Les origines de la vie sur Terre sont un des plus grands défis que la science se soit jamais chargée de résoudre. Juste après l'origine de l'Univers, et loin devant l'influence des marées sur les embauches et licenciements à Radio France.
Toute découverte en ce domaine est donc un événement en soi, d'autant plus grand qu'on remonte loin dans l'histoire. Alors quand on dépasse les 2 milliards d'années, imaginez la fête ! Et justement, les cotillons sont de sortie en ce moment.
Une équipe de 21 chercheurs issus de seize laboratoires différents -il fallait bien ça- vient de faire une découverte si importante qu'ils ont obtenu une publication dans le grand magazine Nature.
La trouvaille : des restes fossilisés de ce qui ressemble à des colonies d'organismes, certes très primitifs, mais déjà capables de vivre ensemble. Pour un âge de -2,1 milliards d'années, c'est un vrai exploit.
Une longue histoire dont on ne connaît que les pointillés
Remettons-nous les idées au clair :
•Les mammouths ont disparu il y a 10 000 ans
•« Homo sapiens » a pointé sa truffe voilà environ 100 000 ans.
•L'australopithèque Lucy se dandinait vers -3,15 millions d'années (MA), descendante de primates apparus autour de -60 MA.
•C'était après la crise crétacé/tertiaire qui a éradiqué, à -65 MA, les dinosaures ainsi qu'une myriade d'animaux et végétaux moins populaires.
•La plus grosse catastrophe de l'histoire de la vie remonte cependant à -250 MA (fin du permien). Elle fit disparaître presque 95% des espèces, dont les fameux trilobites, qui sont tout sauf des gros mots. Avant cette date, c'est l'histoire des poissons, des insectes et des plantes vertes qui démarre.
•Et encore avant ? C'est l'explosion de la vie du cambrien (-500 MA), précédée de l'apparition des organismes complexes, les métazoaires, dont on a retrouvé des traces magnifiques dans la faune d'Ediacara (entre -600 et -550 MA).
Et encore avant ? Ça devient beaucoup plus flou. Pour la simple raison que les chercheurs reconstituent l'histoire de la vie à partir d'éléments concrets : des fossiles. Donc tout ce qui ne se fossilise pas, c'est-à-dire les organismes mous, sans squelette ni coquille, est condamné à sortir de la mémoire de la Terre, formée quant à elle voilà 4,56 milliards d'années…
D'après les quelques traces décelées ici et là, on suppose que :
•les bactéries existaient il y a 3,5 milliards d'années
•les cyanobactéries (capables de photosynthèse) 800 MA plus tard
•entre -2,7 milliards d'années et -600 MA, sont forcément apparus les eucaryotes (cellules à noyau) puis, donc, les métazoaires, formés de plusieurs cellules différenciées.
Mais les scientifiques pataugent un peu, faute de traces officielles.
Comment fait-on parler un vieux bout de caillou ?
D'où l'importance de cette découverte, œuvre d'une équipe encadrée par le laboratoire Hydrasa de l'université de Poitiers. Il s'agit de la mise au jour, dans des roches du Gabon -l'Afrique de l'Ouest est une des plus vieilles terres émergées- de fossiles âgés de -2,1 milliards d'années. Colossal !
Ces fossiles sont probablement des restes d'êtres vivant en colonies. Merveilleux !
Ils barbotaient certainement en pleine mer, dans un environnement riche en oxygène. Grandiose !
Et ils pouvaient, selon tout apparence, coordonner leur développement par des signaux chimiques. Quelle génialitude !
Sans rire, l'événement marque une belle étape dans notre connaissance de l'histoire de la vie. Comme le précise le professeur Alain Meunier, qui a dirigé les travaux de recherche, « l'organisation d'êtres vivants macroscopiques et sûrement pluricellulaires n'était pas attestée, jusqu'à cette découverte, avant la fameuse explosion cambrienne ».
Comment les chercheurs ont-ils trouvé toutes ces infos dans de si vieux fossiles ? Reprenons.
•On les a retrouvés dans une couche de roches vieilles de 2,1 milliards d'années. La datation desdites couches se fait, entre autres, par des mesures de radioactivité, comme les méthodes uranium/plomb (U/Pb) ou samarium/neodymium (Sm/Nd) utilisées dans le cas présent.
•Ce sont probablement des restes d'êtres vivants. Notamment parce que les fossiles contiennent des cristaux de pyrite (à base de fer), le coup classique pour tout fossile de l'époque. Et surtout parce qu'on a mesuré dans ces fossiles des taux de carbone 13, un isotope stable du carbone, indiquant clairement la présence de matière « organique », donc une relique quasi certaine d'organismes vivants.
•Ces organismes étaient pluricellulaires et vivaient en colonies. Facile là encore. Les fossiles sont gros, jusqu'à 12 cm de long. Et leur structure organisée indique que l'organisme en question n'était pas qu'un amas de cellules empilées comme des patates dans un camion frigo.
Non : elles étaient nombreuses, et un peu mieux organisées que certaines équipes de foot dont on taira le nom.
•Ce sont des organismes marins car on les a retrouvés dans une couche géologique formée par des dépôts marins. Elémentaire.
•L'environnement contenait de l'oxygène. D'une part, on sait que la concentration en O2 a commencé à grimper dans notre atmosphère autour de -2,45 milliards d'années. D'autre part, la très faible concentration en fer chimiquement réactif indique que ce dernier a été transformé, pendant la fossilisation, au cours d'une réaction avec de l'oxygène.
•Les êtres vivants à l'origine des fossiles étaient organisés et bien coordonnés. C'est la structure des fossiles qui l'indique : un développement de la colonie par des excroissances partant du centre vers l'extérieur, comme les rayons d'une roue de vélocipède.
Or ces alignements de cellules ne se collaient pas les uns aux autres. Elles libéraient donc des substances chimiques qui indiquaient aux autres excroissances : « Je pars de ce côté, alors tire-toi, il y a de la place un peu plus loin ! ».
Pour des êtres vieux de plus de 2 milliards d'années, c'est fort non ? Je connais des groupes d'humains qui ne sont, aujourd'hui encore, pas fichus de s'entendre aussi bien.
Voilà comment une équipe de scientifiques motivés, avec du temps, de la patience et un gros stock de matériel de pointe (ils disposent d'imagerie 3D pour voir l'intérieur du fossile, tout de même), est capable de tirer autant d'informations à partir de si vieux fossiles.
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Damien Jayat