On n'entend à chaque élection d'un nouveau conseiller fédéral, nos chers journalistes de la TSR parlé de la nuit des longs couteaux, la nuit qui précède l'élection ...
.
je pense qu'il est bon d'apporter un éclaircissement sérieux de cette fameuse nuit des longs couteaux, car la référence à cet acte barbare n'a strictement rien à voir avec nos gentilles élections suisses qui n'ont aucun suspens.
.
Il est vrai que pour nos chers journalistes de la TSR, il faut justifier le déplacement d'une vingtaines de collaborateurs pour "couvrir" et "analyser" le pseudo suspens, car sans cela, qu'auraient-ils à nous dire ?
.
Bref, laissons les journalistes de la TSR abreuver le bon peuple avec leur magnifique travail d'investigation et revenons à cette fameuse nuit de 1934 :
La nuit des Longs Couteaux (allemand : Röhm-Putsch), est le nom donné à l'ensemble des assassinats perpétrés par les nazis en Allemagne entre les 29 juin et 2 juillet 1934, le terme se référant plus spécifiquement à la nuit du 29 au 30 juin 1934.
Au moins 85 personnes furent tuées par des membres de la Schutzstaffel (SS) et de la Gestapo, même si le bilan final fut sans doute plus proche de la centaine de victimes, dont la majorité appartenait à la Sturmabteilung (SA, avec un millier de personnes arrêtées).
Cette purge permit au chancelier Adolf Hitler de briser définitivement toute velléité d'indépendance de la SA, débarrassant ainsi le mouvement nazi de son « aile gauche » qui souhaitait que la révolution politique soit suivie par une révolution sociale. De ce fait, elle rassura la Reichswehr, les milieux conservateurs traditionnels, les grands financiers et industriels, principalement issus de la bourgeoisie prussienne et hostiles à des réformes sociales de grande ampleur tout en créant un climat de terreur « légale » vis-à-vis de tous les opposants au régime.
Depuis les années 1920, la Sturmabteilung (SA, section d'assaut) fonctionne comme une milice privée que Hitler utilise pour intimider ses rivaux et perturber les réunions des partis politiques concurrents, particulièrement celles des sociaux démocrates et des communistes.
Sa naissance est étroitement liée à l'atmosphère chaotique et au climat de violence politique qui entourent la naissance de la République de Weimar. De l'assassinat de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, le 15 janvier 1919 lors de l'écrasement de la révolution spartakiste, à celui de Walter Rathenau, par l'Organisation Consul le 24 juin 1922, en passant par l'échec du putsch de Kapp, le 13 mars 1920, et la répression, notamment par les Freikorps, des révoltes communistes de 1920 et 1921 dans la Ruhr, en Saxe et à Hambourg; les agissements des SA, comme ceux du Stahlhelm, traduisent un climat où la violence tient lieu d'argument politique.
La montée en puissance de la SA est favorisée par la Grande Dépression, qui fait perdre à beaucoup d'Allemands toute confiance envers les institutions traditionnelles. La SA parvient notamment à faire adhérer de nombreux ouvriers au nazisme en associant solidarité de classe et ferveur nationaliste.
Les « chemises brunes » sont connues pour leur violence et leur goût pour les batailles de rue. Les confrontations violentes entre la SA et les opposants aux nazis, tout particulièrement la milice du KPD contribuent à déstabiliser l'expérience démocratique de l'entre-deux-guerres de la République de Weimar, ce qui est précisément le but d'Hitler.
La SA est dirigée par Ernst Röhm, vétéran prestigieux de la Première Guerre mondiale, membre de l'État-Major de la Reichswehr en Bavière, nazi de la première heure et participant du Putsch de la brasserie. Il veut maintenir une indépendance de la SA par rapport au parti nazi et lui faire jouer son propre rôle politique. Comme beaucoup de SA, Röhm prend au sérieux la promesse de révolution sociale du NSDAP. Pour eux, l'accession au pouvoir des nazis doit être suivie par des mesures économiques et sociales radicales.
Le 30 janvier 1933, le président Paul von Hindenburg nomme Adolf Hitler chancelier. Dès le 14 juillet 1933, le parti nazi devient le seul parti politique autorisé. Cependant, en dépit de la consolidation rapide de son autorité politique, Hitler ne dispose pas encore d'un pouvoir absolu. Il n'a notamment pas autorité sur la Reichswehr qui dépend de Hindenburg, président et commandant en chef des armées. Si de nombreux officiers sont séduits par les promesses d'Hitler de doter l'Allemagne d'une armée plus nombreuse, malgré les limitations imposées par le traité de Versailles, de réinstaurer la conscription, et de mener une politique étrangère plus agressive, l'armée garde une réelle indépendance.
La nomination d'Hitler comme chancelier ne met pas fin aux exactions de la Sturmabteilung. Les SA, imprégnés d'une culture de la violence, continuent à pourchasser les opposants réels ou supposés. Sous l'emprise de la boisson, ils écument les rues allemandes, battant des passants et attaquant les policiers envoyés pour les arrêter. À Berlin, la SA ouvre une cinquantaine de « microcamps de concentration », installés dans des caves ou des dépôts où leurs victimes sont battues à mort, torturées ou égorgées. Les plaintes concernant le comportement des SA deviennent fréquentes à l'été 1933. Le premier chef de la Gestapo, Rudolf Diels, déclare après la guerre, à propos des prisons berlinoises de la SA : « Les interrogatoires avaient commencé et fini par un passage à tabac. À quelques heures d'intervalle, une douzaine de gars avaient frappé leurs victimes avec des barres de fer, des matraques en caoutchouc et des fouets. Dents brisées et os cassés témoignaient des tortures. À notre entrée, ces squelettes vivants couverts de plaies suppurantes étaient allongés les uns à côté des autres sur leur paillasse putréfiée ». Le ministère des affaires étrangères se plaint des agressions des chemises brunes envers les diplomates étrangers. Un tel comportement dérange les classes moyennes, les éléments conservateurs traditionnels et l'armée. Il suscite aussi des protestations des milieux de l'industrie, du commerce, des administrations locales, et de l'Église protestante. Le ministre de l'intérieur lui-même, Wilhelm Frick, estime que " les actes répréhensibles commis par des membres de la SA devront faire l'objet de poursuites énergiques ".
Le soutien des responsables militaires est crucial pour permettre à Hitler de mener à bien ses projets, notamment la conquête d'un Lebensraum, déjà annoncé dans Mein Kampf, ou l'Anschluss qu'il souhaite depuis toujours. Il est aussi fondamental dans la perspective de la succession de Paul von Hindenburg, âgé et de santé fragile. Le 6 juillet 1933, lors d'une réunion à la chancellerie avec les gouverneurs du Reich, il proclame à la fois le succès et la fin de la révolution nationale-socialiste. Selon lui, comme le parti nazi a saisi les rênes du pouvoir, le temps est venu de le consolider : « La révolution ne saurait être un état permanent. Il faut diriger le torrent de la révolution dans le lit tranquille de l'évolution. [...] Il faut surtout maintenir l'ordre dans l'appareil économique [...] car l'économie est un organisme vivant que l'on ne peut transformer d'un seul coup ». Il précise sa pensée lors d'un discours à Leipzig, dix jours plus tard : « Les révolutions ayant réussi au départ sont beaucoup plus nombreuses que les révolutions, qui, une fois réussies, ont pu être contenues et stoppées au moment opportun ».
