Si les médias se moquent des "Sherlock Holmes du Web" (ou "Sherlock 2.0") que nous sommes, c’est peut-être pour ne pas se remettre eux-mêmes en question (ce qu’ils répugnent à faire), car, comme nous l’avons vu, l’une des causes majeures du doute, c’est la circulation rapide de quantité d’informations (souvent contradictoires) que les médias ne vérifient jamais. L’implication de l’ISI dans le 11-Septembre, affirmée de manière tout à fait catégorique par certains médias de renom dans le monde, dont France Inter, mais ignorée totalement par la grande majorité des autres, en est un exemple parfait – qui laisse les journalistes citoyens dans l’embarras, sans en faire des "conspirationnistes".
Car, contrairement à ce que Taverne proclamait dans un très bon article publié le 5 mai sur AgoraVox et à ce que certains pseudo journalistes voudraient lui faire croire, il n’est pas un "complotiste", seulement un citoyen qui daigne encore raisonner, refuse l’infantilisation devenue coutumière dans les médias, et même la psychiatrisation du débat avec cette utilisation de plus en plus systématique du néologisme "conspirationniste" (qui bien souvent conduit les gens au silence). Il le dit d’ailleurs lui-même très bien en conclusion de son article : "Je suis un citoyen pensant qui réclame simplement la transparence et la vérité. Je veux qu’on l’on s’adresse à mon intelligence et à ma bonne volonté. Pas à ma foi de crédule." Les journalistes-inqusiteurs demandent aux petits enfants que nous sommes à leurs yeux de croire, en effet, d’avoir la foi – foi dans les gouvernements, le messie Obama, et eux-mêmes bien sûr. Mais leurs injonctions n’y changeront rien : nous n’avons plus la foi, et n’avons pas vocation à la retrouver.
Internet change la donne, il aiguise l’esprit critique, plonge les médias traditionnels dans un grand bain d’acide, sous le regard de milliers de citoyens en éveil (plus ou moins capables, plus ou moins raisonnables), qui aspirent à prendre en commun le contrôle de l’information qui modèlera de manière décisive leur conscience. Sans sombrer dans le doute hyperbolique et fou, chaque journaliste citoyen reçoit désormais, comme il se doit, toute information avec méfiance et, par le travail collaboratif – dans lequel, tôt ou tard, les médias devront rentrer (sous peine d’être disqualifiés) – tente d’y voir plus clair. L’ère médiatique que nous quittons était celle de la croyance et de la simplicité (trompeuse), celle qui s’est ouverte avec le Web 2.0 est celle du raisonnement collectif et d’une incertitude certes accrue, mais consciente d’elle-même, et qui ouvre la voie, on peut l’espérer, à une démocratie adulte.
Nous renouons ici avec de grands idéaux de la période révolutionnaire. Ainsi, le Cercle social, un club autour duquel gravitent en 1790-1791 des figures comme Brissot, Condorcet ou Lanthenas, se propose d’être l’agent d’une "vigilance inquiète et journalière". Dans un de ses premiers manifestes, le Cercle social écrit : "Le pouvoir de surveillance et d’opinion (quatrième pouvoir censorial, dont on ne parle point) en ce qu’il appartient également à tous les individus, en ce que tous les individus peuvent l’exercer eux-mêmes, sans représentation, et sans danger pour le corps politique, constitue essentiellement la souveraineté nationale". Pierre Rosanvallon, dans La contre-démocratie, écrit à ce titre : "Veiller, être en état d’alerte, être sur ses gardes sont des attributs essentiels de la citoyenneté" (p. 39). Et le philosophe Alain, dans ses Propos sur les pouvoirs, ne proposait-il pas cet idéal d’un citoyen méfiant ? "Je voudrais que le citoyen restât inflexible de son côté, inflexible d’esprit, armé de défiance, et toujours se tenant dans le doute quant aux projets et aux raisons du chef" (Alain, Propos sur les pouvoirs, Paris, Gallimard, "Folio", 1985, p. 161). Alain eut-il été traité de "conspirationniste" aujourd’hui ?
Les médias, relais aveugles de la propagande
Nos médias sont incorrigibles, ils n’apprennent pas de leurs erreurs passées. Trompés régulièrement par les gouvernements, ils continuent sans moufter de relayer leur propagande… avant, au bout de quelques années, de faire parfois leur mea culpa. Chacun a en mémoire la campagne inouïe de propagande au sujet des armes de destruction massives irakiennes, dont quasi tous les médias se sont faits les complices, avant de reconnaître leur aveuglement.
