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lundi 11 juin 2012

La révolte des chercheurs contre les éditeurs

La tension monte entre chercheurs et grands éditeurs de revues scientifiques. Lancé début 2012, un appel à boycotter la maison Elsevier a récolté plus de 10’000 signatures.


La dernière escarmouche date du 21 janvier 2012. Sur son blog, le mathématicien Tim Gowers de l’Université de Cambridge publie un post critiquant vertement la maison d’édition Elsevier, en particulier ses prix très élevés. Tim Gowers déclare qu’il refusera «de participer de près ou de loin au travail des journaux d’Elsevier». Le chercheur suggère la création d’un site internet pour encourager ses collègues à annoncer publiquement leur refus de travailler avec l’éditeur néerlandais. Moins de 24 heures plus tard, le site de pétition en ligne Cost of Knowledge est créé par un des visiteurs du blog. Fin avril, il comptait plus de 10’000 signatures.

Deux cultures

 Jusque dans les années 1950, la plupart des résultats scientifiques apparaissaient dans des journaux gérés par des organisations à but non lucratif. Des compagnies privées ont ensuite racheté les journaux scientifiques, et le marché a fini par se consolider. Trois éditeurs dominent désormais le secteur: l’américain Wiley, l’allemand Springer et Elsevier, qui possède des titres phares tels que «Cell» et «The Lancet».

Avec ses marges opérationnelles des plus confortables (37% en 2011), Elsevier constitue une cible de choix pour les chercheurs ainsi que pour les bibliothèques universitaires. Celles-ci ne s’opposent pas seulement aux prix élevés pratiqués par les éditeurs, mais également à l’obligation de souscrire à des abonnements groupés qui, au final, les forcent à payer pour des titres qu’elles ne désirent pas. Terence Tao, un mathématicien de l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) figurant parmi les premiers signataires du boycott, accuse Elsevier d’être particulièrement agressif dans cette stratégie.

Les critiques envers Elsevier ont été attisées par son appui au Research Work Act, un projet de loi américain qui vise à supprimer la possibilité pour une institution publique de soutien à la recherche d’exiger que les études parrainées soient publiées en libre accès (Elsevier a entre-temps revu sa position).

A la recherche d’une alternative 

Les éditeurs n’ont jamais eu à acheter le moindre contenu pour remplir leurs journaux: les auteurs rédigent leurs articles gratuitement. De même, la lecture critique des manuscrits (le peer-review) est effectuée sans frais par des chercheurs. La communauté scientifique a jusqu’à présent considéré ces tâches comme faisant intégralement partie de sa mission.

Un nombre croissant de chercheurs se demandent désormais pourquoi ils devraient céder leurs droits de publication à des revues qui ne les paient pas. Les éditeurs devaient autrefois assumer les dépenses liées à la composition typographique et à la distribution physique des magazines, mais ces frais ont complètement chuté grâce aux traitements de texte et à internet – ce qui n’a pas empêché le prix des journaux de prendre l’ascenseur.

Une alternative viable aux journaux scientifiques traditionnels peine encore à se mettre en place (voir «Science: les dangers cachés de l’ouverture», Reflex avril 2012), et le contrôle qualité (ou peer-review) organisé par les journaux reste difficilement remplaçable, souligne Terence Tao: «On entend des chercheurs parler de peer-review en ligne, mais il faudra attendre de nombreuses années avant que les comités de nomination des professeurs acceptent de prendre en compte ce type de procédure. En mathématiques, en tout cas, la publication d’un article dans un journal prestigieux garde énormément d’importance.»

En science de la vie, une initiative californienne de 2001 a conduit à la création de la série de revues en libre accès «Public Library of Science» (PLoS) et dont «PLoS One» figure aujourd’hui parmi les plus grands journaux scientifiques au monde. Mais le modèle de PLoS consiste, dans les faits, à reporter le coût vers les auteurs: ceux-ci doivent débourser 1’350 dollars par article (même si des rabais sont possibles pour les chercheurs aux ressources limitées).

Quo vadis?

Le défi consiste désormais à donner une direction au mouvement inspiré par Tim Gowers. L’un de ses effets durables est d’avoir sensibilisé les consciences au problème posé par la publication des travaux scientifiques. «Les chercheurs n’avaient pas trop l’habitude d’y réfléchir, explique Terrence Tao à Reflex. En général, un chercheur publiait dans n’importe quel journal en laissant aux bibliothèques le soin de décider à quelles revues s’abonner.» Le point de vue implicite était de croire que les maisons d’édition travaillaient dans l’intérêt de la science et non pas simplement pour maximiser leurs bénéfices.

En avril 2012, «The Chronicle of Higher Education» a publié une lettre ouverte adressée aux éditeurs qui concluait: «Vous pouvez bloquer l’accès au contenu, mais pas refermer une culture académique de plus en plus intéressée à l’ouverture.» Quatre jours plus tard, le Wellcome Trust (la plus importante fondation privée soutenant la recherche après la Bill & Melinda Gates Foundation) annonçait avoir joint ses forces à la Max Planck Gesellschaft et au Howard Hughes Medical Institute afin de lancer «eLife», un nouveau journal des sciences de la vie en libre accès. Les trois grands éditeurs scientifiques doivent non seulement affronter la colère de certains de leurs auteurs, mais également faire face à l’émergence de nouveaux concurrents. «Nous ne savons pas ce qui va se passer, confie Terence Tao. Je trouve ça plutôt stimulant.»

Giselle Weiss