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La famille Maillard, propriétaire depuis 1968, souhaite se défaire du château, de sa dépendance et de ses 16000 m2 de terrain. Alain Wicht-A.
L’édifice médiéval est à vendre pour 7,95 millions de francs. L’Etat a là une opportunité unique d’acquérir ce patrimoine, estime un député.
L’offre donnerait presque le vertige: 900 m2 habitables; vingt-six pièces réparties en studios, en grande salle et en appartements – dont un «bel étage» de près de 500 m2 et un triplex; une dépendance de 6,5 pièces; et finalement un terrain de 16000 m2. Le château d’Attalens est à vendre, pour 7,95 millions de francs. Un prix de référence que l’on peut lire sur le site de l’agence immobilière de Rahm, représentante exclusive de Sotheby’s, le réseau mondial de vente de résidences de luxe et autres propriétés exceptionnelles.
Un petit séisme pour les Attalensois, habitués depuis près de quarante ans à côtoyer les mêmes châtelains – la famille de feu le docteur Jean-Pierre Maillard, aujourd’hui constituée en hoirie. «Le château est en effet en vente depuis deux mois», confirme sa veuve, Gabriella Maillard. «Aucun de mes quatre enfants ne peut reprendre cette maison et j’ai moi-même 70 ans:elle est devenue trop grande et trop lourde pour moi», explique-t-elle, en renvoyant les intéressés à son agent immobilier. Peu loquace, ce dernier se contente de confirmer qu’il s’agit là «d’un bien d’exception».
Un avis partagé par le député Claude Chassot (pcs, Villarsel-le-Gibloux), qui verrait bien cette demeure seigneuriale en mains publiques. «Cette propriété privée, bien culturel évident du patrimoine fribourgeois, mérite une réflexion à l’heure où elle pourrait être accessible à tout le monde par le biais d’une intervention de l’Etat», relève-t-il dans une question adressée au Conseil d’Etat. L’élu interroge donc le gouvernement sur ses intentions. Et lui demande, le cas échéant, de soumettre rapidement un projet d’achat au Grand conseil, au début 2012. «Il y a de quoi réfléchir à un concept culturel ou touristique. Mais il ne faut pas attendre. C’est une opportunité qu’on n’aura plus jamais», assure-t-il.
Du côté de la propriétaire, en tout cas, la porte est ouverte. Gabriella Maillard a d’ailleurs communiqué il y a quelques semaines à la commune d’Attalens et à la Préfecture de la Veveyse son intention de vendre. Le Service des bâtiments recevait hier une plaquette de l’agence immobilière. «J’ai déjà reçu plusieurs offres, mais je ne suis pas pressée», confie la châtelaine. Pourrait-elle faire un prix d’ami à la collectivité? «C’est un point sur lequel mon agent me conseillera», esquive-t-elle.
Au-delà de la fiscalité
La nouvelle fait déjà cogiter le syndic d’Attalens, Michel Savoy, qui a porté l’objet à l’ordre du jour du prochain Conseil communal, le 19 décembre. Car l’élu agrarien n’entend pas simplement se féliciter de l’arrivée d’un contribuable fortuné. «Il faut élargir la réflexion. Peut-être que l’on pourrait attirer à Attalens un service ou une prestation, un centre de formation par exemple. Une activité qui pourrait apporter quelque chose au tissu économique de la région ou à la population», hasarde le syndic.
«Le bâtiment est vaste, ses possibilités aussi», poursuit-il. «Et la commune pourrait jouer un rôle de partenaire ou d’intermédiaire, aux côtés d’une fondation ou d’une association intéressée. Je pense qu’il faut se donner quelques semaines pour y réfléchir et faire des propositions», assure le syndic. Qui voit mal la commune investir seule dans l’aventure:«Nous devrions revoir toutes nos priorités.»
Du côté de la Préfecture de la Veveyse, Michel Chevalley avoue n’avoir pas eu le temps de se pencher sur la question:«L’Etat a déjà un château dans le district», sourit son occupant, qui pense de prime abord à l’intérêt fiscal d’Attalens. «Mais cette vente pourrait être un élément déclencheur pour la constitution d’une associations d’amis, ou que sais-je, qui pourraient donner à la Veveyse un espace culturel, d’exposition et de concert. Le nerf de la guerre, ce serait évidemment l’argent», pense le magistrat.