Les propos d'Hitler et la prudence du régime en matière de réformes sociales et économiques radicales déçoivent la majorité des SA qui attendait une révolution économique aussi bien que politique. Hitler manifeste donc son intention de limiter peu à peu le pouvoir de la SA, dont le nombre de membres a rapidement augmenté depuis le début des années 1930. À son instigation, Hermann Göring, alors ministre de l'Intérieur pour la Prusse, ôte à la SA son rôle de police auxiliaire en Prusse dans le courant de l'été 1933, puis transfère le contrôle des camps de concentration à la SS en octobre.
Après la prise du pouvoir, Ernst Röhm appelle à « une poursuite de la révolution allemande » et exige que Hitler et les autres responsables nazis lancent des réformes sociales radicales. Il n'est pas le seul à partager cette opinion : le 9 mai 1933, le président de Haute-Silésie attaque vivement les gros industriels « dont la vie est une perpétuelle provocation »; à Berlin, un représentant de la Fédération ouvrière nazie déclare que « le capitalisme s'arroge le droit exclusif de pouvoir donner du travail à des conditions qu'il fixe lui-même. Cette domination est immorale et il faut la briser »; en juillet 1933, Wilhelm Kube, chef de groupe nazi au parlement de Prusse affirme que «le gouvernement national-socialiste doit obliger les grands propriétaires fonciers à morceler leurs terres et à en mettre la plus grande partie à la disposition des paysans ». La mise à l'écart de Gregor Strasser en 1932 n'a donc pas mis fin à la tendance « de gauche » au sein du parti nazi.
Malgré sa nomination, en décembre 1933, comme ministre sans portefeuille, Röhm maintient ses exigences : il ne se contente plus de diriger la SA et insiste auprès d'Hitler pour qu'il le nomme ministre de la Guerre, position détenue par le général Werner von Blomberg, de tendance conservatrice. Surnommé « le lion en caoutchouc » par certains de ses détracteurs dans l'armée, von Blomberg n'est pas nazi, mais il représente un pont entre l'armée et le parti.
« La raison pour laquelle la révolution n'a pas touché la Wehrmacht doit être uniquement recherchée dans le fait que nous étions apolitiques. [...] Maintenant, c'en est fini de cette attitude apolitique et il ne reste plus qu'un chose : servir le mouvement national avec un total dévouement »
— Discours de von Blomberg lors d'une réunion d'officiers, le 1er juin 1933. Provenant essentiellement de la noblesse prussienne, Blomberg et de nombreux officiers considèrent la SA comme une foule plébéienne qui met en danger la position de l'armée comme dépositaire unique de la puissance militaire allemande.
« Je suis intimement convaincu qu'un conflit sanglant est inévitable et peut-être nécessaire entre l'armée allemande et les SA! Ce qui ne pourra être imposé à ces dernières par la seule persuasion devra l'être sans doute par la force »
— déclaration d'un officier allemand à l'attaché militaire de l'ambassade de France à Berlin.
Si l'armée régulière montre du mépris pour les membres de la SA, beaucoup de chemises brunes considèrent que l'armée est insuffisamment engagée dans la révolution nationale-socialiste. Un chef SA de Rummelsburg, insulte l'armée devant ses camarades : « Certains des dirigeants de l'armée sont des porcs. La plupart des officiers sont trop vieux et doivent être remplacés par de plus jeunes. Nous voulons attendre jusqu'à ce que le papa Hindenburg soit mort, et alors la SA marchera contre l'armée ».
Malgré ces conflits, von Blomberg et d'autres responsables militaires voient en la Sturmabteilung un vivier de recrues pour une armée agrandie et revitalisée. Pour Röhm, par contre, c'est la SA qui doit devenir le noyau de la nouvelle armée du Reich. Les effectifs de la Reichswehr étant limités à 100 000 hommes par le traité de Versailles, les chefs de l'armée observent avec inquiétude la progression du nombre de membres de la SA, qui atteint 4,5 millions d'hommes en juin 1934. En janvier 1934, Röhm adresse à Blomberg un mémoire selon lequel la défense nationale doit être assurée par la SA, le rôle de la Reichswehr se limitant à l'instruction militaire.
Face à cette exigence, Hitler rencontre von Blomberg, les responsables de la Sturmabteilung et ceux de la Schutzstaffel (SS) le 28 février 1934. Sous la pression de Hitler, Röhm, à contre-cœur, signe un pacte confirmant que la Reichswehr est bien la seule organisation armée officielle du Troisième Reich et n'accordant à la SA que le monopole de la formation pré et postmilitaire. Après que Hitler et les dirigeants de l'armée sont partis, Röhm donne libre cours à sa colère, déclarant notamment que « Ce que dit le prétendu Führer ne compte pas pour nous », « Hitler est un traître, il faut qu'on lui fasse prendre des vacances » et « Si les choses ne peuvent se faire avec Hitler, qu'à cela ne tienne, nous les ferons sans lui ». Il confirme ainsi ses déclarations faites sans aucune discrétion, au cours de plusieurs déjeuners lors de ses séjours à Berlin.
« Adolf est ignoble, il nous trahit tous. Il ne fréquente plus que des réactionnaires et prend pour confidents ces généraux de Prusse-Orientale! Adolf a été à mon école. C'est de moi qu'il tient tout ce qu'il sait des questions militaires. Mais Adolf est et reste un civil, un barbouilleur, un rêveur. »
Les propos séditieux tenus par Röhm le 28 février 1934 sont rapportés à Rudolf Hess par l'Obergruppenführer SA, Viktor Lutze. Hess fait à son tour un rapport au Führer dont le seul commentaire est qu'« il faut laisser mûrir l'affaire ». Lutze dénonce ensuite l'attitude de Röhm au général Walther von Reichenau, qui entretient des contacts étroits avec Reinhard Heydrich. Ce dernier convainc son supérieur, Heinrich Himmler qu'une action contre la SA est inévitable. Celui-ci est pourtant un proche de Röhm qu'il admire.
En dépit de son accord avec Hitler, Röhm s'accroche toujours à sa vision d'une nouvelle armée allemande avec la Sturmabteilung comme noyau. Au printemps 1934, cette vision s'oppose directement aux projets de Hitler, qui entend consolider et augmenter la puissance de la Reichswehr. Leurs plans respectifs étant incompatibles, le succès de Röhm ne peut se faire qu'au prix d'un échec de Hitler. En conséquence, une lutte politique se développe au sein du mouvement nazi. Les principaux dirigeants nazis, dont le ministre-président de Prusse Hermann Göring, le ministre de la propagande Joseph Goebbels, le Reichsführer-SS Heinrich Himmler et le député Rudolf Hess, se rangent aux côtés du Führer.
