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Allié à la Suisse du Plateau, l’écologiste montreusien impose sa loi aux cantons montagnards et au Conseil fédéral.
«Je ne suis pas surpris, j’étais sûr d’avoir le soutien du peuple!» A presque 85 ans, Franz Weber a réussi son coup et créé la sensation du week-end: son initiative «Pour en finir avec les constructions envahissantes de résidences secondaires» a été acceptée hier par 50,6% des Suisses et par 13,5 cantons contre 9,5. Pour les opposants, qui agitaient le spectre d’une catastrophe pour les Alpes comparable à l’ouragan Lothar, la défaite est cuisante. Les communes qui atteignent le seuil de 20% de résidences secondaires ne pourront plus en construire de nouvelles.
C’est dans une grande salle en terrasse du Kursaal, dominant la ville de Berne, que Franz Weber a choisi hier de fêter sa victoire. Le suspense a pris fin vers 16 heures par une explosion de joie. Entouré par sa femme Judith et sa fille Vera, Franz Weber répond volontiers aux questions. «On a gagné, c’est merveilleux! Et cela malgré une campagne monstrueuse venant de types qui se remplissent les poches», rugit l’écologiste montreusien, qui en a pourtant vu d’autres.
Triomphe fêté en catimini
Autour de lui, vingt à trente personnes, pas plus. «La plupart de nos supporters étaient à la manifestation contre Mühleberg, ils n’ont pas pu venir», explique Vera Weber. Le président des Verts, Ueli Leuenberger, tient à féliciter le héros du jour. De même la conseillère nationale Silva Semadeni (ps/GR), originaire de Poschiavo. «Chez moi, les gens en ont marre de ne plus pouvoir se payer un appartement.» La Grisonne pense déjà à rassurer les villages victimes de l’exode rural, et qui ont plus de 20% de résidences secondaires. A son avis, il faudra prévoir des exceptions, notamment en faveur des constructions n’ayant pas le caractère «envahissant» mentionné dans le texte de l’initiative.
Un casque radio sur les oreilles, on reconnaît Pierre Chiffelle. L’ancien conseiller d’Etat vaudois dispense ses conseils juridiques à la Fondation Franz Weber. «On a voulu nous faire des procès d’intention, mais nous avons toujours répété que la propriété et la garantie des droits étaient acquises.» Pour l’avocat vaudois, il est clair que les initiants ne se montreront pas trop gourmands lorsqu’il s’agira de définir la loi d’application au parlement. «Nous n’allons pas demander davantage que ce que le texte de l’initiative prévoit.»
Le Valais est atterré
Pas sûr que cette promesse rassure complètement les opposants. «Ce résultat est vraiment catastrophique», lâche le conseiller aux Etats valaisan René Imoberdorf (pdc), qui songe en particulier aux petites communes du Haut-Valais. «La définition d’une résidence secondaire n’est pas claire non plus. Peut-être faudra-t-il prévoir des différences d’une région à l’autre.»
Un autre Valaisan ne cache pas sa colère. Le président du PDC suisse, Christophe Darbellay, montre du doigt les milieux économiques, particulièrement economiesuisse et l’Union suisse des arts et métiers (USAM), qui ont boudé le débat sur les résidences secondaires. «S’il y avait eu une vraie campagne nationale, et pas une contre-attaque de dernière minute comme en Valais, nous aurions pu l’emporter.» Pour Christophe Darbellay, les régions de montagne ont reçu un coup sévère. «Il y a certes eu des erreurs dans le passé, mais la punition collective est trop sévère.»
Pour le comité bourgeois contre l’initiative Weber, il faut maintenant clarifier rapidement quelles résidences secondaires seront exclues des limitations. Il faudra aussi exempter les résidences secondaires touristiques occupées la plupart de l’année, celles pour étudiants et travailleurs étrangers ou encore celles situées dans les régions en déclin économique. La transformation d’un logement principal en résidence secondaire à la suite d’un héritage devrait aussi rester possible.
Doris Leuthard est perplexe
Exceptions. Le mot a aussi été lâché par Doris Leuthard en conférence de presse. La ministre de l’Environnement pense aux communes structurellement faibles, sans pouvoir préciser ce qu’elle entend par là. Pour le reste, la conseillère fédérale, qui a fait campagne contre l’initiative Weber, s’attend à des problèmes corsés d’application. I
Les préalpes aussi encaissent le choc
Les grandes stations du Valais ou des Grisons ne sont pas les seules à craindre les effets de l’acceptation de l’initiative Weber. «Des régions comme la mienne, le Pays-d’Enhaut, ont aujourd’hui l’impression de payer les excès de certaines autres», confiait à l’issue du scrutin Charles-André Ramseier. Très présent dans les médias durant la campagne, le syndic de Château-d’Œx (38,5% de résidences secondaires) a eu bien de la peine à faire entendre la voix des communes de moyenne montagne, alors qu’un dialogue de sourds était engagé entre les initiants et les grands promoteurs.
