De Rechthalten (Dirlaret) & Sankt Ursen (St-Ours), Canton de Fribourg (en Nuitonie), Suisse
lundi 24 mars 2014
Le toubib ne parlait pas français!
L’afflux de médecins étrangers dans les hôpitaux romands complique parfois la communication avec les malades. Les professionnels de la santé reconnaissent un problème.
Un sentiment «étrange». C’est l’adjectif qui vient à l’esprit de Maëlle pour évoquer sa mésaventure médicale. Lorsqu’elle se rend aux urgences à Genève pour une conjonctivite, cette étudiante de 25 ans ne s’attend pas à tomber sur une jeune soignante qui ne parle pas un mot de français. «Elle s’exprimait en anglais et semblait venir des pays de l’Est. Il fallait s’accrocher pour tout comprendre!»
Melinda, une Genevoise de 30 ans, a vécu une expérience similaire, aux urgences du bout du lac également: «Une partie de mon visage était paralysée et après une attente de plusieurs heures dans l’angoisse, j’ai été examinée par une assistante russe avec qui j’ai dû communiquer en langage des signes. La suite de ma prise en charge s’est bien passée, mais comme premier contact, alors qu’on ne sait pas si on va guérir, c’est stressant!»
Des médecins non francophones dans des hôpitaux romands? «On observe de telles situations, confirme Jean-François Steiert, vice-président de la Fédération suisse des patients. Il y avait d’ailleurs eu un début de discussion au niveau fédéral afin d’exiger un minimum de compétences linguistiques pour obtenir l’autorisation de pratiquer.»
Jean Dambron, président de l’association genevoise Le Relais, qui soutient les proches de personnes souffrant de troubles psychiques, dresse le même constat et enregistre une amplification du phénomène: «Parmi les 60 dernières familles que j’ai reçues, près de 10% se sont plaintes de ce problème. C’est d’autant plus aigu en psychiatrie, où le lien humain entre le médecin, le patient et les proches est capital.»
La source de cette situation est principalement à chercher du côté de l’afflux de praticiens étrangers en Suisse. Le pays affronte une pénurie de personnel soignant et recrute massivement hors des frontières. Le CHUV compte 42% de non-Suisses parmi ses employés et les HUG 52%. Beaucoup de frontaliers, mais aussi des ressortissants du Portugal, d’Espagne, d’Europe de l’Est ou de Grèce.
Les hôpitaux romands assurent fixer des critères élevés concernant la maîtrise du français. Mais ce n’est pas toujours évident. «L’équation consiste à trouver des médecins à la fois compétents et francophones», résume Jean-François Steiert. «Les assistants (ndlr: médecins en formation post-graduée)sont les premiers concernés, complète le Dr Pierre-François Cuénoud, vice-président de la Fédération des médecins suisses. La Suisse en manque et ils arrivent parfois de l’étranger avec des connaissances lacunaires en français. Ils s’améliorent vite, mais entre-temps, il faut bien les mettre en contact avec les patients, surtout lorsque les cadres sont débordés.»
Même si l’envergure réelle du phénomène est difficile à mesurer et que notre enquête n’a pas mis au jour d’erreur médicale qui en aurait découlé, les répercussions ne doivent pas être prises à la légère. «Lorsque la communication avec le médecin est entravée, le patient développe un sentiment d’insécurité, explique une conseillère romande de l’Organisation suisse des patients, qui a tenu à conserver l’anonymat. Or les malades inquiets réagissent moins bien aux soins.» Certaines spécialités sont plus exposées. «Il est nettement plus problématique qu’un médecin de premier recours, chargé d’orienter le patient et de déceler d’éventuels diagnostics sous-jacents, ne soit pas francophone qu’un radiologue ou qu’un chercheur», note Jean-François Steiert.
Ces problèmes de langue n’entraînent pas uniquement des conséquences néfastes. Pour Tobias Herold, un généraliste zurichois de 31 ans qui exerce depuis novembre à la permanence d’Onex (GE), les médecins non parfaitement francophones compensent ce handicap par une écoute accrue des patients: «Il m’arrive de devoir demander aux malades le nom d’une partie du corps en français, s’amuse-t-il. Ils en rigolent en général. La relation entre le patient et le praticien est alors moins polarisée.»
7%
C’est la proportion de médecins en exercice en Suisse romande qui indiquent ne pas parler français, selon la Fédération des médecins suisses, qui tient des statistiques détaillées. Il est toutefois difficile de juger de l’état exact de leurs connaissances.
La loi n’oblige pas à maîtriser la langue locale
Les établissements fixent eux-mêmes leurs critères, et la loi n’oblige pas le personnel des hôpitaux romands à parler le français. Les HUG exigent un niveau de français de standard C1 pour les soignants, soit d’être capable de s’exprimer spontanément et couramment, selon le directeur des ressources humaines, Jacques Hertzschuch. Au CHUV, le porte-parole Darcy Christen indique qu’il est «essentiel que tout soignant soit en mesure d’être compris par le patient et de le comprendre».
Ces règles sont flexibles. «Lorsque nous ne trouvons personne, une dérogation est possible, à condition que la nouvelle recrue s’engage à acquérir le niveau exigé dans un délai rapide», précise Jacques Hertzschuch. Il s’agirait de situations «exceptionnelles». La tolérance est aussi plus grande pour les spécialistes qui ne se trouvent pas en contact avec les patients, ajoute de son côté Darcy Christen.