Minorité dont on parle peu, les roux se retrouvent médiatisés par le film «Notre jour viendra» de Romain Gavras, qui réactualise des préjugés sur leur chevelure de feu. Les roux romands racontent les joies et les tourments de leur pigmentation.
Le rouquin est-il un symbole de l’oppression? C’est ce qu’a l’air de penser Romain Gavras. Le réalisateur français a réalisé un clip pour la chanteuse anglaise M.I.A. dans lequel des jeunes garçons roux sont victimes de rafles policières musclées, puis emmenés en fourgons grillagés dans un lieu désertique type Punishment Park, où ils sont tirés comme des lapins par les forces de l’ordre en tenue anti-guérilla.
Le réalisateur provocateur enfonce le clou cet automne avec son film «Notre jour viendra» qui raconte l’histoire de deux roux, forcés de fuir la France où ils subissent des discriminations vers la terre promise qu’est l’Irlande.
A cette parabole à la Houellebecq correspond une certaine réalité. De «poil de carotte» à «perruque», les insultes capillaires envers les roux ne sont pas si rares dans les préaux d’école. Surtout quand cette caractéristique chromatique s’associe à d’autres «différences»: «J’étais le fils du pharmacien de mon village, le plus intelligent de la classe et en plus j’étais roux, donc j’ai récolté tous les quolibets imaginables», témoigne l’architecte lausannois Nicolas André, 25 ans.
Le chanteur Fauve qui a fait de sa couleur de cheveux son nom de scène reconnaît aussi une scolarité marquée par les moqueries: «Evidemment le moindre détail physique qui sort de la norme prête à rire à l’école. En plus, quand on a des taches de rousseur, on ne bronze pas. C’était pénible à vivre enfant. J’ai mis du temps à trouver ma couleur de cheveux jolie.»
C’est sur Facebook, cette cour de récréation planétaire, que les vannes anti-rousses ont connu leur apex fin 2008. Des groupes comme «Un roux ne vieillit pas, il rouille» ou «Pourquoi les roux existent? Parce que Dieu a le sens de l’humour» ont rameuté des milliers de fans prêts à en rajouter. Jusqu’à la blague de trop. Celle d’un adolescent canadien qui a appelé sur le réseau social à faire du 20 novembre 2008 la «Journée nationale des coups de pied aux roux».
Le lendemain des membres se vantaient d’avoir passé à tabac des rouquins. L’auteur du cruel canular s’est fait interpellé par la police qui estimait qu’il s’agissait «d’un appel à la haine». Son initiative s’inspirait d’un épisode de la série bête et méchante, «South Park», dans laquelle le personnage Cartman entrait en guerre contre les roux. Le groupe a désormais disparu et l’ado s’est confondu en excuses expliquant qu’il ne s’agissait que d’une farce. Néanmoins le terreau anti-roux semble toujours prêt à s’enflammer comme une tourbière russe au moindre nouveau post sur un réseau social.
Dans son livre «Réflexion sur la question rousse», l’historienne de la littérature Valérie André relève des traces du préjugé dès le IVe, époque à laquelle «on mettait en garde le peuple contre les roux». Symbole de feu, de flammes, et par extension d’enfer, les roux ont été soit vénérés, soit stigmatisés au fil de l’histoire. Les femmes surtout, dont la couleur de cheveux était associée à l’érotisme. Les croyances populaires avaient tendance à les rattacher aux sorcières et aux prostituées. A l’inverse, la Belle Epoque, période de Sarah Bernhardt durant laquelle on valorisait une peau très pâle et une chevelure flamboyante, s’est révélée faste pour les rousses du grand monde. On jalousait leur chevelure qu’on tentait d’imiter par des teintures au henné notamment.
Mais jusqu’au milieu du siècle, dans certains villages reculés, les roux sont restés assimilés à des phénomènes étranges. «Je suis née dans une vallée valaisanne. Nous étions mon frère et moi les seuls roux de la région. On nous prenait pour des objets de curiosité, témoigne Evelyne Baillod, 83 ans. On m’appelait la rouquine. C’était un mot que je détestais.» Preuve que l’histoire joue en faveur des roux, son petit-fils Loïck Moriggi, roux lui aussi comme la plupart des membres de la famille, ne se rappelle pas avoir connu de vexations notables durant sa scolarité. «En quinze ans, la seule remarque que j’ai entendue c’est que les roux sentent mauvais.»
L’odeur que les croyances populaires rattachent aux roux est un autre préjugé tenace. Pas forcément erroné. «Je ne connais pas d’étude scientifique sur la question, cela reste un territoire inexploré. Mais il est sûr que la peau de roux ne possède pas les mêmes propriétés que celle d’un brun ou d’un noiraud. La mélanine qui colore la peau se divise en deux composants: la phéomélanine et l’eumélanine. Ces deux pigments sont en équilibre chez les bruns ou les noirauds. L’eumélanine est majoritaire chez les noirauds. Alors que la phéomélanine qui donne une teinte plus claire est dominante chez les roux. Cela implique, pour eux, un risque de cancer de la peau accru. Il n’est pas impossible non plus que cela aille de pair avec un métabolisme des glandes sudoripares différent donnant lieu à une odeur très légèrement différente.» C’est en tout cas la conviction de Grenouille, le héros du «Parfum» de Patrick Süskind, qui est obsédé par l’odeur d’une jeune fille rousse qu’il cherche à tout prix à mettre en flacon.
Si les moqueries tombent sur certains roux, d’autres essuient heureusement des compliments. «On m’a dit qu’on aimerait bien avoir ma couleur», assure ainsi Pascal Dessauges de Naz (VD), 45 ans. Et entre roux s’installe une forme de connivence. «Au bureau, entre collègues roux, nous sommes solidaires!» témoigne Fauve. Renaud Hunziker, 17 ans, explique pour sa part qu’il ne s’est jamais fait chambrer par ses camarades de classe: «J’étais toujours le plus grand, alors personne n’osait.» Comme quoi, d’autres critères physiques prévalent parfois sur la rousseur.
Sylvain Menétrey