On se souvient que Tony Blair avait accusé de "conspirationnisme" tous ceux qui prétendaient que la guerre en Irak avait le moindre rapport avec la volonté de tirer profit du pétrole de ce pays ; les médias se rangeaient majoritairement derrière le Premier ministre britannique… jusqu’à ce que, très récemment, ne sortent les preuves irréfutables qui conduisirent certains médias à réajuster leur discours. Ainsi, Slate se faisait-il, le 19 avril 2011, le relai des révélations du quotidien britannique The Independent :
"Une « guerre pour du pétrole », pour les deuxièmes plus grosses réserves d’or noir au monde : cette image à laquelle est associée l’invasion alliée en Irak en 2003 se révèle partiellement confirmée par le quotidien britannique The Independent, qui dévoile des documents gouvernementaux selon lesquels Londres a discuté les sujets énergétiques avec les majors du secteur avant l’opération. Des pièces obtenues grâce à une demande faite au nom du Freedom of Information Act par l’activiste Greg Muttitt. [...] The Independent rappelle que Shell avait décrit en 2003 des informations faisant état de discussions avec le gouvernement de « hautement erronées », que BP avait démenti tout « intérêt stratégique » en Irak et que Tony Blair avait estimé que la « théorie du complot pétrolier » était « la plus absurde qui soit ». Le quotidien évalue aujourd’hui à plus de 400 millions de livres sterling (450 millions d’euros) le profit annuel réalisé dans le champ pétrolier de Rumaila par BP et le chinois CNPC, qui y ont une entreprise commune."
L’histoire de ces manipulations, complaisamment relayées par les médias, serait trop longue à faire ici, et nous renvoyons à l’excellent article d’Ignacio Ramonet "Mensonges d’Etat", publié en juillet 2003 dans Le Monde diplomatique (j’en recommande fortement la lecture). S’y trouve évoquée l’officine secrète au sein du Pentagone, le Bureau des plans spéciaux (Office of Special Plans, OSP), qui joua un rôle déterminant dans la "gigantesque manipulation" précédant la guerre en Irak. Ramonet insiste bien sur la responsabilité écrasante des médias dans la réussite de cette opération. L’ancien directeur du Monde Diplo met bien en évidence que la manipulation de l’opinion publique fait partie intégrante de la politique américaine :
Depuis la victoire controversée de M. Bush à l’élection présidentielle de novembre 2000, la manipulation de l’opinion publique est devenue une préoccupation centrale de la nouvelle administration. Après les odieux attentats du 11 septembre 2001, cela s’est transformé en véritable obsession. M. Michael K. Deaver, ami de M. Rumsfeld et spécialiste de la psy-war, la « guerre psychologique », résume ainsi le nouvel objectif : « La stratégie militaire doit désormais être pensée en fonction de la couverture télévisuelle [car] si l’opinion publique est avec vous, rien ne peut vous résister ; sans elle, le pouvoir est impuissant. »
Dès le début de la guerre contre l’Afghanistan, en coordination avec le gouvernement britannique, des centres d’information sur la coalition furent donc créés à Islamabad, Londres et Washington. Authentiques officines de propagande, elles ont été imaginées par Karen Hugues, conseillère médias de M. Bush, et surtout par Alistair Campbell, le très puissant gourou de M. Blair pour tout ce qui concerne l’image politique. Un porte-parole de la Maison Blanche expliquait ainsi leur fonction : « Les chaînes en continu diffusent des informations 24 heures sur 24 ; eh bien, ces centres leur fourniront des informations 24 heures par jour, tous les jours… »
Le 20 février 2002, le New York Times dévoilait le plus pharamineux projet de manipulation des esprits. Pour conduire la « guerre de l’information », le Pentagone, obéissant à des consignes de M. Rumsfeld et du sous-secrétaire d’Etat à la défense, M. Douglas Feith, avait créé secrètement et placé sous la direction d’un général de l’armée de l’air, Simon Worden, un ténébreux Office de l’influence stratégique (OIS), avec pour mission de diffuser de fausses informations servant la cause des Etats-Unis. L’OIS était autorisé à pratiquer la désinformation, en particulier à l’égard des médias étrangers. Le quotidien new-yorkais précisait que l’OIS avait passé un contrat de 100 000 dollars par mois avec un cabinet de communication, Rendon Group, déjà employé en 1990 dans la préparation de la guerre du Golfe et qui avait mis au point la fausse déclaration de l’« infirmière » koweïtienne affirmant avoir vu les soldats irakiens piller la maternité de l’hôpital de Koweït et « arracher les nourrissons des couveuses et les tuer sans pitié en les jetant par terre ». Ce témoignage avait été décisif pour convaincre les membres du Congrès de voter en faveur de la guerre…
Officiellement l'OIS a été dissous après les révélations de la presse.
