La guerre des Gruyères n'aura pas lieu. Se rangeant aux recommandations de la Commission européenne, la filière française a décidé d'abandonner à la Suisse l'appellation d'origine contrôlée (AOC). Et de se satisfaire d'une indication géographique protégée (IGP).
La guerre des Gruyères n'aura pas lieu. Se rangeant aux recommandations de la Commission européenne, la filière française a décidé d'abandonner à la Suisse l'appellation d'origine contrôlée (AOC). Et de se satisfaire d'une indication géographique protégée (IGP): «La solution la plus sage pour ne pas prendre le risque d'essuyer un refus de notre demande d'enregistrement en appellation d'origine protégée (AOP, version européenne de l'AOC) par Bruxelles», explique Gabriel Moureaux, président du Syndicat interprofessionnel du Gruyère (SIG).Ce refus, les Français y ont déjà échappé de justesse. Les services de la Commission européenne allaient en effet recommander, en mars dernier, le rejet de leur demande. Dossier «insuffisamment étayé», selon Bruxelles. Qui pointait «un défaut de liens concrets entre le fromage et le territoire». Principal écueil: la zone d'affinage déborde très largement de la zone de production. Pour la commission, cela contrevenait aux règles de l'AOP, dénomination réservée à «un produit dont la production, la transformation et l'élaboration doivent avoir lieu dans une aire géographique déterminée avec un savoir-faire reconnu et constaté».
Pressions politiques
Sans la pression de l'Assemblée nationale et une intervention du ministre de l'Agriculture Bruno Le Maire, l'arrêt de mort du Gruyère français était signé. Car sans homologation européenne, l'AOC nationale, acquise en 2007, n'a plus aucune valeur. Un cauchemar dans la perspective de la ratification prochaine par la Suisse et l'Union européenne (UE) de l'accord de reconnaissance réciproque des indications géographiques (voir ci-contre). Estampillé AOC depuis 2001, le Gruyère helvétique aurait alors hérité de l'exclusivité de l'appellation. Nul doute cependant que les Français auraient introduit un recours devant la Cour de justice des communautés européennes, en vue de faire respecter leur droit de propriété intellectuelle sur la dénomination «Gruyère», en vertu des accords de Stresa (1951) et de Berne (1974).Pour éviter de se retrouver dans une impasse, l'UE a donc invité la France à envisager une reconnaissance en IGP, moins contraignante. L'option a finalement été retenue par le SIG, qui publiait sa demande au «Journal officiel de la République française» le 10 juillet dernier. «L'essentiel pour nous, c'est que l'appellation soit protégée», résume Gabriel Moureaux. Et que 260 producteurs en Franche-Comté et Rhône-Alpes puissent continuer à transformer leur lait en Gruyère (3000 tonnes annoncées pour 2010, contre près de 29 000 en Suisse).A l'Interprofession du Gruyère (IPG), le directeur Philippe Bardet ne peut que saluer cette nouvelle avancée du dossier. Car pour la filière helvétique aussi, la protection de la dénomination au niveau communautaire est essentielle. Et plus vite elle sera acquise, mieux ce sera.
Patrick PUGIN