En plus des étudiants, de nombreux Allemands et Italiens frappent à la porte de laboratoires suisses testant des médicaments, souvent des génériques. Pour les appâter, on leur offre un défraiement qui est loin d'être négligeable quand on est chômeur, sans formation ou une ménagère peinant à boucler ses fins de mois. Si en plus l'hôtel, voire un voyage, est offert, ces tests sur soi-même prennent vite des airs de vacances pour pas cher. On n'y risque pas sa vie mais la transparence fait encore défaut.
Rester couché pendant un ou plusieurs jours, dans le calme aseptisé d'une petite clinique, être dorloté par un personnel soignant attentif. Au Tessin, c'est ce qu'apprécient chaque année un millier de volontaires en bonne santé. Ils sont là pour tester les effets des médicaments qu'on leur administre. Il s'agit souvent de produits génériques pour lesquels les fabricants doivent satisfaire aux mêmes exigences que pour les produits originaux, donc s'acquitter des mêmes protocoles cliniques.En échange de leur service, ces «cobayes» perçoivent un défraiement de 250 euros par jour. Il ne s'agit en aucun cas d'une rétribution, la loi l'interdit. «C'est ma façon de prendre des vacances et de me détendre sans dépenser un sou», explique en plaisantant, Mattia*, 32 ans, travailleur intérimaire sans formation. Au-delà de l'aspect prétendument reposant, ces «vacances» lui permettent de gagner près de 1000 à 1200 euros en 4-5 jours, de s'offrir quelques extras auxquels il n'aurait pas accès autrement.
Un bref répit financier
Près de 750 Italiens choisissent, comme Mattia, de séjourner chaque année dans l'un des laboratoires tessinois pour arrondir leurs revenus. Au fil des ans, les étudiants ont été rejoints par des travailleurs précaires, des chômeurs et des ménagères qui peinent à boucler les fins de mois. Ils constituent près des 4?5 des volontaires sains qui choisissent de prêter leur corps à la médecine. Ou plutôt à l'industrie pharmaceutique.Pour le pharmacien cantonal Giovan Maria Zanini, cet afflux venu de l'Italie voisine n'a rien d'anormal: «Avec un bassin de plus de 8 millions d'habitants, il est évident que le secteur attire davantage de ressortissants italiens que d'habitants de notre canton. C'est purement statistique.» Il n'empêche, avec un taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans flirtant avec les 30% dans la Péninsule, que jouer au «cobaye» quelques jours par an peut au moins offrir un répit financier, à défaut d'offrir un débouché professionnel.
Tourisme de laboratoire
Et ce phénomène ne se cantonne pas qu'au Tessin. Ce «tourisme de laboratoire», est aussi observé dans le canton de Bâle-Campagne, à Allschwill, où se trouve la clinique Swiss Pharma Contract. «Quelque 80% des patients sains proviennent d'Allemagne», explique une collaboratrice de l'entreprise. «Ce ne sont que rarement des étudiants. Les montants qui leurs sont versés pour compenser leurs frais peuvent varier selon la nature des tests qu'ils subissent et la durée des séjours», ajoute-t-elle. Concrètement, à Allschwill, les «défraiements» peuvent aller de 1350 francs pour cinq traitements ambulatoires de quelques heures, à 6500 francs, voire davantage pour une prochaine étude. Celle-ci exige que les volontaires effectuent deux séjours stationnaires de 17 jours et 17 nuits, ainsi que trois examens ambulatoires. L'aptitude des candidats est déterminée par un test de santé, après un examen médical préliminaire.
L'argent, raison unique
En Romandie, que ce soit au CHUV à Lausanne ou aux HUG à Genève, ce «tourisme de laboratoire» est inexistant ou presque. Le plus souvent, ce sont des étudiants et des patients - en fonction des besoins et la phase d'examen clinique auquel est soumis un traitement - qui se prêtent à ces investigations. A Genève, où près de 300 protocoles sont lancés en moyenne par an, les sujets sont généralement des patients malades et, très rarement, des volontaires sains. L'interdiction d'une rémunération pour ce genre de service a été compensée par la solution des défraiements. Sa pratique varie d'un canton à l'autre. Le médecin cantonal Giovan Maria Zanini admet que l'argent «est la seule raison qui motive les volontaires. Personne ne sacrifierait ses vacances et ses loisirs par altruisme et au seul motif de faire avancer la médecine». Plus alléchant, en janvier dernier, la société pharmaceutique américaine Intercell avait offert des vacances à ses «cobayes». Billet d'avion et hôtel au Mexique ou au Guatemala étaient offerts en échange de l'administration d'un nouveau vaccin sous forme de patch contre la tourista (diarrhée).
Une hantise des médias
Il faut signaler que les laboratoires tessinois travaillent presque exclusivement pour le compte de pharmas italiennes, dont les moyens en matière d'investigation clinique ne sont pas suffisants pour satisfaire aux exigences légales de sécurité. Ces mêmes laboratoires sont devenus très chatouilleux avec les médias. «Malheureusement, suite à des malentendus avec la presse écrite et télévisée, qui mettent en avant des aspects folkloriques plutôt que scientifiques, nous sommes devenus prudents», indique Riccardo Assandri, du laboratoire CROss alliance, à Mendrisio. L'entreprise, active au sud des Alpes depuis 1996, voit en effet sa raison sociale apparaître à intervalles réguliers dans la presse italienne. Celle-ci s'intéresse régulièrement aux 1500 compatriotes qui quittent chaque année la Péninsule pour les laboratoires situés aux frontières avec la Suisse, la France et l'Autriche, pour jouer, selon ses termes, les «forçats des médicaments» dans le «business des cobayes humains». Le nombre de volontaires se rendant en Suisse est totalement ignoré. Ce que regrettent de nombreux éthiciens. Dans son message sur la loi fédérale relative à la recherche sur l'être humain (21.10.2009), le Conseil fédéral indiquait la possibilité d'un registre: «De manière générale, il s'agit de renforcer la transparence de la recherche sur les maladies humaines, ainsi que sur la structure et le fonctionnement du corps humain. Et, en particulier, d'empêcher les doublons.»
Nicole DELLA PIETRA