A l’heure qu’il est, aucune information digne de ce nom, c’est-à-dire vérifiée, n’a pu être apportée qui prouverait que Ben Laden a bel et bien été tué le 1er mai 2011 par les Navy Seals. Et, à défaut d’information, on offre du spectacle, qui vient recouvrir l’absence d’information. Régis Soubrouillard déplore "cette tendance à produire de la communication (mort annoncée de la femme de Ben Laden, photo de Ben Laden, disparition du cadavre, superficie et valeur de sa maison, interview des voisins, etc. ), du spectacle avant d’avoir accès à de « véritables » informations, vérifiées, recoupées, validées. Qui seront elles aussi d’ailleurs toujours sujettes à caution. Faute d’informer on amuse la galerie". Et le journaliste de Marianne de citer Guy Debord dans La société du spectacle : « Le secret généralisé se tient derrière le spectacle, comme le complément décisif de ce qu’il montre. Le gouvernement du spectacle, qui à présent détient tous les moyens de falsifier l’ensemble de la production aussi bien que de la perception, est maître absolu des souvenirs ».
Pour rappel, voici ce que relatait Ron Suskind, ancien éditorialiste au Wall Street Journal et auteur de plusieurs enquêtes sur la communication de la Maison Blanche, d’une conversation qu’il avait eue en 2002 avec un responsable politique américain de haut niveau, probablement Karl Rove :
« Il m’a dit que les gens comme moi faisaient partie de ces types “appartenant à ce que nous appelons la communauté réalité” [the reality-based community] : “Vous croyez que les solutions émergent de votre judicieuse analyse de la réalité observable.” J’ai acquiescé et murmuré quelque chose sur les principes des Lumières et l’empirisme. Il me coupa : “Ce n’est plus de cette manière que le monde marche réellement. Nous sommes un empire maintenant, poursuivit-il, et lorsque nous agissons, nous créons notre propre réalité. Et pendant que vous étudiez cette réalité, judicieusement, comme vous le souhaitez, nous agissons à nouveau et nous créons d’autres réalités nouvelles, que vous pouvez étudier également, et c’est ainsi que les choses se passent. Nous sommes les acteurs de l’histoire. (…) Et vous, vous tous, il ne vous reste qu’à étudier ce que nous faisons”. »
Christian Salmon, auteur de Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, commente ces propos sidérants : "Ils affichent une nouvelle conception des rapports entre la politique et la réalité. Les dirigeants de la première puissance mondiale se détournent non seulement de la realpolitik, mais aussi du simple réalisme, pour devenir créateurs de leur propre réalité, maîtres des apparences, revendiquant ce qu’on pourrait appeler une realpolitik de la fiction."
