Chu de che / Je suis d'ici / Sono di qui / Ich bin von hier ! Classement des pannes automobiles par marques 2025 : https://fiabiliteautomobile.blogspot.com/ Notre liberté ne nous a pas été donnée, mais combattue et priée par nos ancêtres plus d'une fois! Aujourd'hui, comme autrefois, notre existence en tant que peuple libre dépend du fait que nous nous battions pour cela chaque jour. Restez inébranlable et soyez un gardien de la patrie pour que nous puissions remettre une Suisse libre telle que nous la connaissions à la génération suivante. Nous n'avons qu'une seule patrie!

mardi 17 juin 2014

Cachez ce salaire que je ne saurais voir


La Suisse cultive une opacité presque complète sur ses salaires. Cette culture du secret a de graves répercussions sur l’égalité des rémunérations entre femmes et hommes ou entre ressortissants helvétiques et étrangers.

«Bonjour, j’ai passé un entretien pour un job à Genève (je suis Française). Il semble correspondre à ce que je souhaite mais j’ai l’impression que le salaire est bien en dessous de la normale (entre 4’000 et 4’500 francs). J’ai donc essayé de savoir les niveaux de salaire mais on en parle très peu!» Ce message, posté sur le forum aufeminin.com, traduit une réalité toute helvétique: au pays du secret bancaire, on ne discute pas d’argent sur la place publique, et encore moins de salaires.

«En Suisse, la définition de la sphère privée est très large et ce qu’on gagne en fait partie, relève Roman Graf, spécialiste des politiques salariales auprès de l’Observatoire universitaire de l’emploi de Genève. Un patron m’a même dit un jour que cela relevait, pour lui, de l’intime.» On n’est pas loin du tabou. «Il y a certaines choses dont on ne parle pas, comme son poids, son âge ou son salaire», estime Ruth Derrer Balladore, membre de la direction de l’Union patronale suisse.

Tout l’inverse de la culture anglo-saxonne. «Aux Etats-Unis, il n’est pas rare que votre salaire soit la première chose qu’on vous demande lorsque vous commencez un nouveau travail», souligne Roman Graf. De même, les petites annonces américaines indiquent souvent une fourchette de salaires, ce qui n’est quasiment jamais le cas en Suisse. Nation de PME, la Suisse se caractérise en effet par un système de rémunération très individualisé. «Chaque firme fixe ses salaires dans son coin, note Andreas Rieger, secrétaire national du syndicat Unia. En général, il n’existe même pas de grille uniformisée à l’échelle de l’entreprise.» Les salaires sont perçus comme le résultat d’une négociation individuelle entre l’employé et son patron. «Souvent, ce dernier dit à ses travailleurs de ne pas révéler le montant de leur rémunération à leurs collègues», ajoute le syndicaliste. Certaines entreprises vont jusqu’à inscrire cela dans le contrat d’embauche, «arguant que les salaires qu’elles versent font partie du secret d’entreprise», complète Roman Graf.

La situation est particulièrement opaque «dans les zones rurales ou dominées par un seul grand employeur», selon José Ramirez, professeur d’économie d’entreprise à la Haute école de gestion de Genève - HEG-GE. Par contre, «le service public se montre transparent sur les salaires, formalisés sous forme de classes», indique Roman Graf. Tout comme les secteurs qui emploient beaucoup d’étrangers, moins réticents à aborder les questions de rémunération. «Sur les chantiers ou dans l’hôtellerie, on parle de salaire, on compare ce qu’on gagne, fait remarquer Andreas Rieger. Sans surprise, ce sont aussi les branches qui présentent les moins grandes disparités salariales.»