Parmi les vétérans du mouvement nazi, les Altkämpfer, seul Röhm fait preuve d'indépendance et ose s'opposer à Adolf Hitler. Son mépris pour la bureaucratie du parti irrite Hess et la violence des membres de la SA en Prusse préoccupe gravement Göring qui dirige la région. De plus, les prises de position publiques de Röhm deviennent de plus en plus menaçantes.
Le 18 avril 1934, il déclare à des représentants de la presse étrangère que « la révolution que nous avons faite n'est pas une révolution nationaliste, mais une révolution nationale-socialiste. Nous tenons même à souligner ce dernier mot : socialiste ». Il poursuit « Le combat de ces longues années jusqu'à la Révolution allemande, l'étape du parcours que nous franchissons en ce moment nous a enseigné la vigilance. Une longue expérience et souvent une expérience fort amère, nous a appris à reconnaître les ennemis déclarés et les ennemis secrets de la nouvelle Allemagne sous tous les masques » puis s'écrie « Réactionnaires, conformistes, bourgeois...nous avons envie de vomir lorsque nous pensons à eux ». Fin mai, son adjoint direct, Edmund Heines, poursuit dans le même sens : « Nous avons assumé le devoir de rester révolutionnaires. Nous ne sommes qu'au commencement. Nous ne nous reposerons que lorsque la révolution allemande sera achevée ». Malgré les rumeurs, Röhm reste confiant.
« Afin de tordre le cou dès à présent à toutes les fausses interprétations qui pourraient en résulter, le chef d'état-major précise qu'après avoir recouvré la santé, il reprendra ses fonctions avec toutes leurs attributions. Si les ennemis de la SA se bercent de l'espoir que la SA ne réintégrerait pas ses fonctions après sa permission, ou ne le ferait que partiellement, nous voulons bien les laisser profiter brièvement de ce plaisir. Ils recevront, au moment venu et sous la forme qui paraîtra nécessaire, la réponse appropriée. La SA est et reste le destin de l'Allemagne »
— Ernst Röhm, avant son départ en cure, les 7 et 8 juin 1934.
Comme en écho, lors d'un discours à la radio le 25 juin, Rudolf Hess adopte un ton menaçant : « Malheur à qui rompt son serment en croyant servir la révolution par la rébellion ».
Le 17 juin 1934, les demandes conservatrices connaissent un large écho, à l'occasion du discours que tient le vice-président Franz von Papen, confident de Paul von Hindenburg, à l'université de Marbourg : il mentionne expressément la menace d'une « seconde révolution » et stigmatise « tout ce qui se dissimule d'égoïsme, de prétention sous le manteau de la révolution allemande [...] la confusion entre brutalité et virilité [...] les méthodes terroristes dans le domaine de la justice ». Il dénonce également un « culte de la personnalité mensonger »et poursuit « Ce n'est pas la propagande qui fait les grands hommes, ce sont leurs actions. Aucune nation ne peut vivre dans un état de révolution continue. [...] L'Allemagne ne saurait vivre dans un état de troubles perpétuels, dont nul ne voit la fin ». Accueilli par un tonnerre d'applaudissements, ce discours, rédigé par un jeune avocat, Edgar Julius Jung, jette « une bombe sur la place publique». Joseph Goebbels essaie immédiatement de faire interdire sa reproduction dans la presse, sans pouvoir empêcher la publication d'extraits dans le Frankfurter Zeitung. En outre, en privé, von Papen, aristocrate catholique lié à l'armée et à l'industrie, menace de démissionner si Hitler n'agit pas. Si une telle démission de Papen ne constitue pas une réelle menace pour la position de Hitler, elle rendrait publique la division entre les conservateurs traditionnels et le parti nazi.
En réponse à la pression conservatrice pour juguler Röhm, Hitler se rend à Neudeck pour rencontrer Hindenburg. Blomberg, qui avait déjà rencontré le président, fustige Hitler pour ne pas s'être opposé plus tôt à Röhm. Il affirme à Hitler que Hindenburg est près de déclarer la loi martiale et de confier le gouvernement à la Reichswehr si Hitler ne prend pas des mesures immédiates contre Röhm et ses chemises brunes[
Notamment afin d'isoler Röhm, le 20 avril 1934, Göring confie, sur l'ordre d'Hitler, le commandement de la police politique prussienne à Himmler, qu'il pense capable de contrer Röhm. Himmler, jaloux de l'indépendance et de la puissance de la SA, poursuit la restructuration et le développement de la Schutzstaffel, qui passe d'un petit groupe de gardes du corps d'Hitler à un corps d'élite, accomplissant ses ordres sans broncher et d'une fidélité absolue envers le Führer. Cette discipline et cette fidélité s'avérèrent particulièrement précieuses lors de l'épreuve de force avec Röhm et la SA.
Les mesures de Hitler pour brider l'indépendance de la SA se renforcent mais restent prudentes. Les conservateurs dans l'armée, l'industrie et la politique mettent Hitler sous une pression croissante pour qu'il réduise l'influence des chemises brunes. Si l'homosexualité notoire de Röhm choque les milieux conservateurs, ses ambitions politiques les préoccupent bien davantage. Hitler hésite depuis des mois à s'opposer frontalement à Röhm, le seul compagnon qu'il tutoie et auquel il est lié par une longue amitié, comme en témoigne la lettre qu'il lui adresse le 31 décembre 1933 : « Lorsque je t'ai appelé à ton poste actuel, mon cher Chef d'état-major, la SA traversait une crise sérieuse. C'est en tout premier lieu à tes services que cet instrument politique doit d'être devenu en quelques années la puissance qui m'a permis de livrer l'ultime combat pour le pouvoir. [...] Je me dois de te remercier mon cher Ernst Röhm, pour les inestimables services que tu as rendus au national-socialisme et au peuple allemand. Sache que je rends grâce à la Destinée de pouvoir donner à un homme tel que toi le nom d'ami et de frère d'armes ».
De plus, Röhm détient encore le pouvoir sur une milice de plusieurs millions de membres à travers toute l'Allemagne. Cependant, la menace d'une proclamation de la loi martiale par Hindenburg, seule personne en Allemagne ayant assez d'autorité pour déposer le régime nazi, met Hitler sous pression et limite la possibilité de trouver un compromis. Hitler hésite cependant toujours. Lors d'une interview avec le journaliste américain Louis P. Lochner, en évoquant son entourage et la personnalité de Röhm, le Führer déclare que « il est vrai que je ne suis pas entouré de zéros, mais de vrais hommes. Les zéros sont ronds, ils roulent au loin quand les choses vont mal. Les hommes que j'ai autour de moi ont des angles et ils sont droits. Ce sont tous des personnalités, ils sont tous pleins d'ambition...Mais jamais aucun homme de mon entourage n'a essayé de m'imposer sa volonté. Au contraire, ils se conforment entièrement à mes vœux ».