La dernière réécriture de l’histoire sera la bonne…
Ne tirant pas les leçons du passé, et sans la moindre information authentifiée, les médias du monde entier se sont pourtant amusés ces derniers jours à produire des reconstitutions de l’assaut contre Ben Laden en images de synthèse, en bons petits soldats de la propagande qu’ils ont toujours été :
Comme différentes versions de l’assaut ont été données, on trouve logiquement différentes versions de ces petits films animés : certains montrent Oussama Ben Laden tirant sur les soldats américains avant de se faire refroidir, d’autres le montrent planqué derrière sa femme, qui se fait trucider à cause de lui… Les versions de la presse les plus actualisées, le décrivant désarmé, n’ont bizarrement pas donné lieu à des jeux vidéos… La toute dernière, émanant de sa fille de 12 ans, ventriloquée par un agent des services de sécurité pakistanais, fait même un peu désordre, puisqu’elle affirme que Ben Laden aurait été capturé vivant, fait prisonnier, avant d’être liquidé froidement. Pire : "Un responsable pakistanais a rejeté la version américaine décrivant un combat sanglant : « Pas une seule balle n’a été tirée de la résidence en direction des forces américaines. Leur hélicoptère a rencontré une panne technique, s’est écrasé et l’appareil a été laissé sur place ». [...] L’armée américaine a reconnu ne pas avoir trouvé d’armes dans la résidence". Cette dernière version (avant la prochaine) est surréaliste : elle indique que les soldats américains auraient commis un massacre, face à des hommes sans défense. Il est vrai que sur les seules photographies du carnage rendues publiques par Reuters, on n’aperçoit qu’un pistolet à eau orange et vert…
Une telle cacophonie dans les versions de l’assaut est peu compréhensible si l’on se souvient que le président des Etats-Unis était censé le regarder en direct, et que les combattants au sol étaient censés filmer leurs actions avec des caméras fixées sur leurs casques ; mais cette version initiale est (on pouvait s’y attendre) en train de changer : le directeur de la CIA Leon Panetta a en effet révélé, le 6 mai, que les caméras qui filmaient toute la scène ont été coupées durant les 25 minutes du raid à l’intérieur de la maison de Ben Laden. C’est vraiment pas de bol…
Le Monde prend acte des variations déroutantes dans le discours des autorités américaines…
Lundi, version 1 : Ben Laden vivait dans une luxueuse villa évaluée à 1 million de dollars. Il aurait été tué lors d’un échange de tirs nourris, et il aurait utilisé une femme, la sienne, comme bouclier humain, qui aurait également été tuée. Mardi, version 2 : Ben Laden n’était pas armé, et n’a pas utilisé sa femme comme bouclier : elle s’est jetée au devant des assaillants. Elle n’est pas morte mais blessée à la jambe. Mercredi, version 3 : il n’y a pas eu d’échange de tirs. Seul un des messagers de Ben Laden, qui vivait dans la villa, a ouvert le feu dans les premières minutes de l’attaque et a été rapidement abattu. Il est le seul résident à avoir tiré sur les commandos.
… mais c’est pour mieux stigmatiser ces fameux "conspirationnistes", autrement dit, nous tous, dans la mesure où nous n’avons n’a pas encore complètement renoncé à utiliser notre cerveau : "la mémoire collective oublie, la plupart du temps, les cafouillages initiaux pour ne retenir que l’ultime version officielle. Sauf bien sûr chez les adeptes des théories du complot". Bel éloge de l’oubli collectif, qu’Internet rend heureusement obsolète… Pour Le Monde, les versions successives d’un événement relèvent nécessairement du cafouillage – naïveté confondante – et la version ultime donnée par les autorités est toujours la bonne ; il n’y a donc qu’à attendre sagement (sans enquêter), et la lumière céleste finira par descendre sur terre, par la grâce des storytellers de la Maison Blanche. Amen.
Pourtant, rien n’est moins sûr. Ainsi, la version officielle – qui ne varie pas pour le moment et que tous les médias répercutent – concernant la façon dont les Américains seraient remontés jusqu’à Ben Laden, nous parle d’un "messager" du chef d’Al Qaïda qui aurait été repéré par les Américains, suite aux révélations d’un détenu de Guantanamo (la prison et ses interrogatoires musclés se trouvant de la sorte justifiés). Or, pas plus tard que le 3 mai, sur le plateau de C dans l’air, trois spécialistes, Alexandre Adler, Gérard Chaliand et Frédéric Pons, affirment que, de toute évidence, cette version relève de la "légende", c’est-à-dire qu’il s’agirait d’un mensonge, certes pas très éloigné de la vérité, mais qui permettrait de cacher une réalité qu’on ne souhaite pas dévoiler ; en l’occurrence, d’après nos trois observateurs, que ce sont les Pakistanais qui auraient accepté de livrer Ben Laden aux Américains, en échange de garanties concernant l’avenir de l’Afghanistan. Si Le Monde nous incite à croire la dernière parole officielle, d’autres préfèrent tout de même nous mettre en garde.
