Comment éveiller chez les enfants la passion de la science? Des pédagogues de terrain livrent leurs recettes.
«Pénurie de spécialistes en mathématiques, informatique, sciences naturelles et technique en Suisse.» Il y a un peu plus d’une année, le Conseil fédéral émettait un rapport alarmiste sur le manque de vocations des jeunes – notamment des filles – pour les branches scientifiques. Parmi les solutions proposées, un impératif: stimuler l’intérêt pour ces disciplines dès l’âge préscolaire, puis à l’école enfantine et aux degrés primaire et secondaire. Car la décision de se lancer dans une carrière scientifique «se joue avant l’âge de 16 ans», poursuit le rapport. Mais comment parvenir à dépasser l’a priori d’une discipline complexe et laborieuse?
«Il ne manque pas grand-chose pour dynamiser la curiosité, naturelle mais dormante, des enfants, observe Raoul Cicurel, qui anime des ateliers scientifiques en tant que bénévole. Le problème est qu’à force de ne pas obtenir de réponses à leurs questions, ils perdent l’habitude d’en poser.» Pour nourrir la flamme de la science chez les jeunes, l’électronicien de formation a cofondé il y a cinq ans l’association Les Jeunes et la Science à Lausanne, qui organise chaque mois un atelier scientifique d’une demi-journée destiné aux jeunes de 9 à 14 ans.
Des bricolages comme souvenirs
Condition sine qua non pour attiser la curiosité des enfants: lier théorie et pratique. «Nous concrétisons le plus souvent la théorie par un bricolage que nos participants pourront rapporter à la maison, précise Alain Paschoud, diplômé EPFL en microtechnique et membre de l’association. Le support les aidera à se rappeler des mécanismes scientifiques par la suite. Une fusée à eau, c’est tout simple, mais ça fascine les jeunes !» Les exemples sont variés: un aéroglisseur en sagex lors des ateliers de transport, un petit récepteur d’ondes moyennes pour capter la radio.
«Le but n’est pas d’aller en profondeur, mais de favoriser l’éveil des enfants à la science, poursuit Raoul Cicurel. Grâce à ce bricolage, ils comprennent le fonctionnement général d’une radio, sans en connaître tous les détails.» L’astuce est suffisante pour qu’ils en retirent une certaine fierté: «Rien de tel pour motiver un enfant que de lui enseigner quelque chose qu’il pourra expliquer de façon très concrète à ses parents, en long et en large, de retour à la maison.»
Confronter des jeunes à des défis est une autre règle appliquée par les 15 bénévoles que compte l’association: «Le grand problème est que l’enseignement de la science est souvent déclamé et unidirectionnel, poursuit Raoul Cicurel. Nous voulons en faire un partage. Les plus grands prennent souvent l’initiative d’expliquer un point aux plus jeunes. Ils se sentent ainsi valorisés.» Les enfants se muent rapidement en pédagogues, une fois la peur de la complexité disparue.
Le résultat suit, anecdote à l’appui: «Récemment, lors d’une activité sur l’électricité, un jeune a spontanément expliqué la partie sur l’atome aux autres participants en faisant référence à un atelier que nous avions organisé il y a quatre ans !»
La science dans la vie quotidienne
En toile de fond, il s’agit de montrer l’utilité de la science, souvent perçue comme trop abstraite, dans notre société: «En téléphonie, par exemple, nous voulons faire prendre conscience aux enfants de toute la technologie qui se cache derrière un simple coup de fil.» Un point de vue partagé par Kathryn Hess, responsable du cours Euler à l’EPFL, destiné aux jeunes surdoués des maths: «Le plus important est de montrer comment la théorie s’applique. Parmi les points forts du programme, le professeur Jacques Rappaz, spécialiste en analyse numérique, montre, par exemple, les maths qui agissent derrière la modélisation des glaciers.»
Farnaz Moser, responsable de la promotion des sciences auprès des jeunes à l’EPFL (lire encadré), va plus loin, estimant urgente la responsabilisation des jeunes face à l’importance croissante de la science et des technologies dans nos vies: «Nous sommes entourés de science au quotidien, de l’ouverture du frigo le matin au réglage du radio-réveil sur la table de chevet le soir. Il faut montrer aux jeunes filles et garçons d’aujourd’hui qu’en choisissant les filières scientifiques, ils participent directement à la construction de notre futur et à la survie de notre société.»
Adapter le langage
Pour que le message passe et qu’il suscite des vocations, la responsable conseille paradoxalement de ne pas se priver d’aborder des sujets complexes: «Ma règle d’or est de ne pas prendre les jeunes pour des personnes qui ne comprennent pas. Ils sont tout à fait capables d’apprendre la démarche scientifique. Pour satisfaire la curiosité du jeune public à propos des phénomènes qui paraissent compliqués, il suffit d’adapter son discours à l’âge de son auditoire. Par exemple, il est tout à fait possible d’expliquer le fonctionnement d’une pile avec un citron et deux clous en zinc et en cuivre !»
La difficulté consiste surtout à bien jauger la durée des présentations: «Les enfants ont une attention limitée, prévient Raoul Cicurel de l’association Les Jeunes et la Science. Il peut s’avérer contreproductif de vouloir tout expliquer ou de se tenir trop strictement à un programme. Notre avantage, c’est que nous sommes très flexibles dans l’utilisation de notre temps, car nous n’avons pas de cahier des charges comme à l’école.»
Le choix de la thématique est également pour beaucoup dans l’éveil d’un intérêt pour la science chez les jeunes, souligne Kathryn Hess: «Une fois par année, je vais dans la classe de mon fils donner un cours de maths. Je leur parle souvent des différentes notions d’infinité, en titillant leur esprit: Qu’est-ce que l’infini? C’est une vaste question, qui invite à la réflexion et au débat hors programme.»
La phase de préparation des sujets peut se révéler riche en enseignements pour les pédagogues eux-mêmes: «Nous apprenons beaucoup de choses en travaillant sur les sujets des ateliers, même ceux que nous connaissons bien, explique Raoul Cicurel. Il faut faire des recherches approfondies, car les enfants posent souvent des questions étonnamment pointues.» Mais cela, tous les parents le savent probablement déjà.
L’EPFL s’active pour les enfants
Sous la conduite de Farnaz Moser, une équipe de scientifiques gère un calendrier riche en activités pour les jeunes à l’EPFL. «Les premiers ateliers ont eu lieu en 2003, précise la responsable. Aujourd’hui, nous travaillons avec plus de 7500 jeunes par an, et les activités durent entre trois heures et cinq jours.» Un après-midi par semaine, les médiateurs scientifiques de l’EPFL initient, par exemple, les jeunes de 7 à 13 ans à la robotique, la chimie ou encore l’électronique.
Le Bureau organise également des ateliers destinés exclusivement aux filles sur des thèmes comme «Les robots, c’est l’affaire des filles». «L’expérience a démontré que les ateliers mixtes sur le même sujet n’ayant pas ce nom attirent 90% de garçons sur la liste d’inscription.»
Un bus baptisé «Les sciences, ça m’intéresse !» sillonne par ailleurs au fil de l’année les routes de Suisse romande, présentant des expériences interactives. «Il y a une vraie prise de conscience du besoin de former plus de scientifiques, c’est un défi planétaire, relève la responsable. Mais les moyens mis à disposition pour la sensibilisation des enfants ne sont pas encore suffisants. Les sciences devraient entrer de manière plus intense dans le programme de l’école primaire.»
Serge Maillard