Miné par les maladies vénériennes, le Vert Galant n'aurait sûrement pas fait de vieux os, même si Ravaillac avait raté son coup...
Gravure du cortège funèbre à la mort d'Henri IV. © DR
Le 18 mai 1610, les entrailles d'Henri IV, assassiné trois jours plus tôt, sont transportées discrètement à Saint-Denis où elles sont entreposées dans le caveau de cérémonie en attendant l'arrivée du reste du corps. Elles ont été retirées deux jours plus tôt lors de l'autopsie. Il y a le foie, l'estomac, les intestins, la vessie, la prostate et les poumons, tous serrés dans un vase. Rien de bon à transplanter... En effet, à sa mort, le roi de France est dans un triste état physique, miné depuis une vingtaine d'années par d'innombrables maladies vénériennes... Manque le coeur. Ce noble organe, symbole de la vaillance, fait urne à part. Il sera offert quelques jours plus tard aux Jésuites de La Flèche après un traitement spécial pour résister aux outrages du temps. L'embaumeur royal l'a ouvert, nettoyé, puis mis à tremper plusieurs jours dans l'esprit de vin, et de l'huile de térébenthine rectifiée. Ensuite, il l'a garni d'une dizaine d'aromates, de teintures et d'huiles essentielles avant de le glisser dans un sac de toile cirée. Lequel a été scellé dans une boîte en plomb, entourée d'une étoffe de taffetas. Enfin, le tout a été déposé dans une boîte en argent en forme de coeur.
Un roi mort, surtout assassiné, ne rejoint pas son sépulcre à la va-vite. La préparation du corps et les cérémonies funèbres s'étalent sur de longues semaines. Henri IV n'y échappe pas. Sitôt après l'attentat de Ravaillac, le corps est rapporté au Louvre où il est déposé sur un lit dans le petit cabinet de la reine. Tous les grands du royaume, les médecins, les chirurgiens, se bousculent pour le pleurer. À minuit, la toilette mortuaire du roi débute. On lui retire son "habit de satin noir égratigné", on le lave, puis on l'habille d'un pourpoint de satin blanc. Le corps est alors transporté jusqu'à sa chambre pour être déposé sur le lit. Le mois de mai est chaud cette année 1610, aussi faut-il embaumer le corps rapidement.
La recette de l'embaumement
Dès le lendemain après-midi, l'autopsie est entreprise en présence de dix-huit médecins et de onze chirurgiens. C'est probablement le docteur Jacques Guillemeau qui s'en charge, car, quelques années plus tard, il publiera le compte-rendu de l'autopsie. "S'est trouvé... une plaie au côté gauche, entre l'aisselle et la mamelle sur la deux et troisième côte d'en haut, d'entrée du travers d'un doigt, coulant sur le muscle pectoral vers ladite mamelle : de la longueur de quatre doigts, sans pénétrer au-dedans de la poitrine." Il s'agit de la blessure occasionnée par le premier coup de couteau de Ravaillac qui ne fait que glisser sur les côtes. Suite du rapport : "L'autre plaie en plus bas lieu, entre la cinq et sixième côte au milieu du même côté, d'entrée de deux travers de doigts pénétrant la poitrine et perçant l'un des lobes du poumon gauche et de la coupant le tronc de l'artère veineuse à y mettre le petit doigt, un peu au-dessus de l'aureille gauche du coeur : de cet endroit l'un et l'autre poumon a tiré le sang, qu'il a jeté à flots par la bouche..." C'est donc le deuxième coup qui est mortel.
Guillemeau vide le corps de ses viscères et du coeur. La dépouille peut être désormais remise à l'embaumeur. Son rôle consiste à préparer le corps pour qu'il puisse affronter six semaines de cérémonies sans se décomposer et empester. Un ouvrage publié quelques décennies après la mort d'Henri IV décrit la procédure employée. On croirait une recette de cuisine de Topchef. Normal, les premiers embaumeurs sont des maîtres queux ! La voici : "Débarrassé de tous les organes putrescibles, y compris la langue et les yeux, le cadavre fut d'abord lavé à l'aide de vin balsamique contenant du girofle, des roses, du citron, de l'orange, de la coloquinte, du styrax et du benjoin. Des boules de coton vinrent obturer la bouche, les yeux, le nez et les oreilles. On enveloppa ensuite le corps dans de la toile cirée avant de le remplir de différents baumes (...) : écorces de cyprès, lavande, thym, sauge, romarin, sel, poivre, absinthe, benjoin, styrax, myrrhe, origan, cannelle, aneth, clous de girofle, écorces de citron, anis et encens".