La campagne des initiants reste en travers de la gorge du syndic vaudois. «Ils ont fait l’amalgame entre propriétaires de résidences secondaires et gens riches.» Charles-André Ramseier constate que c’est Lausanne qui a fait basculer le canton de Vaud dans le camp du oui. «Le fossé avec le chef-lieu ne date pas d’hier. Les villes se moquent éperdument de l’économie des régions de montagne.» Et maintenant, que faire? M. Ramseier appartient au groupe de travail qui va se réunir très vite pour trouver des solutions. «Peut-être faudrait-il convaincre nos hôtes de venir habiter au moins 90 jours chez nous...»
Des solutions, c’est aussi ce à quoi réfléchit Philippe Micheloud, directeur de l’Office du tourisme de Moléson-Village. «Nous avons mandaté deux bureaux de notaires pour trouver un cadre juridique qui permettrait de vendre des résidences secondaires tout en gardant les logements à disposition du tourisme.» Mettre les «lits chauds» en location, l’idée séduit de plus en plus dans les stations, mais là aussi, l’initiative Weber pourrait l’en empêcher.
PRIX RÉGLEMENTÉ DU LIVRE
Pas d’exception culturelle pour les libraires
CHRISTIANE IMSAND
Les libraires devront trouver d’autres solutions pour contrer la concurrence des grandes surfaces. Le projet de réglementation du prix du livre grâce auquel ils espéraient freiner la disparition des librairies indépendantes a raté hier son ultime examen de passage. «On n’a parlé que du prix et on a oublié l’enjeu culturel», déplore la présidente des libraires, Françoise Berclaz. Le peuple a donné raison au comité référendaire par 56,1% des suffrages. La majorité est nette, mais s’il n’en avait tenu qu’à elle, la Suisse romande aurait adopté le prix unique sans coup férir. Les six cantons romands ont approuvé le projet avec des scores oscillant entre 57,5% et 71,2%. Par contre, aucun canton alémanique n’en a voulu.
Pour le directeur général de Payot, Pascal Vandenberghe, ce Röstigraben exprime une différence culturelle. «En Suisse romande, le livre n’est pas seulement perçu comme un objet commercial mais aussi comme un vecteur de culture. Preuve en est l’absence de clivage partisan.» Jacques Scherrer, secrétaire général de l’Association suisse des diffuseurs éditeurs et libraires (ASDEL), nuance: «Le marché du livre diffère selon les régions linguistiques. Il est libéralisé depuis 1993 en Suisse romande et seulement depuis 2007 en Suisse alémanique. Les consommateurs romands ont davantage eu le temps de se rendre compte des effets nocifs de cette situation.»
Le verdict du peuple est un succès pour le Parti libéral-radical et les Jeunes libéraux-radicaux qui menaient la première bataille référendaire de leur histoire. Il convient parfaitement au chef du Département de l’économie Johann Schneider-Ammann, qui estime que «le livre sera mieux promu dans un marché libre».
Pour Adrian Michel, chef de campagne du comité interpartis qui a combattu la loi, les vainqueurs ne sont pas seulement les consommateurs, mais aussi les libraires qui risquaient de s’infliger un autogoal. «Le prix unique les aurait discriminés car il ne se serait appliqué qu’aux entreprises qui ont leur siège en Suisse. Par ailleurs, la loi ne tenait pas compte de la révolution qui guette le marché du livre. Elle ne touchait pas les livres électroniques, alors qu’ils dominent déjà le marché américain.»
Le comité référendaire admet cependant que la situation reste insatisfaisante en Suisse romande. Il compte sur la Commission de la concurrence (Comco) pour mettre fin aux abus. «Nous demandons une procédure contre le cartel des importateurs.» Réponse du directeur de la Comco, Vincent Martenet, à la Radio romande: «Nous avions suspendu notre enquête en Suisse romande dans l’attente des résultats de la votation. Nous allons la reprendre dans les jours qui viennent. Nous espérons pouvoir présenter nos conclusions cet automne.»
Fervent défenseur du prix unique, le PDC fribourgeois Dominique de Buman salue cette démarche mais il estime que cela ne suffira pas à garantir la diversité de l’offre culturelle. Il appelle par ailleurs à la vigilance au chapitre de la TVA. «Il faut s’assurer que les livres continuent à bénéficier du taux réduit dans le cadre de la réforme en cours.»
Pascal Vandenberghe attendra quant à lui les conclusions de la Comco avant de relancer ses projets d’importations directes. Il avait créé la surprise en annonçant à la mi-décembre qu’il était en négociation pour s’approvisionner directement auprès des distributeurs français, sans passer par les diffuseurs suisses.