Après le discours de Marbourg et l'entrevue avec Hindenburg et Blomberg à Neudeck, Hitler met fin à ses tergiversations et prend la décision de détruire le pouvoir de Röhm. Himmler et Göring accueillent cette nouvelle attitude du Führer avec satisfaction, espérant pour le premier débarrasser la Schutzstaffel de la tutelle de la SA et assurer son indépendance, et pour le second, la mise à l'écart d'un rival pour le commandement de l'armée. Le 27 juin 1934, Sepp Dietrich se fait délivrer des armes par le ministère de la défense en vue « d'une mission très importante confiée à ses soins par le Führer ».
En vue de la purge, Himmler et son adjoint direct, Reinhard Heydrich, chef du service de sécurité SS, fabriquent un dossier de fausses preuves prétendant que Röhm avait été payé douze millions de marks par la France pour renverser Hitler. Les principaux dirigeants de la SS découvrent ce dossier monté de toutes pièces le 24 juin, ce qui fonde l'accusation contre Röhm suspecté de fomenter un complot contre le gouvernement (le Röhm-Putsch). Tout en préparant l'épuration de la SA et en dressant la liste de ses responsables à éliminer, sous l'impulsion de Heydrich, le SD, la SS et la Gestapo élargissent la liste des futures victimes sans lien avec la SA. Les listes circulent entre la Gestapo et les services de Göring, qui en retire Rudolf Diels. L'un des rédacteurs de ces listes de proscription, Ilges, SD-Obersturmführer, tient les propos suivants : « Vous savez ce que c'est d'être ivre de sang ? J'ai l'impression d'avoir le droit de patauger dans le sang » D'après Friedrich Karl von Ebertsein, proche de Heydrich, la liste des victimes envoyée de Berlin au SD de Dresde est signée par Heydrich lui-même. Le 27 juin, Hitler obtient la coopération de l'armée : Blomberg et le général Walther von Reichenau, l'intermédiaire entre l'armée et le parti, font expulser Röhm de la ligue des officiers allemands et placent l'armée en alerte. Les généraux von Kleist et Gotthard Heinrici, qui ont mené leur propre enquête sur la réalité du projet de coup d'état et qui sont convaincus de l'inexistence de celui-ci prennent contact avec le général von Fritsch. Lors d'une entrevue avec von Reichenau, von Fritsch et von Kleist reçoivent comme toute réponse : « C'est bien possible, mais de toute façon, il est trop tard ».
Le 28 juin, Hitler se rend, en compagnie de Göring au mariage du gauleiter Josef Terboven, à Essen en Westphalie, pour des raisons qui restent controversées. Il y retrouve notamment Viktor Lutze, qui a le sentiment " que certaines gens avaient intérêt à profiter de l'absence de Hitler pour accélérer le train de l'affaire et parvenir à une conclusion rapide ". Hitler quitte la noce assez tôt pour rejoindre son hôtel d'où il s'entretient par téléphone avec l'adjudant-major de Röhm à Bad Wiessee et demande aux dirigeants de la SA de venir le rencontrer le 30 juin. Le 29 juin, en début d'après-midi, il arrive à l'hôtel Dreesen, à Bad Godesberg dans le cadre de ses visites d'inspection aux camps du service allemand du travail.
Le 29 juin, Göring met en alerte l'unité de gardes du corps d'Hitler, qui deviendra la 1re division SS Leibstandarte Adolf Hitler et la Landspolizeigruppe General Göring, troupe de police lourdement armée qui sera transformée au cours de la guerre en 1re division Fallschirm-Panzer Hermann Göring ; il donne également des instructions de mobilisation des commandos de tueurs à Reinhard Heydrich et Heinrich Müller ; Sepp Dietrich et ses hommes s'envolent pour Munich. À son arrivée dans la capitale bavaroise, vers minuit, Dietrich téléphone au Führer qui lui donne l'instruction de marcher sur Bad Wiessee. Peu de temps après, c'est Himmler qui appelle Hitler de Berlin, pour lui annoncer que le putsch de la SA doit se déclencher à 16 heures, sous le commandement du SA Grüppenführer Karl Ernst. Goebbels, qui est aux côtés de Hitler et qui sait qu' Ernst, loin de préparer un putsch, est prêt à s'embarquer pour Ténériffe et Madère, en voyage de noces, ne dément pas l'information. Le 30 juin 1934, à deux heures du matin, Hitler et son entourage prennent l'avion pour Munich à l'aéroport de Bonn-Hangelar. De l'aéroport de Munich, ils se rendent au ministère de l'intérieur de Bavière, où sont rassemblés les responsables d'une émeute de la SA qui avait eu lieu dans des rues de ville la nuit précédente.
L'incident a manifestement été gonflé et exploité : si des slogans hostiles au Führer et à la Reichswehr ont effectivement été lancés, des officiers de la SA ont exhorté leurs hommes à retrouver leur calme : « Rentrez tranquillement chez vous et attendez la décision du Führer. Quoi qu'il arrive, qu'Adolf Hitler nous congédie, qu'il nous autorise à porter cet uniforme ou qu'il nous l'interdise, nous restons avec lui, derrière lui ». Furieux, Hitler arrache les épaulettes de Gruppenführer SA de la vareuse de Schmid, le chef de la police de Munich, pour ne pas avoir réussi à maintenir l'ordre. Hitler le menace d'être exécuté et le fait immédiatement incarcérer à la prison de Munich-Stadelheim. Pendant que les chemises brunes sont transférées en prison, Hitler rassemble un groupe de SS accompagnés de la police régulière puis se dirige vers l'hôtel Hanselbauer à Bad Wiessee, où se trouvent Ernst Röhm et ses hommes.
Sans attendre les troupes de Dietrich, à 6 h 30, Hitler arrive à la pension Hanselbauer à Bad Wiessee. Pistolet au poing, il entre en trombe dans la chambre de Röhm, le traite de traître et le déclare en état d'arrestation. Hitler, le pistolet toujours au poing, poursuit sa course et cogne contre la porte d'une chambre voisine : il y découvre le chef de la SA de Breslau, Edmund Heines, qui a manifestement passé la nuit avec un membre de la SA de 18 ans. Pendant que les deux hommes sont arrêtés, Hitler frappe déjà à d'autres portes. Les dirigeants de la SA sont enfermés dans la cave de l'hôtel en attendant l'arrivée du bus qui doit les conduire à la prison de Stadelheim. Un incident est évité de justesse lorsque Hitler, sortant de l'hôtel, se retrouve face à la garde de l'état-major de Röhm, fortement armée, à qui il ordonne de regagner Munich sur le champ. Pendant ce temps, les SS arrêtent un certain nombre de chefs de la SA au moment où ils descendent du train en gare de Munich pour rejoindre Röhm ou lorsque la voiture qui les conduit à Bad Wiesee croise le convoi qui emmène les prisonniers vers Stadelheim.
