Doper ses ventes en recourant aux loueurs, aux véhicules de démonstration... facile mais dangereux. Voici le document secret qui identifie ceux qui en abusent.
Le marché automobile français a une apparence : les résultats officiels, qui tombent début janvier. Il a aussi une réalité, plus secrète, décrite dans un document réservé aux constructeurs et auquel les médias n'ont pas accès. C'est la répartition des ventes par type d'acheteur, marque par marque. Car toutes ne sont pas égales entre elles.
Pour simplifier, il existe quatre sortes d'acheteurs de voitures neuves : particuliers, entreprises (voitures de service ou de fonction), loueurs de longue durée et concessionnaires. Pour un constructeur, les ventes aux particuliers et aux entreprises sont les plus rentables. Elles ont représenté 74 % des immatriculations en 2013.
Les ventes "grises"
Restent 26 %, soit 450 000 voitures. Pudiquement appelées "grises" ou "stratégiques", ces ventes ne sont pas forcément suspectes. Avis ou Europcar ont besoin de voitures de location et un concessionnaire de véhicules de prêt ou de démonstration. C'est juste une question de proportion. Car un constructeur qui peine à écouler sa production auprès des particuliers et des sociétés peut être tenté d'ouvrir grand la vanne des ventes "grises" pour réduire ses stocks.
Gare à celui qui abuse ! Il dégrade ses résultats financiers, mais aussi la valeur résiduelle de ses voitures. Ses clients regretteront de lui avoir fait confiance quand leur véhicule se retrouvera en concurrence, à la revente quelques années plus tard, avec trop de modèles identiques siglés "occasions récentes" et rapidement remis sur le marché par les loueurs ou les concessionnaires.
Une marque en bonne santé se reconnaît donc à deux critères. Primo, des ventes en hausse. Ainsi, l'année 2013 a été cruelle avec seulement 1,79 million de voitures neuves vendues en France. Soit un recul de 6 % par rapport à 2012, qui n'était déjà pas un grand cru. Mais pas pour tout le monde, puisque sept des trente premières enseignes de France ont affiché des résultats positifs : Dacia, Toyota, Fiat, Kia, Honda, Mazda et Lexus.
Deuzio, un taux de ventes aux particuliers et aux sociétés supérieur à la moyenne nationale, soit 74 %. La liste des lauréats se réduit. Trois marques seulement répondent à cette double exigence et ont réalisé une bonne moisson 2013, en quantité comme en rentabilité. Ce sont Dacia, Toyota et Kia.
La "low cost" de Renault trône toujours en haut du tableau, avec 91 % de ventes aux particuliers et aux entreprises. Dacia vend pourtant peu aux sociétés. Elle présente donc un taux exceptionnel de ventes aux particuliers : 86 %, trente-deux points au-dessus de la moyenne nationale (54 %) !
Kia a également le vent en poupe. La marque coréenne a encore battu en 2013 son record de diffusion en France, comme chaque année depuis 2009. Et ce, sans recourir aux ventes "grises" avec 76 % de ventes aux particuliers. Elle dispose même d'un réservoir de croissance. En effet, Kia s'est jusqu'à présent peu intéressée aux entreprises, qui représentent seulement 5 % de ses ventes. Même situation pour Toyota qui affiche un bon taux de ventes aux particuliers (72 %) et une faible part de ventes aux sociétés (8 %).
Les Français sont restés sages
Autre bonne nouvelle, face à la contraction du marché français, les marques, en règle générale, ont résisté à la tentation de faire tourner la machine à fabriquer des véhicules d'occasion récents ou zéro kilomètre. La part des ventes aux particuliers et aux sociétés n'a pas bougé : 74 %, comme en 2012. Et les constructeurs français ont bien tenu la barre dans la tempête, en restant peu ou prou dans la moyenne nationale. Renault avec 73 % de ventes aux particuliers et aux sociétés et Peugeot-Citroën avec 72 % pour Citroën. L'époque semble révolue où Renault, comme en 2006, réalisait 14 % de ses ventes en France auprès des loueurs.
Mauvais temps pour Fiat et Hyundai
Relevons toutefois quelques (mauvaises) surprises. Fiat, célébré pour avoir augmenté ses ventes de 7 % en 2013, présente en effet un autre visage quand ses résultats sont examinés dans le détail. Ainsi, Fiat ne diffuse que 45 % de ses ventes aux particuliers et aux sociétés, soit un recul de quinze points par rapport à 2012. Fiat a ainsi vendu moins de véhicules aux particuliers et aux sociétés en 2013 (21 113 unités) qu'en 2012 (26 132)..., mais beaucoup plus ailleurs. Jugez donc : 21 % de ventes aux loueurs et 34 % de véhicules de démonstration ! Dans les deux cas, deux fois au-dessus de la moyenne nationale.
Hyundai traverse également des temps difficiles. En 2012, le constructeur coréen avait recouru aux ventes grises (46 % de ses immatriculations) pour revenir dans le sillage de Kia, sa marque soeur. Avec succès : ventes en hausse de 42 % et record de France (28 733 exemplaires). Potion plus amère en 2013 : recul des immatriculations (- 10 %) malgré le maintien d'un taux très élevé de ventes grises (40 %). Un revers qui a sans doute provoqué, en décembre, le départ du président de Hyundai France.
Le vrai classement des marques qui vendent le mieux
Les 30 premières marques du marché français 2013 sont ici classées selon le pourcentage de particuliers et sociétés parmi leurs clients (ligne verticale de couleur jaune). Plus une marque est située haut dans ce tableau, mieux elle se porte : les ventes aux particuliers et aux sociétés sont les plus rentables pour un constructeur.
Indiquée sous bande de couleur horizontale bleue, la structure de l'ensemble du marché français permet de savoir, pour chaque type de vente, si un constructeur se situe au-dessus ou en deçà de la moyenne nationale.
Toyota, par exemple, avec 68 % de ventes effectuées auprès de particuliers, est nettement au-dessus de la moyenne du marché français 2013 (54 %) et figure parmi les cinq marques dont la part de ventes aux particuliers est la plus forte. Mais diffuse peu auprès des sociétés (11 %).
Au cumul de ces deux types de ventes, Toyota (79 %) figure cinq points au-dessus de la moyenne nationale (74 %) des ventes aux particuliers et aux sociétés. Les 21 % restants sont écoulés auprès de loueurs (6 %), ou après des concessionnaires et des collaborateurs (15 %) de Toyota.
(*) Ces ventes regroupent les véhicules directement vendus aux employés d'un constructeur, ou à ses concessionnaires qui les utilisent en qualité de véhicules de démonstration ou de service.
Xavier Chimits