Car la transparence peut avoir pour conséquence de diminuer les inégalités. «Lorsqu’on sait ce que gagnent ses collègues, surtout ceux qui font le même travail que nous, on peut donner une valeur chiffrée à son travail, explique José Ramirez. Les personnes qui se sentent maltraitées vont réclamer un salaire plus élevé auprès de leur patron ou aller voir ailleurs. Sur un marché fortement libéralisé, tel que le nôtre, cela favorise la concurrence et la mobilité du personnel et donc, in fine, une fixation plus équitable des rémunérations.»

A l’inverse, un manque de transparence provoque des disparités salariales. «Il y a une énorme asymétrie au niveau des informations détenues par l’employeur et le futur employé lors des négociations salariales, relève Roman Graf. Le premier a déjà vu des dizaines de candidats et connaît parfaitement les salaires pratiqués pour le poste à pourvoir, alors que le second ne connaît pas aussi bien sa marge de manœuvre.» Cela vaut particulièrement pour les femmes, qui quittent parfois le marché du travail durant plusieurs années pour cause de maternité, et qui sont de toute façon moins enclines à exploiter leur pouvoir de négociation.

Les inégalités salariales les plus flagrantes opposent d’ailleurs les hommes et les femmes. «En 2010, pour un travail égal ou de valeur égale, la discrimination salariale entre les sexes était, en moyenne, de 8,7%, soit 677 francs par mois, relève Patric Aeberhard, collaborateur scientifique du secteur Travail au Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes. C’est la part due à la discrimination.» Elle n’a que peu bougé ces dernières années.

La provenance des travailleurs est la seconde grande cause d’inégalité salariale. «Plus ils viennent de loin et moins ils vont gagner, résume José Ramirez. Les Suisses sont les mieux payés, suivis des étrangers de seconde génération et des détenteurs de permis de séjour de longue durée (B ou C), des frontaliers et finalement des détenteurs de permis courte durée (B, L).»

Comment faire alors pour améliorer la transparence, et donc l’égalité des salaires? «En Suisse, cela relève de la responsabilité individuelle des entreprises, qui disposent d’un éventail de mesures non contraignantes», relève Patric Aeberhard. Les employeurs peuvent, par exemple, consulter le logiciel Logip, qui permet de voir s’ils respectent l’égalité des salaires femmes-hommes, obtenir la certification Equal-Salary délivrée par une fondation veveysanne ou réclamer des aides financières de la Confédération pour mettre en place des mesures contre la discrimination. «L’Etat procède à des contrôles dans un seul cas: lorsque des contrats publics sont en jeu», poursuit-il.

Les employés peuvent, pour leur part, consulter les calculateurs de salaires en ligne, comme Fairpay ou Salarium. «Ils sont fondés sur les données récoltées par l’Office fédéral de la statistique auprès des entreprises, détaille José Ramirez. Quelque 2 millions de salaires y figurent, ce qui correspond à un travailleur sur deux. Cela permet de se situer par rapport aux autres dans sa branche.»

Les conventions collectives de travail conclues entre le patronat et les syndicats permettent aussi d’introduire une dose de transparence. «Elles comportent des indications quant aux salaires minimaux dans la branche, indique Roman Graf. Mais seuls 40% des travailleurs sont couverts par un tel accord et comme il s’agit de minima, ils protègent avant tout ceux qui se trouvent en bas de l’échelle salariale.» Les mesures d’accompagnement introduites dans le cadre de la libre circulation des personnes avec l’UE, et les contrôles qu’elles impliquent, sont un autre outil au service de la transparence.

Enfin, la Loi sur l’égalité entre femmes et hommes, introduite en 1996, permet aux personnes qui se sentent lésées de s’adresser aux tribunaux. Mais la mesure, qui fait peser le fardeau de la preuve sur la personne lésée, est imparfaite: «Si vous ne savez pas combien les autres sont payés dans votre entreprise, comment voulez-vous déposer une plainte? interroge Andreas Rieger. Cela revient à donner un coup d’épée dans l’eau.» Il cite le cas d’une employée de la Migros à Neuchâtel dont le procès a duré plusieurs années. Entre-temps, la plaignante est décédée.

