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jeudi 29 novembre 2012

Le 6 décembre 1992, la Suisse refusait d'entrer dans l'Espace économique européen



Le petit monde politique suisse s’enflamme en cette fin d’année 1992. En cause, la votation fédérale du 6 décembre qui doit décider de l'entrée de la Suisse dans l’Espace économique européen (EEE).

Les pro et anti EEE s’écharpent par médias interposés. Les affiches répandent les arguments les plus antagonistes. Les uns jurent que la Suisse court à sa perte en cas de refus. Les autres, qu’elle court au contraire un grand danger en acceptant cette votation. Les conseillers fédéraux Jean-Pascal Delamuraz et René Felber défendent l’EEE. En face, un certain Christoph Blocher, nouvel acteur politique d’un petit parti, l’UDC, se fait le porte-parole du Non. Avec ténacité.

«La passion qui animait alors les défenseurs de l’EEE et ses opposants me paraît aujourd’hui très irrationnelle», observe René Schwok. Ce politologue étudie depuis de nombreuses années les relations que la Suisse entretient avec l’Europe. Aujourd’hui professeur associé à l’Institut européen de l’Université de Genève, il revient pour nous sur le Non à l'EEE.

Le Matin: Quel regard portez-vous aujourd'hui sur le refus de la Suisse d'entrer dans l'Espace économique européen?

René Schwok: On a assisté ce jour-là à un clivage unique dans l'Histoire de la Suisse sur un référendum très important. La Suisse romande et la Suisse alémanique n'avaient jamais été aussi opposées, si ce n'est peut-être pendant la Première Guerre mondiale entre pro et anti allemands. Aujourd'hui, grâce aux bilatérales, environ 80% de l'accord sur l'EEE a été finalement intégré, et la Suisse a survécu! Il y avait donc beaucoup d'irrationnel à l'époque entre la question posée et le débat suscité.

Comment l'expliquez-vous?

Pour moi, la passion qui animait les deux camps est très difficile à expliquer rétrospectivement. Plus le temps passe, moins on la comprend. Il y avait un élan collectif en Suisse romande pour l'Europe, surtout dans les villes et les milieux intellectuels. L'Hebdo de Jacques Pilet et la personnalité de Jean-Pascal Delamuraz, qui avait alors beaucoup d'influence, ont entretenu le mythe d'une Europe qui allait résoudre toutes les petites frustrations romandes, peut-être face à une domination alémanique et un chômage alors assez présent. Et les anti-EEE ont eux aussi de leur côté mené une campagne hargneuse.

Quels sont les arguments contre l'entrée dans l'EEE qui ont fait mouche?

Les opposants, avec en tant que chef de file Christoph Blocher, ont entretenu une confusion en faisant croire que l'on votait sur une adhésion à l'Union Européenne, dont la demande par le Conseil fédéral avait été faite en juin 1992. C'était totalement faux: la Norvège a par exemple accepté d'entrer dans l'EEE et elle n'est toujours pas membre de l'UE. Plusieurs craintes ont été brandies: le libre établissement des personnes provoquerait l'arrivée massive de chômeurs venus d'Europe, les camions 40 tonnes déferleraient sur nos autoroutes... et la Suisse perdrait de sa Souveraineté. Ces arguments se sont implantés dans un terreau fertile, un peu xénophobe, avec d'un côté chez les Alémaniques la peur d'un renouveau pangermanique après la Réunification allemande, et chez les Tessinois, celle d'être avalé par le dynamisme économique de l'Italie du Nord. Une peur encore d'actualité, d'ailleurs.

Un sondage publié par la presse dominicale a montré que les Suisses n'ont jamais été aussi eurosceptiques. Les comprenez-vous?

Les bons vieux arguments anti-européens perdurent: parmi eux se trouve le scepticisme traditionnel, identitaire, voulant que la Suisse ne puisse être heureuse qu'à l'écart des autres, la défense de sa «neutralité», la préservation de certaines niches économiques et le refus de limiter la démocratie directe et l'autonomie des cantons. La bonne santé économique de la Suisse face aux pays européens et la mauvaise image de l'Union européenne, perpétuellement en crise, expliquent aussi cette méfiance. Et enfin, la voie bilatérale a réussi, donc les principales peurs de marginalisation de la Suisse se sont estompées.

Vingt ans après le vote du 6 décembre, on peut donc dire que l'Europe n'est plus un sujet émotionnel en Suisse?

L'adhésion à l'Europe en tant que telle, non. Il n'y a effectivement plus ce «rêve européen», cette ferveur. Les militants suisses ont eux-mêmes fait marche arrière. Je tiens toutefois à rappeler que sans l'Union Européenne, l'Europe irait bien plus mal. On aurait d'anciens Etats communistes beaucoup plus criminels, corrompus et dictatoriaux, à l'image du Belarus, et les extrémismes seraient revenus au pouvoir dans des pays tels que la Grèce. L'Union européenne est un facteur de stabilité, de paix et de démocratie, ce devrait aussi être à elle parfois de le rappeler.

René Schwok vient de publier Politique extérieure de la Suisse, (Presses polytechniques et universitaires romandes). L'ouvrage analyse la relation que la Suisse entretient avec l'étranger depuis la fin de la Guerre froide. Le politologue revient en particulier sur trois sujets édifiants: les fonds en déshérence et les relations avec Iran et la Libye.