Alors que Vaud, Genève et Fribourg renouvellent leurs autorités locales, les fiches de paie des élus municipaux affichent d'importantes disparités. Des écarts qui ne répondent pas toujours à la logique.
«Comparaison n’est pas raison.» L’adage est sur les lèvres de tous les élus municipaux romands lorsque l’on évoque leur rémunération. Il faut dire qu’une lecture simpliste des chiffres bruts a de quoi surprendre. Avec une rémunération de 267′000 francs brut annuelle à laquelle il convient d’ajouter 10′000 francs de frais de représentation, le syndic de Lausanne Daniel Brélaz (Verts) se révèle le chef de l’exécutif le mieux payé de Suisse romande. Sa ville n’est pourtant pas la plus grande.
Plus étonnant, dans deux villes comparables comme Sion (VS) et Lancy (GE) — un peu moins de 30 000 habitants chacune — la rémunération des deux édiles principaux affiche une différence immense: François Baertschi (Verts/Lancy) touche 77 000 francs à 50% et Marcel Maurer (PLR/Sion) 245 000 à 100%. Ramenée à équivalent plein temps, la disparité salariale annuelle dépasse les 100 000 francs.
C’est que les clés de répartition des salaires varient d’une commune à l’autre. A Sion par exemple, le salaire du président Marcel Maurer est fixé pour être l’équivalent de celui d’un conseiller d’Etat valaisan, soit 245 000 francs brut par an. La rémunération du syndic fribourgeois (FR) Pierre-Alain Clément (PS) correspond au sommet de l’échelle des traitements du personnel communal, plus 13%, soit annuellement 205 263 francs brut.
A Delémont (VS), en revanche, Pierre Kohler (PDC) avoue ne pas savoir comment ont été calculées ses indemnités: «A 80%, je touche 7600 francs brut par mois, sur 13 mois (soit 98 800 brut annuel), explique le maire. Ce qui fait que les chefs de service de la commune gagnent davantage que moi. Cela n’a rien de grave, puisque je ne fais pas mon métier pour l’argent. Mais il est quand même paradoxal qu’un concierge de la Ville soit rémunéré presque autant que moi!»
Bref, «la situation est extrêmement diverse selon les communes, note le maire de Lancy François Baertschi. Dans notre ville, les trois conseillers administratifs et moi-même ne sommes pas des professionnels de la politique. Nous conservons tous un métier à côté, ce qui n’est pas le cas dans d’autres villes.»
A Lausanne et à Genève, les deux seules villes de Suisse romande qui comptent plus de 100′000 habitants, l’ensemble des magistrats sont des professionnels exerçant leurs fonctions communales à plein temps, et leurs rémunérations sont comparables. «Je sais que je suis tout en haut de l’échelle, reconnaît Daniel Brélaz, le syndic de Lausanne. Mais il ne faut pas être démagogique à ce sujet. Je considère que par rapport à un ouvrier je suis extrêmement bien payé.
En revanche, si l’on compare avec un chef d’entreprise, il y a encore de la marge. Et pourtant nous avons les mêmes responsabilités. Chaque semaine, je consacre 60 à 65 heures à ma commune, auxquelles il convient d’ajouter 20 heures sur le plan national. Rapporté à l’heure, je ne suis donc pas si bien rémunéré que cela.»
Dans les villes de 20′000 à 40′000 habitants, les situations se révèlent moins homogènes. Tous les membres des exécutifs des communes de La Chaux-de-Fonds (NE), Fribourg et Neuchâtel sont des professionnels dont la rémunération brute annuelle oscille autour de 200′000 francs, hors frais de représentation. «Je ne me plains pas de mes émoluments, même si je pourrais gagner davantage dans le privé, dit Laurent Kurth (PS), le président de La Chaux-de-Fonds. Ce qui est important pour moi est de maintenir un rapport acceptable entre le plus haut et le plus bas salaire de l’administration. Actuellement, ce rapport est de quatre fois, ce qui me semble un chiffre convenable.»
«Honnêtement, nous sommes très bien payés, estime pour sa part son homologue neuchâtelois Daniel Perdrizat (PopEco-Sol), qui estime travailler 60 à 80 heures par semaine. Si l’on compare aux chefs d’entreprise, c’est certain que cela fait assez peu, mais la vérité c’est que les CEO sont trop payés.»
Sion (VS) et Yverdon-les-Bains (VD) ont choisi un système mixte où seul le président du Conseil municipal travaille à 100% (avec des salaires respectifs de 245′000 francs et 193′000 francs), tandis que les autres membres demeurent des miliciens. Les autres villes sont dirigées, syndic compris, par des miliciens. Une situation vécue différemment selon les villes.