Le fait que le complot de Röhm soit une totale invention n'empêche pas Hitler d'en faire porter la responsabilité sur le commandement de la SA. Rentrant vers midi au quartier-général du parti nazi à Munich, la « maison brune », Hitler s'adresse aux cinquante à soixante responsables de la SA qui y sont rassemblés. « Fou de rage et l'écume à la bouche », il dénonce « la plus grosse trahison dans l'histoire du monde ». Dans son discours d'une heure, Hitler fustige le comportement de Röhm, notamment son train de vie fastueux, insiste sur la nécessité de délimiter avec précision le rôle et les missions de la Reichswehr et de la SA, en renouvelant sa confiance à celle-ci et termine en dénonçant le complot de Röhm qui avait pour but de l'assassiner et de livrer l'Allemagne à ses ennemis.
Dans l'après-midi, alors que les assassinats de Herbert von Bose, Erich Klausener et Kurt von Schleicher ont déjà été commis, Hitler convoque une réunion, toujours à la « maison brune » pour décider du sort de la trentaine de chefs de la SA emprisonnés à Stadelheim : y participent notamment Rudolf Hess, Martin Bormann, Goebbels, Max Amann, le responsable de la presse du parti et d'autres personnalités de second rang. Après des débats animés, Hitler coche six noms de personnes à exécuter sur la liste des détenus : August Schneidhuber, Obergruppenführer SA et préfet de police de Munich, Wilhem Schmid, Gruppenführer SA à Munich, Hans Peter von Heydebreck, Gruppenführer SA à Stettin, Hans Hayn, Gruppenführer SA à Dresde, le comte Hans Joachim von Spreti-Weilbach, Standartenführer SA à Munich et Edmund Heines, SA-Obergruppenführer. Par contre Hans-Karl Koch est déclaré innocent, Fritz von Krausser, SA-Obergruppenführer est grâcié en raison de son brillant passé militaire et de sa participation au Putsch de la brasserie, de même que Röhm dont le Führer refuse l'exécution. Hess, présent dans l'assemblée, se porte volontaire pour exécuter les « traîtres » lui-même. Goebbels, qui a accompagné Hitler à Bad Wiessee, déclenche la phase finale du plan : il téléphone à Göring, donnant le mot de code Kolibri pour déclencher l'action des escouades de tueurs dans le reste de l'Allemagne.
« Accomplir son devoir et aligner au mur les camarades qui avaient fauté et les fusiller [...] chacun en frémissait, et, pourtant, chacun savait avec certitude qu'il le referait la prochaine fois qu'on lui ordonnerait et quand ce serait nécessaire »
— Heinrich Himmler, 1943.
En fin d'après-midi, vers dix-huit heures, lorsque Dietrich et ses tueurs se présentent à la prison de Stadelheim, son directeur, Koch, proteste en estimant qu'un simple coup de crayon rouge sur une liste de noms ne lui paraît pas « très règlementaire » comme ordre d'exécution. Il prend contact avec le Ministère de l'Intérieur, puis il est contacté par le ministre lui-même, Hans Frank, tenu à l'écart des événements et qui lui annonce qu'il vient sur le champ. Dietrich, quant à lui, ne veut pas attendre l'arrivée de Frank pour procéder aux exécutions. Il retourne à la « maison brune » quasi déserte, où il obtient une confirmation de la liste des personnes à exécuter via la signature de celle-ci par le Ministre de l'Intérieur de Bavière, Adolf Wagner. Pendant ce temps, Frank, arrivé sur place a également obtenu confirmation de l'ordre du Führer au cours d'un entretien téléphonique avec Hess.
Les prisonniers sont amenés dans la cour de la prison et fusillés un par un par un peloton d'exécution sous les ordres de Sepp Dietrich, qui ne commande personnellement que les deux premières exécutions. Selon Jacques Delarue Schneidhuber supplie Dietrich en vain, s'écriant « Camarade Sepp, qu'est-ce qui se passe ? Nous sommes innocents ! ». Pour Jean Phillipon, après des protestations à l'annonce de la décision du Führer, les condamnés meurent en s'écriant « Je meurs pour l'Allemagne : Heil Hitler! ».
Des exécutions ont également lieu à Berlin, dont celles de Karl Ernst, chef de la SA de Berlin-Brandebourg, arrêté à Brême la veille de son embarquement pour une croisière dans l'Atlantique sud, qui crie au peloton : « Visez juste, camarades ! ». En Silésie, le chef SS Udo von Woyrsch perd le contrôle de ses hommes: ceux-ci traquent Werner Engels, SA-Sturbannführer et responsable de la police de Breslau dans les bois et l'abattent ; un des membres du commando tue un ancien SS-Stabsführer, exclu pour malversations financières et dont l'exécution est maladroitement maquillée en un crime commis par des rodeurs. L'action de la SS en Silésie est particulièrement violente et outrepasse les ordres d'Himmler : quatorze membres de la SA sont exécutés, dont sept sont fusillés un par un dans les bois d'Obernigk à la lueur des phares des véhicules, huit civils, dont un médecin juif et trois communistes, sont assassinés, des centaines d'opposants au régime ou tièdes à son égard sont emprisonnés ou passés à tabac... En Prusse orientale, Erich von dem Bach-Zelewski, fait abattre, sur ordre d'Heydrich, Anton von Hohberg und Buchwald, cavalier exceptionnel et SS-Reiteführer, qui avait rapporté au ministère de la défense des propos hostiles à la Reichswehr tenus par un SS-Gruppenfürer. La répression sévit aussi en Poméranie : le SA-Gruppenführer Peter von Heydebreck et son chef d'état-major sont passés par les armes, tous les SA-Brigadeführer sont destitués, les responsables locaux du Stahlhelm sont emprisonnés et parfois torturés ; trois anciens membres de la SS, condamnés pour leurs exactions dans le camp de concentration de Bredow, près de Stettin sont également assassinés.
La mort de Röhm est suivie d'une nouvelle série d'exécutions à Berlin : l' Obergruppenführer SA Falkenhausen, le Gruppenführer von Detten, Ritter von Krausser, précédemment gracié par Hitler. La dernière victime désignée, le Gruppenführer SA Karl Schreyer est embarqué dans une voiture pour être fusillé à la prison de Lichtervelde, à 4 heures du matin, le 2 juillet : il est sauvé par l'arrivée d'un Standartenführer de la Leibstandarte qui transmet l'ordre d'Hitler d'arrêter les exécutions.