L’information manquante
Depuis l’annonce de la mort d’Oussama Ben Laden le 2 mai, je me pose une question, et une seule en vérité, qu’aucun média ne semble se poser. Elle est pourtant évidente, et pourrait bien briser la "légende" qu’on est en train de nous concocter. Comment diable Ben Laden a-t-il pu survivre durant presque dix ans dans la clandestinité en devant, chaque semaine, subir plusieurs dialyses ? Cherchez bien ce qu’en disent les médias : rien, nada, que dalle. 20 Minutes consacre bien un article à la manière dont Ben Laden vivait dans sa résidence d’Abbottabad ; mais si l’on nous parle bien de ses shampoings, de ses sodas américains ou de ses ordures ménagères, pas un mot sur un quelconque appareil de dialyse retrouvé dans l’enceinte de sa vaste demeure.
Seul le journaliste Richard Labévière a évoqué ce problème, mais sans aller au bout de la réflexion qu’il doit susciter :
Labévière nous apprend que Ben Laden n’avait plus qu’un rein et était sous dialyse depuis 1985. Ses problèmes de santé, notamment rénaux, sont connus depuis longtemps : alors qu’en janvier 2002, le président pakistanais Pervez Musharraf avait annoncé la mort probable du chef d’Al Qaïda, un membre de l’administration Bush avait renchéri en confiant qu’il avait besoin d’une dialyse tous les trois jours (même si d’autres officiels américains ne voyaient dans ces problèmes rénaux qu’une "rumeur récurrente"). Le 28 janvier 2002, CBS avait rapporté que, le 10 septembre 2001, Ben Laden se faisait soigner dans un hôpital militaire à Rawalpindi pour une dialyse des reins, escorté par l’armée pakistanaise. Le 2 juillet 2001, un quotidien indien affirmait que "Ben Laden, qui souffre de déficience rénale, a régulièrement été placé sous dialyse dans un hôpital militaire de Peshawar alors que l’Inter-Services-Intelligence (ISI) en avait connaissance et l’approuvait, voire avec l’accord [du président pakistanais] Musharraf lui-même". La lettre d’information Jane’s Intelligence Digest du 20 septembre 2001 allait dans le même sens : "Les autorités pakistanaises ont apporté des soins médicaux au souffrant Ben Laden, notamment des dialyses rénales, dans un hôpital militaire de Peshawar." Et l’on se souvient du fameux séjour de Ben Laden à l’hôpital américain de Dubaï, du 4 au 14 juillet 2001, dans le département d’urologie du Dr Terry Callaway, spécialiste des calculs rénaux, où il avait reçu la visite, le 12 juillet, du chef d’antenne locale de la CIA, Larry Mitchell (Le Figaro, RFI).
"Réfléchissez-y un peu, nous demande Paul Craig Roberts, sous-secrétaire au Trésor dans l’administration Reagan. Quelles sont les chances qu’une personne souffrant d’une maladie des reins demandant une dialyse quotidienne, étant de plus affligée de diabète et d’une basse tension artérielle, puisse survivre dans des cachettes montagneuses pendant une décennie ?" Et si Ben Laden a bel et bien vécu à Abbottabad durant cinq ans jusqu’au 1er mai 2011, comment a-t-il bien pu suivre des soins aussi astreignants ? Le site Doctissimo nous éclaire quelque peu sur le caractère contraignant d’une dialyse :
On distingue deux grands types de dialyse.
L’hémodialyse ou filtration externe
Si l’hémodialyse est choisie, le patient doit se rendre trois fois par semaine dans un établissement de soins public ou privé (le plus souvent), ou dans une unité de dialyse médicalisée, ou encore une unité d’autodialyse ou d’autodialyse assistée (pour des malades plus autonomes et formés à la technique). Plus rarement certains patients suivront leur traitement à son domicile. Cette technique impose un "accès vasculaire permanent" ou fistule artéro-veineuse, généralement au niveau du bras. Elle est créée chirurgicalement en connectant une artère et une veine du bras. [...]
La dialyse péritonéale
Contrairement à l’hémodialyse, la dialyse péritonéale est pratiquée le plus souvent par le patient lui-même à son domicile. Elle ne nécessite pas d’appareillage très sophistiqué mais un apprentissage cependant rigoureux. Elle utilise les capacités naturelles de filtration du péritoine (une membrane qui enveloppe l’intérieur de la cavité abdominale et le tube digestif). Une intervention chirurgicale est nécessaire afin de mettre en place un cathéter en plastique souple dans l’abdomen. Lors de la dialyse, c’est via ce cathéter que le liquide de dialyse (ou solution fraîche) est injecté dans la cavité péritonéale. C’est par là ensuite que le liquide chargé de déchets (ou dialysat) et la surcharge en eau sera drainée hors de l’organisme.
