Chu de che / Je suis d'ici / Sono di qui / Ich bin von hier ! Notre liberté ne nous a pas été donnée, mais combattue et priée par nos ancêtres plus d'une fois! Aujourd'hui, comme autrefois, notre existence en tant que peuple libre dépend du fait que nous nous battions pour cela chaque jour. Restez inébranlable et soyez un gardien de la patrie pour que nous puissions remettre une Suisse libre telle que nous la connaissions à la génération suivante. Nous n'avons qu'une seule patrie!

dimanche 4 novembre 2012

Le Ranz des vaches fribourgeois






Le Ranz des vaches est une chanson d'armaillis sans aucun accompagnement. Les vachers des Alpes avaient l'habitude de la chanter pour appeler le bétail des pâturages lorsque le moment de la traite était venu. Elle a la même fonction que le cor des Alpes. A l'instar du destin de cet instrument, la pratique du Ranz des vaches avait quasiment disparu après 1800.


Dans les Alpes de Berne et de Lucerne, (on dit plutôt lobe : ho ! lobe, ha ! lobe, et l’on emploie aussi fréquemment le diminutif Löberli. Or le patois gruyérien, qui affectionne les ll mouillées, a prononcé liauba, qu’il faudrait écrire lhoba, avec le lh des provençaux. Enfin ce mot lhoba, loba ou lobe n’a pas de racine dans les langues romanes, et il ne peut être qu’allémanique.



Cela dit, il n’en demeure pas moins que le ranz des Colombettes a son caractère propre, et qu’il diffère foncièrement des Kühreihen du reste de la Suisse. Ceux-ci, en effet, ont plus de bonhomie et de naïveté, outre cette fleur de sentiment qui va si bien à la poésie allemande : le nôtre, au contraire, a toute la malice d’un fabliau, et l’on sent dès l’abord qu’il est d’inspiration romande.


Le Ranz des vaches comporte trois éléments distincts: le mot «lyoba» souvent répété qui signifie «appeler le bétail» en celtique; l'énumération des noms des vaches; enfin des vers improvisés dans lesquels l'armailli chante sa vie, loue la beauté de la vie alpestre et sa liberté dans les montagnes, mais se plaint quelquefois de sa condition malheureuse de pauvre ouvrier agricole.

Aux étrangers qui ne comprennent pas qu’un chant si simple puisse produire de tels effets, nous répondons que le ranz des vaches a pour nous des charmes secrets qu’il ne révélera jamais à des profanes, qu’il nous dit des choses ineffables dans un langage mystérieux que l’on n’apprend que dans nos Alpes. « Tout vrai Suisse a un ranz éternel au fond du cœur », a dit Sainte-Beuve.

Au 16e siècle, il est déjà fait mention de cette tradition d'appeler le bétail avec cette chanson. Des touristes cultivés ont décrit le Ranz des vaches au 18e siècle, tel un Léopold comte de Stolberg qui a transcrit la marche des vaches d'Appenzell en 1794 alors qu'il voyageait en Suisse en compagnie de Johann Wolfgang Goethe.

En 1805, la première collection de huit Ranz des vaches est parue sous le titre «Acht Schweizer Kühreihen». Cette petite édition a été rééditée et complétée en 1812, 1818 et 1826.

Pourquoi donc cette grossière chanson d'armaillis a-t-elle suscité l'intérêt de gens cultivés? Jean-Jacques Rousseau raconte dans son «Dictionnaire de la musique» (1768) qu'il était interdit de chanter le Ranz des vaches en présence de soldats suisses embrigadés dans les gardes étrangères parce qu'ils attrapaient le «mal du pays» et risquaient de mourir. Cette légende a sans doute contribué à attirer l'attention sur une chanson qui n'était probablement pas très douce à l'oreille.



En 1921, un jeune professeur de musique, Joseph Bovet, a arrangé le traditionnel Ranz des vaches gruérien en un chant pour chœur d'hommes. Il est devenu célèbre et a valeur d'hymne «national» officieux pour les Suisses francophones. Cette mélodie est au cœur de chaque «Fête des Vignerons» qui se déroule une fois par génération à Vevey dans le canton de Vaud.

