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Si vous croisez à Fribourg un homme sur un "boguet" (vélomoteur), les cheveux au vent, c'est Hubert Audriaz! Artiste-peintre, il est devenu le symbole et porte-parole de la Basse-Ville de Fribourg, d'un esprit et d'une culture : le Bolze.
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La vie à la "Basse" ne serait sans doute pas la même sans l'acharnement et le dévouement d'Hubert Audriaz. Artiste-peintre de profession, Hubert Audriaz est également un animateur dévoué à son quartier et à l'enfance. Outre sa participation au Carnaval et à de nombreuses activités artistiques, Hubert Audriaz a créé "Le Parcours des Magiciens" qui sillonne, de septembre à octobre, le vieux quartier de Fribourg. Il est également à l'origine du projet de "La Vannerie", un centre de créativité dans les domaines de l'art, du sport, de la culture et du jeu. La création principale du centre fût certainement le "Passeport Vacances", proposant chaque été aux enfants de nombreuses activités éducatives et ludiques à un prix abordable. Issu d'une famille de onze enfants, Hubert Audriaz a grandi en Basse-Ville et y est resté attaché. D'un tempérament acharné et créatif, il incarne parfaitement l'esprit et la culture Bolze : une langue, un carnaval, un quartier...
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La Basse-Ville fribourgeoise regorge de lutins, de fées, de dragons et de fantômes. Mais même s’ils restent discrets, ils ont un porte-parole: Hubert Audriaz.
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Hubert Audriaz ne se déplace qu’à vélomoteur. «Comme ça, je peux saluer les gens», dit-il sobrement; et parce qu’il ne porte jamais de casque, tout le monde reconnaît du premier coup sa belle chevelure bouclée flottant derrière lui comme des oriflammes. Son atelier? C’est la Basse-Ville, toute entière. Avec l’aide de tous ceux qui aiment rêver, voilà plus de trente ans qu’il fait vivre les ruelles et les quartiers de sa ville natale. Il est le concierge de l’invisible.
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Le magicien de la rue d’Or
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L’histoire d’Hubert commence comme un conte de fée. Né à Fribourg en 1940 au No 13 de la rue d’Or, septième de onze enfants, tous les chiffres magiques sont réunis pour que le berceau du petit rayonne d’une aura particulière. «Le septième est toujours un magicien», disait sa mère, elle même artiste. Le petit monde du 13, rue d’Or va marquer Hubert d’une humeur enchanteresse indélébile. C’est un vrai bateau qu’un équipage de 14 familles et 80 enfants habite, anime, agite, brosse et récure, dans une atmosphère où il y a toujours un accordéon pour jouer quelque part. «La propriétaire, Mme Messerli, ne faisait pas payer de loyer à ces familles qui étaient très pauvres. Il n’y avait pas d’eau courante: il fallait aller la chercher à la blanchisserie attenante. J’ai très tôt compris la valeur de l’eau et le piège du gaspillage», raconte l’artiste. «Ce qu’il y avait de formidable, c’est que tout se faisait ensemble. Quand il s’agissait de nettoyer la place ou les escaliers, tout le monde s’y mettait et c’était l’occasion de discuter entre voisins.» Et puis quand on est pauvre, on partage tout: «Les caves n’étaient pas cloisonnées. Il y avait un paysan de Mariahilf qui venait les remplir de pommes de terre. Quand la cave d’une famille était vide, on se servait chez les autres...»
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La maison familiale est aussi école de tolérance: «Comme cette maison était habitée par des pauvres, il y avait beaucoup de familles étrangères qui y résidaient. Ces gens étaient très humbles et ils m’ont appris la tolérance et le respect des différences. Ma mère ne cessait de le répéter: vivre et laisser vivre.» Tout est dit: mélangez les ingrédients, vous obtenez un baume apaisant les tensions, les excès et les symptômes de renfermement. Blindé contre les a-prioris, Hubert entre à l’école des Beaux Arts de Paris au début des années soixante. Grâce a une bourse, mais aussi au travail de ses frères et sœurs qui lui offrent cette chance, il s’installe à Montmartre, la grande basse-ville de la grande Ville Lumière. Après quatre ans dans le bouillon culturel parigot, il peut réintégrer sa chère rue d’Or et s’installer dans son nouvel atelier de la blanchisserie, cadeau de Madame Messerli à l’heure du départ. C’est alors la peinture, la sculpture, mais aussi le lent naufrage d’une époque lorsqu’un monsieur de glace rachète l’ensemble, N°13 et blanchisserie, pour s’installer dans l’atelier: «L’acheteur a traversé mon atelier en disant d’une voix claire que c’est là qu’il allait habiter. Puis sont venues la restauration et le cloisonnement des appartements, le départ des familles pour lesquelles tout ce luxe était trop beau et trop cher». Le silence est alors tombé sur le quartier, comme une feuille morte. Son nouvel atelier, Hubert Audriaz le fera donc dans la rue.
Des Parcours au carnaval
Quand on prend le temps de visiter Fribourg, on tombe immanquablement sur des fantômes sortant des toits, une araignée géante nichée dans un trou, des coccinelles, des indiens... ce sont les Parcours, pistes initiatiques au monde de l’invisible et chemins balisés du non conformisme.
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Le long de ces chemin fléché, diverses sculptures éphémères offrent aux visiteurs une vision enchanteresse de la ville. Ils disent aussi, innocemment, que la Basse ne peut appartenir à personne. «Une fois, j’avais fait un parcours de golf dans la ville... un des trous était planté au milieu du terrain de foot! pour sûr, ça n’a pas passé inaperçu!» Il y a aussi le carnaval des Bolzes, une fête incontournable pour Audriaz. «Cette année, on fera avancer un escargot géant dans le cortège. Cet animal, c’est pour moi le symbole de ma mère. Je veux lui rendre hommage par cette sculpture» De fait, un escargot centaure au buste de femme trône majestueusement à l’étage de l’atelier du moment. Seulement... «Il est trop grand, il faudra démonter les fenêtres pour le faire sortir...» Dans sa toute grande modestie, Hubert Audriaz ne veut pas être l’initiateur des Parcours «les idées ne viennent pas de moi. J’écoute les enfants, je réalise leurs rêves... Il faut qu’ils trouvent la ville aussi extraordinaire que moi pendant ma propre enfance!»
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Alors, dans le cadre du passeport vacances, les enfants lui disent ce qu’il doit faire. Et tout le monde met la main au carton pâte dans les locaux que la ville ne saurait lui refuser. Y sont stockés un bric-à-brac d’objets que la popularité de l’artiste draine jusqu’à lui au lieu de les livrer au triste sort de la benne. Toutes ces choses ne se font que parce que les amis d’Hubert, c’est-à-dire tout le monde, veulent bien les rendre possibles.
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Et la tendresse dans tout ça?
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«Ce qu’il manque le plus dans ce monde, c’est la tendresse», lâche finalement l’artiste. Le monde d’Audriaz rend soudain toute sa dimension. «Les gens ont peur de la tendresse... Quand la haine s’installe, il faut des générations pour corriger les choses.» C’est la clé de toute une œuvre. Vivre et laisser vivre, magnifique formule d’amour et de respect. Pour concrétiser tout cela, avec l’aide des enfants, Hubert Audriaz lâche ses créatures dans la ville, messagers à l’attention des grands.
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