Röhm est emprisonné à la prison de Stadelheim à Munich, où il manifeste le plus grand calme, même après avoir entendu les salves du peloton d'exécution : il participe à la promenade des prisonniers et demande qu'on lui apporte des effets personnels. Hitler hésite toujours sur le sort à lui réserver, notamment compte tenu des services rendus par Röhm au mouvement nazi. Röhm ne peut pas être retenu en détention indéfiniment, ni exilé ; un procès public rendrait inévitable un examen minutieux de la purge, ce qui n'est évidemment pas souhaitable. De nombreux dignitaires nazis, parmi lesquels Rudolf Hess, Alfred Rosenberg et Max Amann, les inventeurs du complot imaginaire de Röhm, Göring, qui a déjà annoncé l'exécution de Röhm lors de sa conférence du 30 juin, Himmer, Heydrich et von Reichenau font pression sur le Führer : en conclusion d'un débat hystérique, Hitler revient, dans l'après-midi du 1er juillet, sur la grâce accordée la veille mais exige que l'on offre à Röhm la possibilité d'éviter le déshonneur en se suicidant.
L'ordre de Hitler passe le 2 juillet par toute la ligne hiérarchique de la SS : Himmler, Heydrich, Karl Oberg pour aboutir chez le SS-Oberabschnittsführer de Munich qui désigne les bourreaux, Theodor Eicke, commandant du camp de concentration de Dachau, et Michel Lippert, commandant de la garde du camp. Le directeur de la prison de Stadelheim, le Dr Koch, fait à nouveau des difficultés : il contacte Frank le ministre de la Justice, qui lui donne comme seul conseil de rédiger un rapport détaillé. Les tueurs rendent visite à Röhm dans sa cellule. Ils lui remettent un pistolet chargé et la dernière édition du Völkischer Beobachter et lui expliquent qu'il a dix minutes pour se suicider, pour éviter une exécution. Röhm refuse et déclare que « si je dois être tué, laissez Adolf le faire lui-même » Après le temps imparti, les tueurs reviennent dans la cellule de Röhm où ils le trouvent torse-nu dans un geste de bravade. Les derniers mots de Röhm sont « Mon Führer, mon Führer », auxquels Eicke répond par « Il fallait songer à tout cela un peu avant, maintenant il est un peu tard». Eicke et Lippert l'assassinent à bout portant. La brièveté du délai laissé à Röhm risquant de heurter Hitler, on raconte à celui-ci que Röhm a été abattu lors d'une tentative d'évasion. L'opération de purge se prolonge jusqu'au 2 juillet.
L'opération ne se limite pas à une purge de la SA. Après avoir, dès la prise du pouvoir, fait emprisonner, exiler ou exécuter les sociaux-démocrates et les communistes, Hitler profite de l'occasion pour s'occuper des conservateurs qu'il considère comme non-fiables. Ceci inclut le vice-chancelier von Papen et son entourage. À Berlin, une unité armée de la SS boucle la vice-chancellerie, pendant qu'en présence de Himmler, Göring, dans son bureau, informe von Papen de l'opération en cours, sans toutefois lui donner de détails. Alors que Herbert von Bose, le secrétaire de von Papen reçoit un visiteur, Friedrich Minoux, gros négociant en charbon, les tueurs, « deux messieurs très corrects », lui demandent d'interrompre l'entretien, sous prétexte d'une communication urgente. En quittant son bureau von Bose remet son portefeuille et sa chevalière portant ses armoiries à deux de ses collaborateurs. Il est emmené dans un bureau au fond du bâtiment, d'où l'on entend claquer dix coups de feu suivis d'un onzième. Arrivé sur les lieux, von Papen proteste en vain : il ne peut empêcher l'arrestation du collaborateur qui l'accompagne, Fritz Günther von Tschirschky et il est reconduit en résidence surveillée à son domicile.
C'est sur l'insistance personnelle de Heydrich qu'est assassiné Erich Klausener[105], chef de l'Action catholique, adversaire résolu des nazis, figure de proue de l'opposition catholique au nazisme. qui n'hésite pas à les dénoncer publiquement à plusieurs reprises; pour Göring, « ce fut une action vraiment sauvage de Heydrich ». Kurt Gildish, chargé de l'assassinat abat Klausener par derrière, d'une balle dans la tête, pendant que celui-ci enfile sa veste. Il téléphone ensuite, de la maison de la victime, à Heydrich, qui lui ordonne de maquiller le crime en suicide. Parmi les personnalités catholiques, on compte aussi au nombre des victimes Kuno Kamphausen, ancien membre du Zentrum ou Adalbert Probst, responsable d'une association catholique de jeunesse.
Le général de brigade Ferdinand von Bredow est arrêté à son domicile à Berlin et tué par un commando de la Gestapo près de Lichtenberg. Le journaliste Walter Schotte, collaborateur de von Papen qui s'était opposé aux nazis lors des élections du 6 novembre 1932 est assassiné par la Gestapo à 6h30 du matin. Le vice-chancelier lui-même est arrêté sommairement à la vice-chancellerie, en dépit de ses protestations véhémentes. Bien que Hitler l'ait fait libérer quelques jours plus tard, Papen n'osera plus critiquer le régime à partir de cet évènement.
Hitler, Göring, Himmler et Heydrich utilisent la Gestapo et la SS contre leurs anciens ennemis. Kurt von Schleicher, prédécesseur de Hitler comme chancelier, et son épouse sont assassinés chez eux. Six hommes investissent la villa de von Sleicher le 30 juin vers midi ; le général est assis à son bureau. Lorsqu'il confirme son identité en réponse à la question d'un des tueurs, il est immédiatement atteint de trois coups de pistolet ; lorsque son épouse entre dans la pièce voisine, elle est également abattue et meurt le jour même à l'hôpital. La manière dont se sont déroulés les meurtres et la notoriété des victimes suscitent des difficultés. Avertie par des voisins vers 12 h 45, la gendarmerie arrive sur les lieux et contacte le parquet de Potsdam. L'instruction est confiée à un jeune magistrat, le Dr Grützner, qui résiste aux premières pressions pour accréditer la thèse d'un suicide et prévient le procureur, dont la ligne est sur écoute : Göring, Himmler et Heydrich sont donc immédiatement au courant. À 18 heures, le dossier est retiré à Gürtzner, qui se voit menacé par une délégation conduite par Roland Freisler, au milieu de la nuit, d'être interné en camp de concentration pour le convaincre de laisser tomber l'affaire. Afin de couper court aux rumeurs, la radio diffuse un communiqué vers 22 heures, repris le lendemain par la presse, selon lequel von Sleicher entretenait des rapports subversifs avec les éléments de la SA hostiles à l'état et avec des puissances étrangères ; il s'est opposé, les armes à la main à son arrestation, et est mort, ainsi que son épouse, lors d'un échange de coups de feu avec la police.