«Dans le canton de Genève, nous avons largement moins de prérogatives, de pouvoir et de responsabilités que les édiles des autres communes romandes, explique le maire de Lancy François Baertschi. Il est donc normal que notre temps de travail soit moins important. Nous conservons tous un autre métier à côté puisque, à la commune, nous sommes assis sur un siège éjectable. A chaque élection il faut prévoir l’éventualité de devoir retourner pleinement à la vie professionnelle.»
Un avis loin d’être partagé par Thierry Apothéloz (PS): «Nous sommes rémunérés à 50% alors que dans les faits notre temps de travail s’élève à 80-90%, regrette le maire de Vernier (GE). Ce n’est pas une situation confortable. Les enjeux que l’on rencontre à Vernier méritent désormais que l’on se pose la question d’avoir des élus à plein temps, professionnels. Les opposants diront qu’il faut garder un pied dans le monde du travail pour pouvoir se réinsérer, mais cet argument est caduc. La complexité des dossiers ne permet plus de tenir les postes de l’exécutif en dilettante.»
Une grogne partagée par Daniel Rossellat (hors parti, soutenu par les Verts), le syndic de Nyon, dont les indemnités s’élèvent à 121′422 francs à 60%. «A Nyon, le taux d’activité des membres de la Municipalité est actuellement très inférieur au temps effectivement consacré à la gestion des affaires publiques. Depuis l’adhésion de la ville au Conseil régional, avec siège de droit dans les instances du Conseil régional, le nombre d’heures passées en séances a explosé. Une réflexion est en cours au sein de la Municipalité pour augmenter le taux d’activité. Une proposition dans ce sens pourrait être présentée au Conseil communal avant la fin de la législature.»
«C’est vrai que nous sommes là pour servir et non pour se servir, poursuit Pierre Salvi (PS), le syndic de Montreux, dont la rémunération annuelle atteint 147′638 francs pour un poste à 60%. Mais compte tenu de ce que représente réellement notre fonction, je pense que cela vaut davantage. Nous avons un statut précaire et de nombreuses responsabilités. Ne pas les reconnaître risque de décourager des vocations.» Afin de régler ce problème, la Municipalité de Morges a mis en place un système innovant: dès la prochaine législature, les élus disposeront de quatre postes équivalents temps plein à se répartir entre sept élus. La configuration de base correspondra à un poste de syndic à 100%, accompagné de six municipaux à 50%. Mais, en fonction de la charge de travail, les pourcentages entre élus pourront être modifiés. «Ce changement était nécessaire, souligne Nuria Gorrite, la syndique de Morges rémunérée 88′128 francs par an à 60%. Aujourd’hui, la fonction a complètement changé. Elle demande plus de temps et d’implication. Cette modification n’était pas une revendication salariale, mais une volonté que soit reconnu notre temps de travail.»
Il faut cependant noter que les salaires bruts annuels ne reflètent pas pleinement la situation économique des magistrats qui bénéficient d’avantages importants. Ainsi, il existe de généreuses singularités dans le système des retraites de certaines communes: à Genève, Lausanne ou Neuchâtel par exemple, les élus touchent l’intégralité de leur pension après douze ans de mandat, et en reçoivent déjà une partie après quatre ans. En revanche, à Vernier (GE), les retraites ne sont versées aux anciens élus qu’au moment de ladite retraite.
Par ailleurs, certains membres des exécutifs communaux arrondissent leurs fins de mois en touchant des jetons de présence et tantièmes lorsqu’ils siègent dans un conseil d’administration ou un comité directeur. Des petits à-côtés qui atteignent facilement quelques dizaines de milliers de francs par an. A Sion, tous ces jetons sont reversés dans les caisses de la commune. A Yverdon-les-Bains, en revanche, certains élus décident de les encaisser, quand d’autres les versent à la Municipalité. «Le système des jetons est totalement opaque, dénonce Nuria Gorrite. En fonction du dicastère, cela peut aller de 3′000 à 20′000 francs par an.» Afin de clarifier la situation, la commune de Morges a décidé de mettre en place un nouveau système: dès la prochaine législature, l’ensemble des jetons seront reversés à la commune. En contrepartie, les élus toucheront une indemnité en fonction du nombre de sièges ou de postes qu’ils occupent à l’extérieur (politiques, associations, conseils d’administration).
A noter que les Municipalités offrent aussi à leur exécutif des frais de représentation très variables d’une commune à l’autre, allant de plus de 10′000 francs par an à… rien du tout.
DANIEL BRÉLAZ
Lausanne
267′000 francs (100%)
SANDRINE SALERNO
Genève
245′000 francs (100%)
MARCEL MAURER
Sion
245′000 francs (100%)
PIERRE-ALAIN CLEMENT
Fribourg
205′263 francs (100%)
DANIEL PERDRIZAT
Neuchâtel
197′410 francs (100%)
PIERRE KOHLER
Delémont
98′800 francs (80%)
Bertrand Beauté