Quant à l’Etat, il reste pour l’heure prudent. «Il n’y a pas de stratégie systématique liée au rachat de bâtiment historiques», assure Corinne Rebetez, porte-parole de la Direction de l’aménagement, de l’environnement et des constructions. «Nous sommes attentifs à tout ce qui est mis sur le marché, dans la mesure où l’Etat cherche à être propriétaire des bâtiments où travaillent ses collaborateurs. Mais nous n’avons pas discuté des besoins que le château d’Attalens pourrait remplir. C’est un peu tôt.» Et Charles Ducrot, adjoint de l’architecte cantonal d’opiner, tout en relevant que «la typologie du château d’Attalens le destine avant tout à la résidence».
Le Service des biens culturels, enfin, se préoccupe avant tout du maintien du patrimoine – le château est classé en valeur A(maximale) au recensement des biens culturels. Or cet objectif est parfaitement compatible avec l’acquisition du bâtiment par un «simple» particulier, indique Vincent Steingruber, collaborateur du service. I
Il n’en est pas à sa première vente
C’est aux seigneurs d’Oron que l’on doit l’existence du château d’Attalens, érigé selon l’historien Martin Nicoulin durant la deuxième moitié du XIIIe siècle. Mais, comme le relève l’agence immobilière de Rahm, qui fait remonter l’édifice au XIIe siècle, le bâtiment actuel a perdu sa forme originelle:démantelé pendant les guerres de Bourgogne, il a été reconstruit et plusieurs fois transformé.
Ce fut le cas notamment entre 1615 et 1618, pour devenir la résidence du premier bailli. Le château gardera cette fonction jusqu’à la Révolution de 1798. Attalens perd alors son statut de capitale régionale. Une humiliation que certains supportent mal, puisqu’une bourgeoisie spéciale décide de mettre le château au service de la commune. Elle le rachète à l’Etat pour 60000 livres, montant comprenant d’autres biens immobiliers.
La vente est ratifiée le 2 octobre 1804, note Martin Nicoulin dans «Attalens. Le passé retrouvé.» Qui observe que ces grands bourgeois n’avaient pas les moyens de leur rêve:la commune prend la relève et revend le château à un particulier le 5 avril 1805. Il reste en mains privées jusqu’à ce que la paroisse s’y intéresse. Le 7 mars 1882, elle l’achète à une veuve, le vicaire Robadey se proposant d’y aménager un hospice. L’institution, doublée d’une école des filles, ouvre le 1er janvier 1883.
Huitante ans plus tard, l’établissement est devenu «le symbole d’une époque révolue, triste et détestée», relève l’historien. «L’homme providentiel s’appelle le docteur Jean-Pierre Maillard, médecin doué, novateur et bon vivant. Il a besoin d’une maison noble pour loger sa famille. Sa nouvelle épouse a vécu sa jeunesse dans un somptueux château en Allemagne. Le docteur Maillard propose à la paroisse d’acheter le château». L’assemblée approuve la transaction le 25 mars 1968. La somme de 500000 francs, prix de vente, sera affectée à la construction d’un foyer moderne, le futur home du «Châtelet».
Une migration
Conséquence de cette mise sur le marché:le château d’Attalens n’accueillera plus ses concerts de musique classique, connus loin à la ronde par les aficionados. Dès février prochain, la Société de développement d’Attalens (SDA) organisera en effet sa saison dans la salle polyvalente du complexe scolaire (bâtiment Les Blés).
«Ce n’est pas sans un pincement au cœur que nous quittons le château», confie le président Philippe Dumas. «Nous y avons organisé plus de 100 concerts depuis 1985»(dont celui de l’Orchestre de la cathédrale de Lausanne, ou celui de Michel Tirabosco). «La salle avait un cachet et une très bonne acoustique.»
La SDA profitera de ce déménagement pour infléchir sa programmation. «Nous reprendrons le rythme de trois dates par an, avec une date exclusivement classique. Mais nous élargirons l’affiche au jazz, voire à la chanson populaire. L’idée est d’accueillir des artistes prestigieux et d’ouvrir un tremplin à des talents régionaux.» La SDAespère ainsi élargir son public, qui oscillait au château entre 25 et 100 spectateurs.
Stéphane Sanchez
La Liberté