Parmi les autres victimes, on compte Gregor Strasser, nazi de longue date qui a rompu avec Hitler en 1932 et s'est retiré de la politique : abattu d'une balle dans la tête, il agonise dans une cellule pendant que Heydrich hurle : « Il n'est pas encore mort ? Laissez ce porc se vider de son sang ». Hitler est furieux lorsqu'il apprend la mort de Strasser, qu'il n'a pas ordonnée, mais Himmler lui affirme qu'il s'agit d'un suicide. Gustav von Kahr, ancien commissaire de l'état de Bavière qui a contribué à faire échouer le Putsch de la brasserie en 1923, âgé de 71 ans, fait aussi partie des victimes. Le sort de von Kahr est particulièrement cruel. Torturé à Dachau où il est fusillé, son corps est retrouvé dans un bois de la périphérie de Munich tailladé à coups de pioche. Le Père Bernhard Stempfle, qui connaît quelques secrets sur la vie privée d'Hitler, meurt de trois balles dans le cœur et la colonne vertébrale brisée. Le SS Oberabschnittsführer Erich von dem Bach-Zelewski fait assassiner son rival, le baron von Hohberg und Buchwald, SS Reiterführer dans la grande salle de son manoir à Koeninsberg.
Les assassins font aussi des victimes accidentelles : Willi Schmid, un critique musical du Münchner Neuste Nachrichten est confondu avec Ludwig Schmitt, un ancien partisan d'Otto Strasser. Malgré les protestations de son épouse qui affirme qu'il s'agit manifestement d'une erreur, Willi Schmid est emmené à Dachau : le 4 juillet, sa veuve reçoit un cercueil contenant officiellement la dépouille de son mari, avec interdiction formelle de l'ouvrir. Le chef de la Hitlerjugend de Saxe, Laemmermann est également exécuté par erreur. Cette explosion de violence, dont de nombreuses victimes sont des nazis de longue date, crée un climat de terreur et fonde la sinistre réputation de la Gestapo et de la SS.
L'ampleur de la purge dont des responsables politiques de premier plan sont les victimes l'empêche de rester secrète. Dans les premiers jours, ses organisateurs semblent partagés sur la façon de manipuler l'évènement. Le 30 juin dans l'après-midi, Hermann Göring organise une conférence de presse à Berlin, au cours de laquelle il déclare notamment que « le commandement suprême de la SA avait forgé des plans dont le but était de saper le Mouvement, de porter la subversion dans l'État et d'édifier un État qui aurait été en quelque sorte la propriété de ces personnalités morbides » ; en réponse aux questions des jounalistes, il affirme que von Sleicher est mort en résistant à son arrestation, ajoutant qu' on ne fait pas d'omelette sans casser les oeufs et que la saison de la trahison est terminée ; il précise également que Röhm n'appartient plus au nombre des vivants, alors qu'à ce moment, il bénéficie toujours de la grâce du Führer. Le 2 juillet, Göring enjoint néanmoins aux services de la Gestapo, de la SS et de la Sipo de brûler tous les documents relatifs à l'action des deux précédents jours et Goebbels essaie d'empêcher les journaux de publier la liste des victimes. Dans le même temps, Goebbels explique à la radio comment Hitler a empêché Röhm et Schleicher de renverser le gouvernement et de jeter le pays dans le chaos.
Selon un communiqué de presse du bureau de presse du Reich, l'homosexualité de Röhm est une des justifications de la purge.
« Ses penchants malheureux et connus ont conduit à des tares si détestables que le chef du mouvement et chef suprême de la SA [Adolf Hitler] a lui-même été amené à des graves problèmes de conscience [...] L'exécution de l'arrestation a révélé des images moralement si tristes que toute espèce de pitié a été forcée de disparaître. Certains de ces chefs SA étaient en compagnie de prostitués. L'un d'eux a été surpris et arrêté dans la situation la plus obscène. Le Führer a donc donné l'ordre d'exterminer impitoyablement cette pestilence. Qu'il soit ainsi entendu qu'à l'avenir, on ne supportera plus que des milliers d'hommes sains soient contaminés ou compromis par des êtres isolés aux penchants maladifs »
— Communiqué du Reichspressestelle.
Pour donner un caractère légal au massacre, Hitler fait approuver, dès le 3 juillet une loi rétroactive aux termes de laquelle « les mesures prises les 30 juin, 1er et 2 juillet pour supprimer des assauts traîtres sont légales en tant qu'actes d'autodéfense par l'État ». Le ministre de la justice du Reich Franz Gürtner, un conservateur qui avait été ministre de la justice de Bavière sous la République de Weimar, démontre sa fidélité au nouveau régime en rédigeant le texte de la loi. Les membres non nazis du gouvernement capitulent totalement quand le conseiller d'état et éminent juriste Carl Schmitt écrit un article justifiant le discours officiel qu'Hitler tient devant le Reichstag le 13 juillet.
« Quand on déclare qu'un procès aurait pu seul établir exactement les responsabilités et déterminer les peines, je proteste contre une telle affirmation. Quiconque s'élève contre l'Allemagne est un traître à la patrie. Quiconque est traître à la patrie ne doit pas être jugé d'après l'étendue de ce qu'il a fait mais d'après ce qu'il voulait faire. Celui qui se place sous le signe de la déloyauté, de l'infidélité à ses promesses les plus sacrées ne peut attendre rien d'autre que ce qui lui est arrivé »
— Discours d'Adolf Hitler du 13 juillet 1934.
« Le Führer protège le droit devant le pire des abus lorsque, face au péril, il crée le droit de façon immédiate en vertu de son pouvoir de Führer et de juge suprême. [...] Un véritable Führer est toujours également juge. [...] En réalité, l'acte accompli par le Führer était un acte de juridiction pure. Cet acte n'était pas soumis à la justice, il était lui-même la justice suprême »
En Allemagne, à la quasi-unanimité, l'armée applaudit la « Nuit des Longs Couteaux », malgré la mort de deux de ses généraux, Kurt von Schleicher et Ferdinand von Bredow. Le président Paul von Hindenburg adresse au Führer un télégramme de félicitations :« D'après les rapports que je viens de recevoir, je constate que par votre esprit de décision et votre courage personnel, vous avez étouffé dans l'œuf les intentions des traîtres. Je vous exprime par ce télégramme ma profonde reconnaissance et mes remerciements très sincères »; dans un ordre du jour à l'armée, von Blomberg va encore plus loin : « Le Führer a attaqué et écrasé les mutins avec la décision d'un soldat et un courage exemplaire. La Wehrmacht, en tant que seule force armée de l'ensemble de la nation, tout en restant à l'écart des luttes de politique intérieure, lui témoignera sa reconnaissance par son dévouement et sa fidélité ». Le général Walther von Reichenau va même jusqu'à donner publiquement du crédit au mensonge selon lequel von Schleicher avait comploté pour renverser le gouvernement. Le soutien de l'armée à la purge a des conséquences importantes. La SA humiliée ne constitue plus une menace, mais, en se ralliant à la purge, l'armée s'est étroitement liée au régime nazi. Le capitaine à la retraite, Erwin Planck résume clairement cette situation en déclarant à son ami, le général Werner von Fritsch : « Si vous regardez sans même bouger un doigt, vous rencontrerez le même destin tôt ou tard ».
