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mardi 27 septembre 2016

La paix perpétuelle, ce lien si symbolique entre la Suisse et la France




Tout au long de ce mardi au Sénat, à Paris, un colloque d’historiens rend hommage au traité de paix perpétuelle signé entre François 1er et la confédération des XIII cantons à Fribourg, le 29 novembre 1516. Au cœur des discussions: le rôle des gardes suisses du souverain français, dont le commandant Pierre Stoppa fut, sous Louis XIV, l’un des représentants les plus éminents

Il y avait eu, dans ce même Palais du Luxembourg en février 2003, la célébration du bicentenaire de l’Acte de Médiation. Sous les ors du Sénat français, Pascal Couchepin avait alors, aux côtés de l’historien de l’Empire Jean Tulard, rappelé le rôle clef joué par Bonaparte dans la genèse de la Suisse moderne.

Treize ans après, c’est au tour du Conseiller fédéral Alain Berset de mettre, ce mardi matin, le destin helvétique au cœur de Paris, sous le regard d’une assistance composée d’historiens et de diplomates. Consacré au 500ème anniversaire de la signature du traité de paix perpétuelle ratifié le 29 novembre 1516 à Fribourg entre la confédération des treize cantons et le roi François 1er, ce colloque parisien marque le début d’une série d’événements qui se poursuivront jusqu’à la fin novembre. La commémoration officielle helvétique se tiendra à Fribourg le 29 novembre à l’aula magna de l’université et sur la place de l’Hôtel-de-Ville, suivie d’un spectacle sur la paix. Un second colloque scientifique se tiendra le lendemain dans l’enceinte du couvent des Cordeliers, accompagné de deux expositions dans ce même couvent et au musée des Suisses dans le monde au château de Penthes (GE). La France pourrait être représentée en terre fribourgeoise par le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, auquel le conseiller fédéral Guy Parmelin a déjà rendu visite à deux reprises à Paris, en partie pour évoquer le sujet.

Les gardes suisses à l’honneur

Au programme des débats parisiens, un aspect particulièrement important en France: le rôle clef joué par le corps des Gardes suisses mis à la disposition des monarques français, dont le recrutement découle du traité de paix perpétuelle. Plusieurs figures imposantes conduisirent ces régiments d’élite, doublés de «régiments francs» qui, également composés de recrues suisses, combattaient comme mercenaires au service du roi de France, sans être directement assimilés à la garde. Laquelle était chargée, notamment, de sécuriser sous Louis XIV les abords de son palais de Versailles et tous les déplacements du monarque dans l’immense château. C’est aux Suisses que le Roi-Soleil doit, à plusieurs reprises, d'avoir sauvé son trône, vacillant lors de la Fronde (1643-1661). C’est encore à ses Suisses – dont les successeurs seront massacrés aux Tuileries le 10 août 1792, en défendant un palais dont le roi Louis XVI pourchassé par les révolutionnaires s’est déjà échappé – que Louis XIV devra de remporter la guerre contre la Ligue d’Augsbourg (1688-1697), dont plusieurs rudes batailles eurent lieu dans le duché de Savoie, avant d’aboutir au traité de paix permettant l’annexion de l’Alsace par la France.

Un historien français, Mathieu Da Vinha – auteur d’«Au service du Roi, dans les coulisses de Versailles» (Ed. Tallandier) et curieusement absent du colloque au Sénat – s’est longuement penché sur l’une des plus extraordinaires figures de ce régiment des gardes suisses: le colonel Pierre Stoppa, mort à Paris le 6 janvier 1701. Un homme dont, raconte le mémorialiste Saint-Simon: «le Roi s’était servi en beaucoup de choses secrètes, et de sa femme encore plus».

Un commandant âgé de quatre ans

Originaire des Grisons, né en Valteline en juillet 1620, Pierre Stuppa (ou Stoppa) se fait d’abord remarquer au sein des régiments suisses lors des grands sièges du début du règne de Louis XIV, sur la frontière des Flandres à Valenciennes, à Ypres, à Gravelines, puis en Franche-Comté. Vite devenu l’un des protégés du Grand-Condé, le cousin du Roi (et bâtisseur du château de Chantilly) émigré durant dix ans en Espagne après la Fronde, puis revenu en cour après sa victoire au siège de Rocroi (1643), Pierre Stoppa s’impose surtout comme le meilleur des recruteurs de soldats helvétiques. A partir de 1668, il obtient des treize cantons le recrutement de «régiments francs», en plus des régiments de la garde. Fascinant itinéraire: le commandant de la garde est alors le duc de Maine, fils bâtard du Roi-Soleil et de Mme de Montespan. Un duc âgé… de quatre ans lorsqu’il hérite en 1674 de cette charge que le colonel Stoppa assume dans les faits aux côtés du collaborateur le plus proche du monarque, Alexandre Bontemps, son premier valet de chambre, dont la fonction impose de dormir au pied de son lit.

Le «Suisse» du Roi-Soleil n’a pas été retenu – contrairement à Bontemps, personnage central – dans le casting de la série télévisée «Versailles» diffusée l’an dernier en France par Canal +. Mais il aurait pu tant son itinéraire a, en permanence, croisé celui du plus grand souverain d’Europe à cette époque: «Les congés de Stoppa, comme je l’ai retrouvé dans les archives de Versailles, étaient accordés par Bontemps, donc par le roi lui-même», commente Mathieu Da Vinha, conseiller scientifique de la série. Stoppa attendait aussi, chaque soir, à la porte des appartements royaux, le «mot du guet», ce mot de passe transmis à tous les officiers chargés de protéger le palais. Cent Suisses, triés sur le volet parmi les meilleurs soldats du régiment de la garde, sont les gardes du corps de Louis XIV qu’ils suivent dans tous ses déplacements. Quatre officiers les commandent. Leur capitaine est français. Les protestants parmi eux sont autorisés à le rester malgré la révocation de l’édit de Nantes en octobre 1685. Pierre Stoppa, lui, finira par se convertir, sous la pression de son épouse, confidente de la très pieuse Mme de Maintenon, épousée en secret par Louis XIV après la mort de la reine Marie-Thérèse en 1683.

Traiter les Suisses avec hauteur

Le portrait du «Suisse» Pierre Stuppa orne toujours aujourd’hui l’Hôtel-Dieu de Château-Thierry (Aisne), sa dernière demeure. Artisan à sa manière de la paix perpétuelle commémorée à Paris, il l’aura notamment sauvée, en novembre 1689, au moment de la guerre de la ligue d’Augsbourg alors que les tensions devenaient extrêmes entre la France et les cantons.

Mathieu Da Vinha cite dans son livre cet extrait des «mémoires» du Marquis de Souches qui en dit long et vaut – peut-être – encore, cinq siècles plus tard, à l’heure de négociations d’une toute autre nature entre la Confédération et l’Union européenne: «Si l’on eut continué quelque temps à traiter les Suisses avec hauteur, comme on avait fait, ils n’auraient pas manqué de rompre entièrement avec la France. Mais on fut obligé de changer de ton et le roi eut, en cette affaire, de grandes obligations à M. Stoppa, lieutenant-colonel de son régiment des Gardes et aux amis qu’il avait dans les cantons».

Richard Werly