Somaliens. Et qu’elle avait été très émue «en voyant la souffrance de ces personnes». Swissinfo a tendu le micro à l’ancien ambassadeur François Nordmann, qui s’est félicité que Calmy-Rey ait été la première dirigeante occidentale à se rendre dans cette partie du monde dévastée. «Un geste fort», a souligné l’ancien diplomate fribourgeois. Quant à la TSR, qui a dépêché un «envoyé spécial» basé à Nairobi, elle balance un sujet classique mêlant images de la politicienne déambulant dans un hangar et des plans furtifs de réfugiés dans des campements de fortune.

Dadaab ou Dagahaley?

Des réfugiés de Dadaab que Calmy-Rey aurait donc rencontrés sans le photographe mandaté par l’agence photo AP et dont les images ont été publiées à la Une de nombreux médias suisses? Pas du tout. Selon l’enquête de «La Liberté», la présidente de la Confédération n’a jamais mis les pieds dans le camp principal de Dadaab, contrairement à ce qui a été affirmé par les agences et les médias suisses. Elle s’est rendue en réalité à Dagahaley, à proximité de Dadaab. Micheline Calmy-Rey y est arrivée à 12h30 avec un convoi de dix voitures. Elle a visité d’abord le camp d’enregistrement de Dagahaley et des entrepôts de nourriture, puis elle a fait un petit tour dans le désert pour voir les campements de refugiés. Sans sortir de la voiture. Elle a ensuite visité l’hôpital de Médecins sans frontières et le camp Ifo 2, complètement vide. Il vient d’ouvrir. «Dans mon reportage, on ne peut pas voir les réfugiés avec Calmy-Rey», témoigne Cristina Karrer, l’envoyée spéciale de la TV alémanique SF, qui n’a pas lâché d’une semelle la présidente de la Confédération. «Pour les voir, il aurait fallu aller à l’intérieur des camps. Mais la présidente est restée dans sa voiture. Il était donc impossible de la filmer avec des réfugiés.» Et le sujet de SF se résume à une visite d’un camp vide, avec comme seul point fort les déclarations de Calmy-Rey qui se dit choquée par ce qu’elle a vu et qui appelle la communauté internationale à se mobiliser. Même topo au 19h30 de la TSR. A une différence près tout de même: le sujet réalisé par François-Xavier de Roubais, le pigiste mandaté par la chaîne et que nous n’avons pas pu atteindre, présente des séquences où l’on voit des réfugiés. Des plans qui ont été filmés la veille, reconnaît-on du côté du téléjournal. Mais plus curieux encore: le sujet n’est pas signé à l’antenne. Pourquoi? Motus et bouche cousue dans la tour de la TSR.

Passage éclair

L’agence photo AP, à Londres, est également très gênée au sujet des légendes des images qu’elle a livrées à la demande de l’agence zurichoise Keystone. Elles indiquent qu’elles ont été prises à «Dadaab». Ce qui est visiblement faux. «Les conditions de travail étaient difficiles avec la délégation suisse», admet Thomas Kadlcik, chef du desk de Keystone. «Le photographe Schalk van Zuydam n’a eu que quelques minutes pour faire des photographies». Malaise chez Keystone, où l’on reconnaît que certains médias suisses ont voulu faire dire aux photos de la visite de Micheline Calmy-Rey plus que la réalité. Bref: le passage éclair de 4 heures de la présidente au milieu de la «misère» des camps tient plus du plan communication que de la tradition humanitaire de la Suisse, comme s’en réjouissait Christophe Darbellay, président du PDC, dans «Le Matin». Un décalage dans la perception de l’«événement» que reconnaît Cristina Karrer. «Soyons clair, c’était une visite très officielle. Micheline Calmy-Rey est allée sur place pour voir les ONG, l’ONU et les autorités kényanes, mais pas pour les réfugiés. Jamais elle ne les a approchés. Elle ne s’est pas enquise de leur situation. Le protocole était très lourd. Traitée comme une présidente, Micheline Calmy-Rey était tout le temps entourée par les Kényans.» Conclusion: entre la visite fantasmée et la réalité, il y avait des milliers de kilomètres. Ceux qui séparent les rédactions suisses du désert de Dabaab. Loin des micros, la situation continue de se dégrader dans la Corne de l’Afrique, où des millions de naufragés de la faim attendent toujours l’aide internationale.

SID AHMED HAMMOUCHE
La Liberté