Les Allemands font confiance au régime et estiment que Hitler a sauvé l'Allemagne du chaos. La presse allemande, et ce compris des journaux qui n'ont pas encore été « nazifiés », comme la Kreuz Zeitung ou la Deutsche Allgemeine Zeitung, approuve la purge et reprend à son compte les arguments d'Hitler, à l'exception de la Gazette de Francfort, qui met en doute la réalité d'une alliance entre Röhm, von Sleicher et Gregor Strasser. Le discours d'Hitler du 13 juillet 1934 devant les membres du Reichstag est acclamé par les milliers de personnes massées à l'extérieur de l'opéra Kroll, où se tiennent les séances du parlement depuis son incendie.
« En cette heure, je fus responsable du destin du peuple allemand, et je suis devenu de ce fait le juge suprême des Allemands. J'ai donné l'ordre d'abattre les meneurs dans cette trahison, et j'ai aussi donné l'ordre de cautériser jusqu'à la chair crue les ulcères de cet empoisonnement des puits de notre vie domestique. Faites savoir à la nation que son existence, qui dépend de l'ordre et de la sécurité intérieure, ne peut pas être menacée impunément par n'importe qui ! Et faites savoir que pour tous les temps qui viennent que si quelqu'un lève le poing pour frapper l'État, alors une mort certaine sera son sort. »
Les assassinats ne soulèvent pas de réactions défavorables en Allemagne. Toutefois, à titre symbolique, malgré les ordres formels de von Blomberg, le général Hammerstein-Equord, démis de ses fonctions de commandant de l'armée de terre depuis le mois de février en raison de son antipathie pour les nazis, se présente aux funérailles de Kurt von Schleicher. Des protestations sont également le fait du clergé catholique, notamment dans la région de la Ruhr ou à Münster : dans cette ville, lors de la procession du 10 juillet 1934, l'évêque local est ovationné par la foule après avoir affirmé publiquement qu'en cas d'arrestation, « il faudrait le mener, vêtu de tous ses ornements sacerdotaux, la crosse au poing, à pied, à travers la ville, jusqu'aux bureaux de la Gestapo »
La presse étrangère condamne unanimement le crime. Le Times évoque « un retour à des méthodes médiévales », le Sunday reference estime que « les gangsters de Chicago sont plus honnêtes », le New-York Herald Tribune parle de « menace pour la civilisation » et considère le discours du 13 juillet comme « terrifiant parce qu'il est manifestement sincère » ; même la presse de l'Italie faciste, comme le Popolo di Roma ou le Popolo d'Italia réprouve la purge. Pour le journal français Le Temps, « ce n'est pas un très beau crime... C'est une affaire de police des moeurs. On y sent la culpabilité, la trahison, l'hypocrisie. Ces cadavres sont exhibés dans la fange et les meurtriers se sont ménagés un alibi. » Pour la Pravda, « les événements du 30 juin rappellent les moeurs de l'Équateur ou du Panama ».
« Jamais il [le Führer] n'a témoigné d'une férocité plus calculée, plus volontaire et par là même plus répugnante. [...] Et que dire de cette débauche de sauvagerie dans l'assassinat de von Sleicher et de sa femme, des fusillades en masse pour des motifs inconnus et invérifiables qui laissent apparaître une sorte de manie sadique dans la cruauté? [...] Jamais le racisme hitlérien ne m'est apparu plus nettement comme l'ennemi de toute civilisation, de toute moralité, de toute paix humaine. Jamais je ne me suis senti plus profondément pénétré de la certitude que l'extirpation du racisme, du facisme, de tout ce qui y ressemble ou y tend, est comme un devoir préalable de rédemption par lequel l'humanité doit se rendre digne d'elle-même »
— Léon Blum, Le Populaire, 3 juillet 1934.
Adolf Hitler nomme Viktor Lutze pour remplacer Ernst Röhm à la tête de la Sturmabteilung. Hitler lui enjoint de mettre un terme à « l'homosexualité, la débauche, l'ivresse et au train de vie fastueux » à l'intérieur de la SA. Hitler lui interdit expressément d'utiliser les fonds de la SA pour des limousines et des banquets, ce qu'il considère comme extravagant. Sans grande personnalité, Lutze renonce à l'indépendance de la SA, qui voit sa puissance décroître au cours des années suivantes. Les adhésions passent de 2,9 millions en août 1934 à 1,2 million en avril 1938. À titre symbolique, tous les poignards décoratifs de la SA sont modifiés : la devise "Alles für Deutschland" (tout pour l'Allemagne), gravée sur la lame de toutes les dagues de la SA subsiste, mais sur le dos de la lame des dagues dites "d'honneur", qui avaient été remises par Röhm à certains membres de la SA, figurait la mention "In herzlicher Kameradeschaft" (en camaraderie cordiale), suivie de sa signature. Les récipiendaires de ces armes doivent faire meuler, au moins le nom de Röhm, sinon la phrase entière.
Quelques semaines après la purge, Heinrich Himmler est récompensé par l'octroi de l'indépendance à la Schutzstaffel vis-à-vis de la Sturmabteilung, c'est-à-dire à son passage sous le commandement unique de Adolf Hitler. Reinhard Heydrich est également remercié par une promotion au grade de SS-Gruppenführer et les SS ayant participé à la purge reçoivent des poignards décoratifs avec une inscription spéciale.
La Nuit des Longs Couteaux scelle pour quelques années l'alliance de Hitler et des milieux conservateurs. L'initiative brutale de Hitler apaise les conservateurs car l'élimination des nazis révolutionnaires (c'est-à-dire de la tendance populiste du parti national-socialiste) rassure la droite sur les intentions du nouveau régime ; elle génère toutefois une inquiétude dans ces mêmes milieux, certaines victimes de la purge en étant issues.
Cette purge représente un véritable triomphe pour Hitler, même si la répression avait dépassé les limites qu'il avait fixées et un tournant pour le gouvernement allemand. Le fait que le président Paul von Hindenburg est mourant confère à Hitler le rôle de « juge suprême des allemands », pour reprendre ses propos lors de son discours du 13 juillet au Reichstag. Quelques procureurs tentent d'entamer des actions judiciaires contre ceux qui ont effectué les meurtres, tentatives que le régime annule rapidement : aucune loi ne contraindra Hitler dans l'utilisation de la force.
Cette purge témoigne de la manière fondamentalement chaotique et imprévisible avec laquelle Hitler gouverne. La Nuit des longs couteaux envoie également un message clair à l'ensemble de la société : aucun allemand, quelle que soit son rang ou sa position, n'est à l'abri d'une arrestation ou d'une exécution s'il est perçu comme une menace pour le nouveau régime.
.
Egger Ph.