La première technique "nécessite de passer 4 à 6 heures plusieurs fois par semaine dans un centre de dialyse" ; "les malades consacrent près d’un tiers de leur temps d’éveil à leur traitement". Concernant la deuxième technique, elle "nécessite chez soi un emplacement suffisant pour stocker le matériel et les solutés nécessaires." "Certaines personnes supportent mal l’idée d’un tuyau qui sort de leur ventre mais qui est nécessaire pour cette technique", précise encore Doctissimo.
Ben Laden avait-il un tuyau qui sortait de son ventre ? C’eut été facile à vérifier si le corps avait été rendu disponible. Sa maison abritait-elle un appareil de dialyse ? Ce ne semble pas difficile à vérifier, et personne, pour l’heure, n’en a fait état. Il est probable donc que la réponse soit non. D’ailleurs, à en croire le témoignage d’un habitant du quartier de Bilal Town, aucun médecin ne venait jamais dans cette maison : "Aucun médecin ne leur rendait visite, selon lui, alors que l’on disait Ben Laden malade des reins au point d’être sous dialyse", remarque-t-on dans Le Parisien. Autant dire que la probabilité que Ben Laden ait effectué ses soins à domicile apparaît pour le moment faible.
S’est-il donc rendu plusieurs fois par semaine dans un hôpital pour y être traité ? A en croire l’une des femmes de Ben Laden, Amal al-Sadah, qui se serait confiée aux enquêteurs pakistanais, "le chef d’Al-Qaïda n’avait pas quitté sa dernière résidence pakistanaise une seule fois au cours des cinq dernières années". Elle précise même qu’il aurait vécu uniquement dans deux pièces (sur six) de la maison, situées au même étage. Ce témoignage est évidemment sujet à caution, mais si on le prend un instant au sérieux, il faudrait exclure l’idée que Ben Laden soit très régulièrement sorti à l’extérieur pour se faire soigner, alors même que sa survie l’exigeait.
Si l’on récapitule : Ben Laden est sous dialyse depuis 1985, il vit dans la clandestinité depuis dix ans (poursuivi, nous dit-on, par la plus puissante armée du monde) ; depuis cinq ans il vivait enfermé dans deux pièces d’une maison quasiment vide, d’où il ne sortait jamais, et où aucun médecin ne rentrait non plus.
Question : comment s’est-il soigné ? comment a-t-il pratiqué ses deux ou trois dialyses hebdomadaires ?
Quatre possibilités : 1° Ben Laden bénéficiait d’un matériel dans sa maison dont personne n’a encore parlé ; 2° il était très régulièrement escorté par les services secrets pakistanais dans un hôpital pour bénéficier de ses soins éprouvants ; 3° il est mort depuis déjà bien longtemps, comme l’ont prétendu diverses sources : le FBI (qui, en juillet 2002, ne parlait certes que de mort "probable"), le journaliste iranien Amir Taheri dans le New York Times, plus catégorique, qui précisait que la mort remontait à décembre 2001 et que le chef d’Al-Qaïda était enterré dans les montagnes du sud-est de l’Afghanistan, Steve R. Pieczenik, vice-assistant au secrétaire d’Etat américain sous les administrations Nixon, Ford et Carter, qui prétend que Ben Laden est mort du syndrome de Marfan peu après le 11-Septembre à Tora Bora, ou encore un important officiel taliban, qui affirmait, le 26 décembre 2001, que le Saoudien était mort, naturellement et calmement, dix jours auparavant, des suites de graves problèmes pulmonaires (compatibles avec le syndrome de Marfan), ajoutant même qu’il avait assisté à ses funérailles ; 4° Ben Laden n’a jamais été malade des reins et n’a jamais eu besoin de dialyse – tout ceci n’était qu’une rumeur.
Nous attendons avec impatience que cette question fondamentale soit enfin soulevée, une semaine après l’annonce de la mort de "l’homme le plus recherché du monde", et de préférence avant que le flot impétueux de l’information n’emporte définitivement le fantôme Ben Laden dans l’oubli collectif dont certains rêvent… mais qui, à l’heure d’Internet et des citoyens vigilants, n’est plus qu’un vain espoir. Nous n’oublierons rien.
Taiké Eilée