Les petits libraires vont-ils tenter de se regrouper pour procéder eux aussi à des achats directs? Françoise Berclaz reste dubitative. «Il faut tout entreprendre pour baisser les prix, mais nous devons prendre garde à ne pas sacrifier les avantages que nous avons et à ne pas réduire la qualité du service. Les diffuseurs nous permettent de répondre aux commandes de nos clients en l’espace d’un ou deux jours. Ils sont précieux.» I
FISCALITÉ
L’épargne-logement perd une manche
ATS
L’espoir s’amenuise pour les partisans d’une défiscalisation de l’épargne-logement. Les Suisses ont refusé hier à 55,8% l’initiative qui aurait autorisé les cantons qui le souhaitent à introduire un système de déductions. Mais le sujet reviendra sur le tapis le 17 juin, lors de la votation sur une seconde initiative, qui veut donner force obligatoire à la défiscalisation des économies destinées à un l’achat d’un logement.
L’idée des initiants était d’aider les locataires à acquérir leur logement sans amputer leur future rente, alors que la Suisse compte relativement peu de propriétaires. Le peuple a préféré suivre la gauche et les associations de locataires, hostiles à un geste fiscal accusé de pousser les prix de l’immobilier vers le haut et de n’aider que ceux qui peuvent déjà se payer un logement.
Au final, cinq cantons seulement ont soutenu le texte: le Tessin (62,8%), Genève (53,5%), Bâle-Campagne (53%), seul canton à connaître déjà un système d’épargne-logement, le Valais (51,1%) et Vaud (50,7%). Fribourg a dit non à 54%.
Les partisans n’ont pas réussi à mobiliser dans une campagne restée molle. Le Conseil fédéral s’est contenté de rappeler qu’il était opposé à l’épargne-logement, mais n’a pas combattu activement l’initiative, le parlement n’ayant pas réussi à s’accorder sur un mot d’ordre. Le non a plutôt été défendu par les cantons, qui craignaient des pertes fiscales de 250 millions de francs par an.
VACANCES
Le minimum stagnera à quatre semaines
ATS
Les Suisses ne veulent pas accorder six semaines de vacances à tous les travailleurs. Ils ont rejeté par 66,5% des voix l’initiative populaire de Travail.Suisse. Les syndicats appellent désormais les patrons à respecter les promesses faites pendant la campagne. L’initiative «6 semaines de vacances pour tous» a été refusée par 1,53 million de votants. Aucun canton ne l’a soutenue, même si les latins y ont été plus sensibles. Les Appenzellois des Rhodes-Intérieures ont été les champions du non, avec un taux de refus de 82,2%. Ils sont talonnés par les Obwaldiens (79,1%). La plupart des cantons alémaniques alignent des scores sans appel, avec entre 70 et 80% de citoyens opposés.
L’idée d’augmenter les vacances a séduit davantage les Romands et les Tessinois, sans pourtant les convaincre. Les Jurassiens l’ont refusée par 50,7% des voix, les Genevois par 52,6% et les Tessinois par 54,1%. Dans le canton de Vaud, le taux d’opposition a atteint 58,9%, à Neuchâtel 59,1%, et, à Fribourg, 62,9%. Quelque 69,7% de Valaisans ont dit leur rejet de plus de vacances, tout comme 68,5% de Bernois.
«Nous sommes un peu déçus, mais fiers d’avoir thématisé la question de la surcharge de travail», a déclaré Martin Flügel, président du syndicat Travail.Suisse. Personne n’a nié que ce stress existe, le Conseil fédéral et même les employeurs l’ont reconnu. Pour l’Union patronale suisse, l’Union suisse des arts et métiers et la Société suisse des entrepreneurs, le rejet de l’initiative confirme que la question des vacances doit continuer d’être négociée par les partenaires sociaux. Les Suisses se sont rendu compte qu’accorder six semaines de vacances à tous les employés serait trop lourd pour les PME, salue Ursula Fraefel, membre de la direction d’economiesuisse.
Depuis 1984, la loi accorde un minimum de quatre semaines de vacances par an à tous les travailleurs. Les jeunes ont droit à cinq semaines jusqu’à 20 ans. Mais diverses branches et administrations offrent davantage de jours fériés, portant la moyenne nationale à cinq semaines par an.
JEUX D'ARGENT
Sans surprise, c’est oui
ATS
La Suisse pourra se doter d’une législation plus claire sur les jeux d’argent et d’adresse. Le peuple a accepté à 87% un nouvel article constitutionnel quasi incontesté. Tous les cantons ont dit oui. Elaboré dans la foulée de la polémique autour des Tactilo, cet arrêté cimente les compétences cantonales et fédérales, assure une redistribution des bénéfices aux projets d’utilité publique et évoque plus concrètement les risques de dépendance. A la base de l’initiative à l’origine de l’arrêté fédéral, la Loterie romande salue un «vote historique» qui montre l’attachement de la population aux loteries d’utilité publique.
Bertrand Fischer
La Liberté