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La Singine, paradis de l’omble, est la rivière alpine la plus précieuse d’Europe selon une étude du WWF.
photo © Michel Roggo
Selon une étude du WWF, la Singine est le cours d’eau d’Europe le plus naturel. Elle devance l’Isar,en Allemagne, dans le classement. Mais ce bijou de la nature serait menacé par un projet de centrale hydraulique.
Elle n’a aucun diamant, mais la Singine est pourtant la plus belle des rivières! C’est ce qu’a révélé une étude du WWFAllemagne publiée hier. Selon ses critères, la Singine est l’une des toutes dernières rivières encore naturelles dans l’Arc alpin. Quinze cours d’eau du nord des Alpes – en Suisse, en Allemagne et en Autriche – ont été auscultés sous toutes les coutures. «Sauvage et intacte, elle se déverse dans une gorge impressionnante: traversant les cantons de Fribourg et de Berne, la Singine fait partie des derniers cours d’eau alpins naturels d’Europe. Les experts la considèrent tout simplement comme un joyau de la nature», explique avec emphase le communiqué de presse du WWF. Selon l’ONG de protection de la nature et de l’environnement, ce petit joyau de Singine serait cependant menacé par la construction d’une centrale hydraulique (lire ci-dessous).
La Singine naît à Zollhaus, dans le canton de Fribourg, de la rencontre de la Singine chaude venant du Lac-Noir (1046 m d’altitude) et de la Singine froide en provenance du Gantrisch (2175 m). Elle serpente ensuite sur 35 kilomètres jusqu’à son embouchure dans la Sarine, à Laupen.
L’étude du WWFAllemagne s’est penchée sur le caractère naturel des cours d’eau. Il ressort que seuls 10% des rivières observées sont encore naturels. A savoir qu’ils ne sont pas exploités par l’homme. La Singine obtient un score de 95% qui la place en tête du classement de l’étude, collectionnant les mentions «bien» ou «très bien», loin devant l’Isar, qui coule entre les Alpes et Munich sur sol allemand et autrichien. Les deux autres rivières suisses examinées, la Reuss et la Thur, obtiennent des notes moyennes.
Des critères sévères
Parmi les critères sélectionnés pour cette étude: le transport des sédiments, la morphologie des flux, la qualité de l’eau, la continuité biologique ou encore la place du cours d’eau dans l’écosystème. La Singine se distingue particulièrement dans le transport des sédiments et les eaux de ruissellement. L’étude relève que le cours d’eau suit un lit des plus naturels: «L'écoulement naturel des sédiments est un préalable pour la protection des espèces et la diversité structurelle et doit absolument être préservé.»
Pour ce qui est des espèces animales et de leur habitat, la Singine obtient également d’excellentes notes. «La gorge constitue une section particulièrement intéressante du point de vue de la conservation de la nature», peut-on lire dans le rapport du WWF. Cette gorge qui s’étend sur une quinzaine de kilomètres fait d’ailleurs le bonheur des amateurs de sports aquatiques tels que le canoë-kayak.
L’étude insiste en outre sur l’importance de la préservation de cet environnement ainsi que sur la fragilité de son équilibre. Une partie de la Singine est d’ailleurs classée comme zone alluviale d’importance nationale. Selon la Confédération, près de 90% des zones alluviales de Suisse ont disparu au cours des dernières décennies. Corrections de cours d'eau, drainage des plaines alluviales, aménagement de barrages et constructions hydroélectriques sont les principaux responsables de leur disparition.
«Il faut la protéger»
«La Singine est un des rares cours d’eau encore relativement naturel. Le bas de la rivière après Zollhaus est fabuleux», explique Marius Achermann, responsable du Bureau de la protection de la nature et du paysage. La section fribourgeoise du WWF, elle, accueille cette étude de ses confrères allemands avec une grande satisfaction. «C’est une nouvelle très positive. Elle confirme que la Singine est une rivière d’une grande qualité et qu’il vaut la peine de la protéger. C’est pratiquement le «meilleur» cours d’eau européen. Espérons que cela incite les autorités à prendre son sort au sérieux», indique Nicole Camponovo, secrétaire régionale du WWFFribourg. Et de préciser que la Singine est le dernier cours d’eau de Suisse à ne pas avoir encore été exploité au plan hydraulique. I
Une menace de centrale plane sur la précieuse rivière
Le WWF Fribourg craint qu’un projet de centrale hydraulique, dont la construction est prévue en amont de Zollhaus, sur un tronçon non protégé de la Singine, ne vienne ruiner son équilibre précaire. «Cette centrale aurait un impact néfaste sur la Singine. Que ce soit sur le transport des sédiments, la migration des poissons ou encore au niveau de la variation du débit de l’eau», indique Nicole Camponovo, secrétaire régionale du WWF. En effet, les Forces motrices bernoises (FMB Energie), via leur société Sol-E Suisse AG – spécialisée dans les énergies renouvelables – veulent construire une petite centrale hydraulique sur la Singine, dans un secteur non protégé. La centrale devisée à 5 millions de francs devrait produire 2 à 3 gigawatts-heure d’électricité, soit de quoi alimenter près de 600 ménages. Une première mouture du projet a été déposée en janvier au Service des ponts et chaussées du canton de Fribourg, qui a rendu un avis plutôt défavorable. «La rentabilité de la centrale prévue et son impact sur le paysage n’étaient pas en adéquation», renseigne Corinne Rebetez, porte-parole du Service des ponts et chaussées (SPC). Une seconde version du projet sera déposée à la fin du mois, indique Antonio Sommavilla, responsable médias de FMB Energie.
«Inacceptable», tempête le WWF. Le Bureau de la protection de la nature et du paysage du canton de Fribourg n’est pas du même avis. Son responsable Marius Achermann relève que le tronçon choisi pour construire la centrale n’est pas une zone protégée: sur deux kilomètres, une quinzaine de barrages d’une hauteur moyenne de deux mètres défigurent déjà passablement le cours d’eau. «En amont de Zollhaus, la Singine n’a pas une grande valeur du point de vue de la protection de l’environnement», explique Marius Achermann. Qui poursuit en relevant qu’une éventuelle revitalisation du cours d’eau à cet endroit ne serait pas réaliste: «Il faudrait notamment dire adieu à la route qui va au Lac- Noir… Je ne suis pas sûr que les Fribourgeois soient prêts à ce sacrifice. Il faut savoir rester crédible. Si la Singine doit être exploitée hydrauliquement, c’est sur ce tronçon et pas ailleurs.»
Olivier Wyser
La Liberté