Une avancée de taille a en revanche été réalisée sur le front du salaire des patrons d’entreprises cotées en Bourse, avec l’adoption de l’initiative Minder en mars 2013. «Ce texte donne le droit aux actionnaires de fixer le montant des salaires de la direction et du conseil d’administration au moyen d’un vote contraignant, explique Florent Ledentu, professeur en économie d’entreprise à la Haute Ecole d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud. Il interdit également les indemnités de départ. La Suisse est désormais l’un des pays qui va le plus loin en la matière.»

Cette initiative n’est que la dernière étape d’un processus amorcé au début des années 2000, en réaction à une série de scandales (parachutes dorés chez ABB, faillite de Swissair). «Cela a commencé en 2002, lorsque la Bourse a obligé les entreprises cotées à dévoiler leur politique de rémunération dans leur rapport annuel, raconte l’économiste. En 2007, le Code de bonne pratique d’economiesuisse a intégré un vote consultatif lors des assemblées générales sur la politique de rémunération de la direction générale et du conseil d’administration.» La plupart des grands groupes s’y sont pliés, si l’on excepte certaines entreprises familiales comme Swatch. L’initiative Minder a fermé la boucle, en rendant ce vote contraignant.

Une évolution dont les partisans de la transparence des salaires des employés aimeraient s’inspirer. «L’autorégulation, telle qu’elle existe aujourd’hui, ne fonctionne pas, déplore le député socialiste vaudois et économiste Samuel Bendahan. Il faut forcer les entreprises à publier leurs grilles de salaires à l’interne, voire à l’externe.» La Confédération s’est penchée sur les moyens d’améliorer la transparence et l’équité des salaires entre hommes et femmes dans un rapport publié en octobre 2013. Elle en a tiré plusieurs recommandations comme l’obligation pour les entreprises d’effectuer une analyse interne de la structure de ses salaires tous les trois ans et la possibilité pour les autorités d’intenter un procès contre une firme en lieu et place de la personne discriminée.

Mais ce genre de propositions n’est pas du goût de tous. «Si on se mettait à publier les salaires, cela déclencherait une vague de jalousies à l’interne des entreprises, estime Ruth Derrer Balladore. Et cela mettrait en danger la protection des données et de la personnalité.» La représentante du patronat pense qu’il faut laisser une marge de manœuvre aux sociétés pour fixer leurs rémunérations en fonction de leurs besoins, à l’abri du regard inquisiteur du public. «Les employés n’ont pas toujours une vue d’ensemble, dit-elle. Ils ne comprennent pas que telle personne gagne davantage parce qu’elle a plus d’expérience ou des compétences plus utiles à son employeur.»

«Il ne s’agit pas de publier le salaire de chacun mais de mettre en place une grille de salaires transparente, rétorque Roman Graf. Cela ne posera problème que lorsqu’une entreprise a une structure salariale injuste.» Et l’opacité n’est pas une solution, selon José Ramirez: «Le chaos provoqué par un employé qui apprend par la bande ce que gagnent ses collègues est bien pire que celui généré par la publication d’une grille des salaires transparente.»

Une entreprise zurichoise prône la transparence absolue des salaires

La firme zurichoise Ergon, qui développe des solutions informatiques, a franchi le pas de la transparence absolue en 1992 déjà. «L’un des cofondateurs de la firme venait de nous quitter et les employés restants ont décidé de racheter ses actions, se souvient l’actuel patron Patrick Burkhalter. A partir de ce moment-là, toutes les décisions ont été prises en commun, y compris les salaires.» Chaque employé sait combien gagnent les autres.

«Cela nous a obligés à rendre nos rémunérations plus équitables et compréhensibles, note-t-il. Les femmes gagnent la même chose que les hommes et la partie variable du salaire dépend de la réalisation d’objectifs communs et non individuels.» Globalement, les salaires d’Egon se trouvent dans la moyenne de la branche. «Cette transparence ne les a poussés ni à la hausse ni à la baisse», relève Patrick Burkhalter.