L'effigie du roi défunt
Le 23 mai, le corps du roi est enfin prêt à affronter les cérémonies publiques. Il est allongé sur un lit couvert de draps d'or dans la grande chambre de parade du Louvre. Chaque jour, durant dix-huit jours, cent messes basses et six grand-messes sont célébrées. Le 10 juin, le cercueil est transporté dans la salle des fêtes du Louvre, l'actuelle salle des Cariatides, où il est déposé dans un châlit surmonté d'un "lit d'honneur" occupé par l'effigie du souverain défunt. À partir de ce moment, il y a deux rois : le cadavre couché dans son cercueil et son clone reconstitué en cire et osier que les visiteurs saluent comme s'il était encore vivant. Le visage et les mains jointes sur la poitrine sont des moulages en cires très réalistes, façonnés par les meilleurs artistes de l'époque. Le corps, en osier, est revêtu d'un pourpoint en toile d'argent doublé de taffetas blanc, de chausses de satin blanc de Florence, de bas de soie, d'une camisole de satin rouge cramoisi, d'une dalmatique, d'une tunique et de bottines satin violet cramoisi, d'un manteau de velours de Tours doublé de taffetas. L'effigie arbore tous les insignes de la royauté : couronne, sceptre, décorations. Le drap mortuaire, le dais et le manteau royal sont ornés de 6 736 fleurs de lys brodées. L'illusion est parfaite, le roi semble dormir. Du reste, on lui sert deux repas par jour. Ainsi montre-t-on symboliquement que la dignité royale ne meurt jamais. Durant onze jours, la foule défile pour rendre un dernier hommage au souverain.
Les funérailles proprement dites débutent le 29 juin. "Les maistres de cérémonies firent mettre l'effigie du roys sur une litière portative couverte des susdicts draps mortuaires de velours noir et drap d'or frisé... sur les deux heurs après midy l'ordre du convoy commença à cheminer depuis le Louvre par dessus le Pont-Neuf jusques à Notre-Dame, les ruës tenduës de drap noir..." Le convoi est suivi par tous les corps constitués. Dans la cathédrale, le corps embaumé d'Henri IV et son effigie sont mis sous la Chapelle ardente que viennent entourer les "grands et principaux officiers,... chacun selon son rang." Les messes et offices se succèdent jusqu'au lendemain. Vers 14 heures, le convoi se reforme pour se rendre à la nécropole royale de Saint-Denis.
Le lendemain, jeudi 1er juillet 1610, quatre grandes messes achèvent la cérémonie funèbre. L'assassinat d'Henri IV ayant pris tout le monde de court, on n'a pas eu le temps de lui sculpter de tombeau. Aussi descend-on le cercueil dans le caveau de cérémonie où il est abandonné sur des tréteaux en fer. Tous les Bourbons le rejoindront dans cette étroite crypte qui sera violée le 12 octobre 1793 par les sans-culottes.
Royal pénis endommagé
Si Henri IV n'avait pas été assassiné par Ravaillac, probablement qu'il n'aurait pas vécu beaucoup plus vieux. Son corps est miné par les innombrables maladies vénériennes attrapées ici et là avec de très nombreuses filles de joie. Car Henri n'est pas bégueule en matière de sexe. Comme DSK, il se tape tout ce qui bouge... Depuis la fille de ferme jusqu'à la duchesse. Selon le chroniqueur Pierre de l'Estoile, Henri aurait attrapé une blennorragie en octobre 1592 dans une écurie agenaise avec la putain d'un palefrenier.
Sur la fin de sa vie, Henri souffre d'un rétrécissement de l'urètre qui l'empêche souvent d'uriner. Son chirurgien Loyseau note : "... en marchant, il me fallait souvent mettre pied à terre pour le faire uriner par le moyen d'une bougie et plus souvent par une sonde ou canule d'argent tellement qu'un jour je lui trouvai la verge enflée, froide, mollasse et insensible." À noter pour ceux qui s'en inquièterait, la bougie dont parle Loyseau est un instrument gonflable introduit dans l'urètre pour la dilater... Le chirurgien essaie de réduire ce rétrécissement en déposant dans le pénis royal une poudre à base de feuilles de genévrier mélangée à du beurre frais. Il utilise pour cela une longue canule à piston qu'il laisse en place parfois toute la nuit. Inutile de dire que ces nuits-là, le Vert Galant dort seul... Le traitement n'est guère efficace à long terme. Ainsi dans la nuit du 29 au 30 octobre 1603, le roi manque de mourir après un festin pantagruélique alors que ses médecins lui avaient recommandé la diète. Vomissements, diarrhées, et rétentions urinaires incessantes manquent de l'achever. Et quand il pète, il troue son slip... En vieillissant, il perd de sa vaillance avec les femmes. Il le reconnaît à demi-mot dans une lettre destinée à sa maîtresse la marquise de Verneuil, datée de 1607 : "Je vous verrai devant que vous pariez de Paris, et vous chérirai non comme il faut, mais comme je pourrai." Celle-ci, du reste, le surnommait méchamment le "Capitaine du bon vouloir".
Le jour de son assassinat, Henri IV souffre encore d'une infection urinaire fébrile qui aurait pu le mener au tombeau si cet imbécile de Ravaillac n'était pas intervenu...
Frédéric Lewino
Gwendoline Dos Santos