Une étude américaine vient de le démontrer: notre cerveau est fortement mis à contribution pour compléter les conversations tronquées que nous subissons de plus en plus dans les lieux publics. Les interdira-t-on demain, comme le tabac?
Me voilà rassurée. Je ne suis donc pas seule à subir comme un supplice les conversations téléphoniques tenues dans les lieux publics. Ces formes bien particulières de dialogues tronqués m’importunent bien plus que des conversations, fussent-elles très animées.
Pourquoi cet agacement? Je m’en étonnais jusqu’à la publication d’une étude sur le sujet. Le fait de ne pas entendre les répliques d’un interlocuteur invisible met à contribution les «témoins auditifs» que nous sommes tous quotidiennement. «Entendre la moitié d’une conversation capte beaucoup plus l’attention qu’un dialogue entre deux protagonistes», explique Lauren Emberson de l’Université Cornell, aux Etats-Unis.
Avec une équipe de psychologues, la chercheuse a soumis 41 volontaires à une série de tests portant sur les effets de trois types d’échanges sur l’attention: les monologues, les dialogues et les «halfalogues», ou «mi-logue» en français — un néologisme créé à cette occasion pour définir les conversations téléphoniques.
Curieusement, ce n’est pas le niveau sonore de ce genre d’échanges hybrides qui provoque le désagrément. L’explication est ailleurs. Notre cerveau, confronté à quelque chose d’incomplet, tente à notre insu de reconstituer un tout; de transformer ces pseudos monologues en dialogues.
«Les propos tenus par une personne en train de téléphoner sont imprévisibles et c’est ce côté imprévisible qui est troublant», relèvent les chercheurs. Les personnes essaient de remplir les blancs, leur esprit est aux aguets. «Ce sont des mécanismes cognitifs qui les poussent à écouter une conversation téléphonique et pas du tout une curiosité malsaine», précise Lauren Emberson.
Et dire qu’il m’arrivait de culpabiliser, moi qui ne parviens pas à me concentrer sur autre chose que: les indications données pour un rendez-vous, la liste des courses à faire pour le repas du soir, les clients à visiter à tout prix encore aujourd’hui. Autant de propos inintéressants pour une tierce personne mais qui n’en captent pas moins toute mon attention.
Les étudiants impliqués dans l’étude ont effectué diverses tâches exigeant un sens aigu de l’observation et des réactions rapides, tout en ayant successivement dans leur casque les trois types de conversation. Comparaisons faites, il a été établi que lors de la diffusion des conversations téléphoniques, les performances enregistrées ont été sensiblement moins bonnes que durant celles d’un dialogue ou d’un monologue.
Un résultat qui suscite des questions relatives à la conduite automobile. À l’interdiction de téléphoner au volant, ne faudrait-il pas ajouter une mesure supplémentaire pour les autres occupants du véhicules? Les passagers qui téléphonent ne dérangent-ils pas davantage le conducteur qu’on le suppose?
Le fait de montrer, preuve à l’appui, que les conversations téléphoniques perturbent la concentration et fatiguent le cerveau provoque bien des commentaires dans la presse américaine et sur le web. En comparant cette nouvelle nuisance au tabagisme passif, d’aucuns préconisent de mettre en place des lieux strictement réservés à cet usage, alors que d’autres envisagent son interdiction dans les lieux publics, à l’instar du tabac.
Geneviève Grimm-Gobat