«Lyôba, lyô-ô-ba…». Scandées au bon moment, ces quelques syllabes fédéreront comme un seul homme les « vrais Suisses » présents dans la salle. Au café ou sous le chapiteau d’une fête, il n’en faudra pas plus pour que l’on se mette à faire tinter verres et cuillères, reprenant le refrain selon lequel «lè chenayirè van lè premirè»… Comprenez ici que, dans un cortège de vaches, « les sonnaillères (celles qui portent une cloche) vont les premières », et que cela coule de source. Même beuglé, le ranz des vaches reste en effet le chant le plus populaire des Helvètes. Hymne de bergers dont l’existence est attestée dès le XVIe siècle, il avait sans doute pour vocation initiale d’annoncer l’heure de la traite, le retour à l’étable ou le départ à l’alpage dans bon nombre de régions rurales.

Repris dans les grandes fêtes populaires, il est associé à la Fête des Vignerons de Vevey dès 1819, et s’impose bientôt comme le clou de la fête. Le vibrant patriotisme qu’il suscite lui ouvre ainsi les portes du patrimoine suisse, subtilisé qu’il fut aux bergers pour devenir un chant citoyen placé au rang des mythes fondateurs de la Confédération.

Il inspira aussi de nombreux compositeurs pressés d’évoquer l’univers pastoral, comme Beethoven, Liszt ou Wagner… Et l’on doit même à Rousseau d’avoir propagé l’idée selon laquelle il aurait le pouvoir de faire déserter les soldats suisses à l’étranger, les frappant de « delirium melancholicum… » C’est dire toute la magie qu’il exerce sur nos concitoyens !

Le ranz des vaches est attesté comme air instrumental en 1545, puis surtout comme mélodie (Har Chueli, ho Lobe) chantée sur les pâturages pour faire rentrer les vaches (parfois appelées Lobe en Suisse alémanique) en file à l'étable et pour les calmer durant la traite. L'expression de ranz des vaches (dans le sens d'alignement) est une traduction de l'allemand Kuhreihen provenant du verbe kuoreien qui apparaît pour la première fois dans une chanson populaire en 1531.

Jusqu'à 1800 environ, des documents attestent son utilisation pour des mélodies et des textes notamment dans l'Emmental, l'Oberhasli, l'Entlebuch et le Simmental ainsi que, dans sa forme française, dans le Jorat (1810) et aux Ormonts (1812). Le ranz des vaches de Fribourg ou de Gruyère est, selon l'ancien usage, encore chanté à la Fête des vignerons par un armailli entonnant le Liauba. Une première variante à deux voix de l'Appenzeller Kureien Lobe lobe apparaît en 1545 dans l'ouvrage Bicinia Gallica, Latina et Germanica du compositeur allemand Georg Rhau. La plus ancienne version écrite de ce ranz des vaches appenzellois figure dans le recueil de chants de Maria Josepha Barbara Broger (1730).

Dans sa thèse en médecine De Nostalgia vulgo Heimwehe oder Heimsehnsucht (1688) consacrée au mal du pays, Johannes Hofer rapporte qu'en entendant le ranz des vaches les Suisses au service étranger étaient frappés de delirium melancholicum et poussés à la désertion: par conséquent, le soldat qui le jouait ou le chantait était passible de la peine de mort.

En 1710, Theodor Zwinger fit rééditer la thèse sous le titre De Pothopatridalgia, augmentée des textes Cantilena Helvetica et Kühe-Reyen. Johann Jakob Bodmer se documenta sur le sujet par intérêt littéraire, supputant, vers 1724 encore, que ce "couplet d'armailli" n'était qu'un air sans paroles. Ce chant inspira de nombreux compositeurs, désireux d'introduire dans leur œuvre une touche pastorale. Avec le Guillaume Tell d'André Ernest Modeste Grétry (1791) et celui de Friedrich Schiller (1804), le ranz des vaches fit son entrée dans certaines compositions de Beethoven, Berlioz, Schumann, Mendelssohn, Rossini, Liszt, Wagner et d'autres. Au début du XXIe s., le ranz des vaches n'est chanté que pour appeler le bétail (Chuereiheli, parfois sous la forme d'un yodel) ou joué sur des instruments tels que le cor des Alpes ou le Büchel (petit cor des Alpes, Frutt-Chuereihe).


Bernard Romanens chantant le Ranz des Vaches


Egger Ph.