Elle n’a pas non plus provoqué de jalousies à l’interne. «Au contraire, les gens sont plus motivés, se sentent plus investis dans l’entreprise et se comportent davantage comme des entrepreneurs, gardant toujours le client en tête», précise-t-il. Outre-Atlantique, certaines firmes sont allées plus loin encore. La start-up californienne Buffer publie les salaires de tous ses employés sur internet, ainsi que la formule qui a permis de les établir. Le CEO gagne 158’800 dollars. L’employé le moins bien payé 76’975 dollars.

Norvège, l’hallucinante transparence fiscale

Chaque contribuable norvégien peut consulter les données fiscales de ses concitoyens en ligne depuis 2002. La Norvège est le seul pays au monde où ces chiffres se trouvent intégralement à la disposition du public. Ce site, appelé Skattelister, est mis à jour chaque année en automne. Pour y accéder, il suffit d’introduire son numéro d’identification personnel. On peut ensuite effectuer toutes les requêtes que l’on souhaite en tapant un nom, un lieu et un âge.

Cette transparence semble hallucinante pour un pays comme la Suisse, où la divulgation de telles informations provoquerait un scandale. Mais en Norvège, la tradition est ancienne, car le registre fiscal des municipalités a toujours été public depuis la moitié du XIXe siècle. Si la mise en ligne des données fiscales n’a pas créé de tollé, elle leur a donné une nouvelle visibilité.

Et le voyeurisme fiscal s’est mué en véritable sport national, avec 13 millions de requêtes de la part de 709’000 contribuables en 2011, selon le Bureau des statistiques. De plus, les sommes déclarées au fisc seraient 3% plus élevées depuis que les contribuables peuvent consulter facilement les données fiscales de leurs voisins. Et les services fiscaux ont tout de même mis en place une ligne téléphonique pour les lanceurs d’alerte qui souhaiteraient dénoncer leurs connaissances…


Trois questions à
Véronique Goy Veenhuys, fondatrice de la Fondation equal-salary

Pourquoi les femmes gagnent-elles moins que les hommes en Suisse?

Les stéréotypes et les préjugés persistent, impactant négativement la progression des carrières féminines. Au moment où elle a des enfants, une femme se verra peut-être contrainte de réduire son temps de travail, avec pour conséquence de freiner sa progression salariale. Les statistiques montrent qu’il y a actuellement autant de femmes que d’hommes diplômés. Mais il faudra attendre dix à quinze ans avant de saisir l’effet de cette génération sur le niveau des salaires.

Quel est l’objectif de votre fondation?

Notre mission est de promouvoir l’égalité salariale entre hommes et femmes en proposant une certification. Cet outil simple, concret et scientifique permet à une entreprise de vérifier qu’elle pratique une politique salariale équitable et de la rendre visible grâce au label obtenu. Concrètement, il s’agit dans un premier temps de faire une analyse des données salariales de la société. Si l’écart des salaires entre hommes et femmes est inférieur à 5%, un audit est alors mené par SGS, le leader mondial de la certification. Il vérifie l’engagement de la direction en matière d’égalité salariale et sa mise en œuvre par les Ressources humaines. Des entretiens avec les collaborateurs complètent la démarche.

Les entreprises se montrent-elles réfractaires à votre démarche?

Nous en sommes à neuf entreprises certifiées en Suisse. Elles sont toujours plus nombreuses à s’informer. Mais beaucoup ne saisissent pas l’importance des enjeux et n’en font pas leur priorité. D’autres craignent d’éventuels coûts d’ajustement. Néanmoins, ne pas être équitable peut représenter un coût encore plus important en termes d’image, si un cas de discrimination est porté devant les tribunaux.

Marie-Adèle Copin